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Monnaie, crédit, financement : mais c’est très simple

J’avais jusqu’ici beaucoup hésité à me ranger derrière la bannière du Crédit Social, pour une raison purement technique – alors même que leurs arguments humanistes, sociologiques et économiques m’avaient toujours parus frappés au coin du bon sens. L’argument technique que je ‘ne sentais pas’ était le fameux escompte.

J’avais beau tenté de le comprendre, rien n’y faisait. J’ai même écrit un billet sur ce point, en me disant que si je tentais de l’expliquer à d’autres, j’y verrais plus clair. Rien n’y a fait, pour une raison que je crois maintenant bonne, c’est que cet « escompte compensé » n’a pas lieu d’être, il est tout à fait inutile, et, par ailleurs, compliqué à instaurer, si tant est qu’on veuille l’appliquer, au contraire des deux autres principes : une monnaie-crédit au service de la collectivité, et un dividende social.

Avant de reprendre la seule question qui importe, comment financer les dizaines de milliers, voire les millions, de process de production qui caractérisent toute économie moderne, je voudrais vous livrer une réflexion méthodologique que j’avais esquissée il y a bien longtemps, quand je planchais sur des problèmes d’intelligence artificielle et de systèmes experts. Je veux parler de la question du passage du concret à l’abstrait, de l’analyse inductive qui précède la synthèse déductive: avant de parler du modèle, commençons par s'intéresser au réel, avant de parler carte, mentionnons au moins le territoire.

Parmi les nombreux enseignants de maths qui ont tenté de m’inculquer quelques notions en ce domaine, il n’y en a guère que deux qui m’ont réellement marqué, pour une seule raison; avant d’expliquer ou de démontrer un théorème important, ils tentaient de partir d’un problème concret qui avait conduit à ce théorème.
Ainsi, le fameux théorème de Thalès, que l’on rencontre en troisième. Ce fut mon prof de terminale – un ancien X reconverti à l’enseignement – qui nous avait parlé d’un problème concret posé à Archimède (peu importe si c’est, ou non, une légende), celui de l’estimation de la hauteur d’une pyramide : la question des triangles semblables était là, en germe.

Il m’a fallu attendre la rencontre fortuite d’un enseignant – alors que je préparais l’agrégation de maths – pour que je puisse à nouveau discuter avec un pédagogue (même pas agrégé) qui abordait les problèmes et les théorèmes importants en partant de données expérimentales. J’étais bien loin de mes cours de fac ou les 'bourbakistes' de service se lançaient dans des définitions topologiques à priori sans même tenter d’expliquer le pourquoi de leurs définitions. C’est un peu comme si Riemann avait oublié de parler des espaces sphériques pour justifier sa géométrie non cartésienne.

Quel rapport avec le financement des entreprises et des process de production me diraient vous ? J’y viens.

Dans les diverses discussions sur la monnaie auxquelles j'ai pu participer, qui ont pour la plupart tourné à des arguties d’experts byzantins, les plus érudits d’entre nous ont plus ou moins réussi à faire comprendre aux profanes le cycle de vie d’un billet, sans toujours parvenir d’ailleurs à faire de même pour l’émission de monnaie scripturale – au moins pour la monnaie scripturale centrale.

Ce n’est évidemment pas leurs compétences – indiscutables – qu’il faut remettre en cause, mais le manque total – du moins qui m’apparaît tel maintenant – de support concret concernant la demande de monnaie, du moins la demande ‘économique’ de monnaie, et non la demande pour besoins de refinancement ou de spéculation.

Prenons un exemple, pour être le plus concret possible – exemple abordé par les tenants du Crédit Social mais traité incorrectement, à mon avis du moins.

Considérons donc une entreprise, parmi les centaines de milliers possibles, qui veut produire une certaine marchandise, un certain ‘bien’. Considérons qu’il y a quatre facteurs de ‘dépense’ possibles, les machines –dont l’amortissement sera appelé AMORtissement – les différents ‘consommables’ et autre produits intermédiaires – notés MAT – les salaires – notés SAL et enfin les profits et autres frais financiers – notés PROF. On pourrait bien sûr faire intervenir une décomposition beaucoup plus fine, mais l’idée est ici de montrer deux choses.

1)le besoin de financement de ce process, (ce que l'on pourrait appeler, un peu abusivement, la demande de monnaie) existe dès lors qu’il n’est pas instantané (auquel cas dépenses et recettes seraient, ou pourraient être- simultanées : c’est la grande critique que l’on peut faire aux modèles faisant apparaître simultanément des courbes d’Offre et des courbes de Demande, en prétendant que l’ajustement de la production et de la demande réagit instantanément aux informations sur les prix).
Ce (besoin de) financement peut prendre diverses formes, et n’a aucune raison, en particulier, d’être identique pour les quatre grands ‘facteurs de dépense’ AMOR, MAT, SAL et PROF

2) le fait, indiscutable, que la somme SAL + PROF (et c’est encore plus vrai pour SAL tout seul) est inférieure au besoin de financement total de la production, à savoir PRODb = AMORb + MATb + SALb + PROFb.
C’est face à cette évidence que l’escompte compensé à été introduit, à tort, par les tenants du Credit Social, imprudence inutile qui a pu jeter le discrédit sur les théories, par ailleurs sans failles, du Major Douglas et de ses successeurs. On ne peut certes pas reprocher au major Douglas de ne pas avoir utilisé les tableaux d’entrée-sortie de Leontieff prenant en compte les échanges inter-entreprises pour expliquer cette différence entre le revenu national – c’est-à-dire la somme de tous les salaires et profits distribués au cours des divers process – et la somme de l’ensemble des chiffres d’affaires (c’est-à-dire des besoins bruts de financement) réalisés, ou espérés, comme conséquences de ces mêmes process. Mais cette faiblesse théorique est cependant indiscutable.

Voilà donc notre problème concret, mis sous la forme d’un simple problème de financement de quatre facteurs de dépenses :
PRODb = AMORb + MATb + SALb +PROFb

Pour être le plus général possible, nous allons imaginer que chaque facteur de dépense peut avoir une ‘source de financement’ différente, sachant que, si la ‘confiance’ règne, ou régnait, on pourrait se contenter d’une simple écriture comptable, du genre :

Le producteur PRODUCTEURb doit AMORb (à ses fournisseurs de machines) – il l’inscrit quelque part – ainsi que MATb (à ses fournisseurs de consommables et biens intermédiaires)– il l’inscrit quelque part – ainsi que SALb(à ses salariés) – autre inscription – et enfin PROFb(pour ses actionnaires et ses banquiers- dernière inscription comptable. Lorsque PRODUCTEURb aura vendu sa production aux prix espérés, il recevra de ses acheteurs la contre partie (qui pourrait n’être que comptable) de ses inscriptions initiales de ‘facteurs de dépense’, les différentes écritures seront ainsi entièrement compensées.
Il n’y a nul besoin de circulation monétaire ‘réelle’, de simples écritures (comptables) ont fait l’affaire.

On peut évidemment compliquer, et dire que le process de production s’est accompagné d’une émission monétaire, et que la vente correspond à une destruction monétaire équivalente, mais cela ne me semble rien apporter de neuf. Je reviendrais cependant sur ce point à propos de la notion de monnaie complémentaire, ou locale, ou régionale, ou privée – peu importe le terme.

Passons maintenant à la situation réelle, concrète, contexte dans lequel la ‘confiance, le ‘crédit’ ne va pas de soi. Au lieu de ne faire appel qu’à un comptable sérieux et honnête – il en existe sûrement – on va faire appel à 4 sources de financement différentes.

PRODUCTEURb va faire appel au crédit mutuel inter-entreprises pour financer AMORb, pour cela il signera éventuellement une traite commerciale d’une durée équivalente à la durée de son process de production. Les intérêts éventuels, s’il y en a, affecteront le facteur de dépense PROFb
PRODUCTEURb peut faire appel à sa banque locale pour financer ses MATb – ce que l’on appelle parfois crédits de campagne – là encore, les intérêts, s’il y en a, affecteront le poste PROFb.
PRODUCTEURb peut aussi demander à ses salariés d’attendre la fin du mois de production (et la vente de PRODb) pour être payés. Mais il peut aussi demander à sa banque une avance de trésorerie couvrant ces dépenses salariales : là encore, les frais éventuels vont pouvoir augment PROFb.
PRODUCTEURb, enfin, demandera à sa banque une avance pour payer à la fois les dividendes de ses actionnaires, et pour rembourser les intérêts dus par le simple fait du financement bancaire éventuel de ses autres ‘facteurs de dépenses’ – appelés aussi coûts de production.

Ainsi, au lieu que le PRODUCTEURb soit sa propre banque (c’est aussi vrai pour l’Etat), le manque de confiance – ou le pouvoir absolu obtenu de nos jours par le système bancaire (la sphère bancaire et financière ayant ainsi pris le dessus, peut être définitivement, sur la sphère réelle, la seule pourtant à produire de véritables richesses), PRODUCTEURb doit – au moins dans le contexte contemporain – demander des avances (sur lesquelles il paiera des frais financiers) à des banques. CEs banques n'ont pourtant comme seul mérite, si l’on peut dire, que celui d’apparaître des « tiers de confiance » garantissant la valeur à la fois de « AMOR » de "MAT » de « PROF » et de « SAL3, alors que, bien entendu, si l’entreprise n’est pas « de confiance », toute la monnaie gagée sur la véritable valeur de PRODb ne vaut pas grand-chose.
Tout se passe comme si, pour garantir la valeur d’une entreprise – qui produit des biens ou services ‘réels’ – on préférait s’en remettre à des banques qui ne garantissent, en fait , que du ‘vent’ (avec la garantie de l’Etat, il est vrai, du moins jusqu’à ce que la crise éclate).

Revenons maintenant à la monnaie complémentaire, ou locale, ou privée. Un des objectifs du raisonnement précédent est de montrer qu’une entreprise, ou un ensemble d’entreprise, ou un département, ou un lander, ou une région, peut être suffisamment puissante (et 'de confiance') pour émettre sa propre monnaie, sans nécessairement créer des morceaux (et monceaux) de papier labellisés ‘billets de banque’ – il paraît que c’est interdit.
La simple tenue de comptes peut y suffire, que ces comptes soient dans des livres, des bases de données informatiques ou sur des puces électroniques.

Appel donc aux bonne volontés politiques: quel est le maire, le député, le président de conseil général ou régional qui osera sauter le pas? Ou alors, préfèrera t-on continuer à subir les diktats du fonds monétaire international et de la banque mondiale, ou de ses féaux de la commission européenne et de la BCE? L’exemple de l’Irlande ne suffira t-il pas pour remettre en cause le rôle des banques ?

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