La_Grece_sous_perfusion_et_apres

La zone Euro et l’Europe face aux dettes ‘souveraines’ : le cas de la Grèce et son ‘sauvetage’ (Interview réalisée en 2 parties, le 9 juillet et le 21 juillet)

Q : Bonjour

Bonjour

Q : Pourriez vous nous expliquer un peu la situation économique de la Grèce ?

Que voulez-vous savoir ?

Q : Nous aimerions comprendre pourquoi la Grèce se retrouve en une telle situation – jugée dramatique (au 9 juillet 2011) par la plupart des observateurs. Nous aimerions aussi comprendre quelles sont les solutions envisageables à une sortie de crise. Enfin, pouvez-vous nous rassurer, et nous dire si les malheurs actuels de la Grèce ne risquent pas d’être, en quelque sorte, ‘contagieux’ ?

Contagion ? Je suppose que vous pensez qu’au-delà du seul cas de la Grèce, d’autres pays de la zone euro, Portugal, Espagne, Italie, voire même la France pourraient être exposés – sous certaines conditions - aux mêmes déconvenues ?

Q : Oui, c’était le sens de cette question.

Tout cela nécessite quelques développements, et je vais donc avoir besoin d’aborder un certain nombre de thèmes tels que les créances, les dettes, la monnaie, le budget, les échanges commerciaux, le marché financier, la titrisation. Un peu de comptabilité ne nous fera pas non plus de mal.

Q : Je vais essayer de m’accrocher...

Rassurez-vous. C’est essentiellement de bon sens donc nous avons besoin.

Q : Si c’est le cas, si le bon sens suffit, comment se fait-il alors que l’on entende tant de choses différentes actuellement sur l’avenir de la Grèce, de ses dettes publiques, voire sur l’évolution de l’euro ou sa disparition éventuelle ?

Face au bon sens, et aux faits, il y a l’idéologie, et certains intérêts puissants. Le bon sens et les faits nous disent depuis plusieurs mois que la Grèce ne pourra jamais rembourser. L’idéologie, et certains intérêts privés, essayent de faire croire qu’après une cure d’austérité sévère, et s’étendant sur plusieurs années, le ‘malade’ grec s’en sortira.

Q : Si vous rejetez ce remède de cheval, ce plan d’austérité, que proposez vous donc pour que la Grèce guérisse ? Seriez-vous contre ce que proposent à la fois le FMI, la BCE et l’Europe ?

En fait, les avis de certains gouvernements, dont celui de la France et de l’Allemagne, divergent quelque peu sur les façons de ‘sauver’ la Grèce, et plus encore sur la façon de sauvegarder la zone Euro. Cela étant, aucune autorité publique n’ose s’approcher, même de loin, de la seule solution qui me semble envisageable, solution que j’ai déjà, effectivement, abordée depuis plusieurs mois dans d’autres billets, ou à l’occasion d’autres interviews

Q : Si je me souviens bien, vous proposez d’annuler tout ou partie de la dette grecque ? N’est-ce pas là pure idéologie, idéologie contre laquelle vous vous élevez souvent, à juste titre ?

Mes propositions consistent effectivement, entre autres, à décréter un moratoire, voire un abandon total, des dettes grecques. Ma position serait effectivement ‘idéologique’ s’il y avait d’autres solutions réalistes. Je vais donc tenter de montrer pourquoi aucune autre mesure ne peut convenir. Et, pour cela, j’ai besoin de revenir à certains ‘fondamentaux’ –tout en remarquant que dans le plan discuté ce jour, 21 juillet, à Bruxelles, il semble bien que l’on ait enfin accepté de passer par pertes et profits une partie de la dette grecque – mais ce sera insuffisant si ce type de mesures est décidé sans modifier profondément le système monétaire international.

Q : Que voulez vous dire, à propos des ‘fondamentaux’ économiques ?

Les fondamentaux, dans le cas de la Grèce, ce sont les raisons du déficit budgétaire et du déficit commercial entraînant des dettes abyssales.

Q : Pouvez vous nous rappeler le lien entre déficits et dettes ?

C’est à la fois un problème de plomberie et de comptabilité.

Q : ???

De fait, les échanges économiques correspondent à des flux, des flux de marchandises, des flux de services. Ces flux ont lieu entre diverses entités, que nous allons appeler agents économiques.

Q : Ces agents économiques, ce peut être des particuliers, des entreprises, des pays ?
Tout à fait. Et ces flux ne sont pas nécessairement équilibrés.

Ainsi, si nous regroupons tous les flux partant de la France vers un pays extérieur, on constate qu’en mai 2011 le solde de ces flux, c’est-à-dire la différence entre les flux entrant et les flux sortant, se sont montés à 7,42 milliards d’euros. Du point de vue de la France, c’est donc un déficit commercial, encore supérieur à celui du mois d’avril.

Q : OK pour la plomberie. Et pour la comptabilité ?

Nous avons déjà commencé – ou le service des douanes l’a fait pour nous. Il a mesuré cette information (comme ce même service a pu constater qu’en 2010 le flux ‘automobile’ entre les voitures exportées de France et les voitures importées en France montrait lui aussi un solde négatif de plus de 7 milliards d’euros).

Mais, en comptabilité - comme dans la vie tout cours – on n’aime pas les déséquilibres. Dans le cas du déficit commercial, en face de ce solde de 7,42 milliards il va falloir inscrire un chiffre d’un même montant : ce sera celui des dettes – non pas de la France, mais des entreprises ou des ménages qui, globalement, ont plus acheté à l’extérieur qu’ils n’ont vendus à ce même extérieur.

Q : Si ce n’est qu’une question d’écriture comptable, où est le problème ?

En fait de problème, il pourrait ne pas y en avoir, si ces soldes n’étaient pas toujours en la défaveur du même, ou des mêmes pays (ou, plus exactement, de certaines entreprises ou de certains ménages). Les pays exportateurs nets – exemple de l’Allemagne ou de la Chine – feraient crédit (directement ou plus souvent par l’intermédiaire de banques) pendant un certain temps aux pays importateurs nets, en attendant que le ‘fléau’ de la balance penche de l’autre côté.

Q : A savoir que les pays anciennement exportateurs nets redeviennent à leur tour importateurs nets ?

Effectivement, puisqu’il est bien évident que si l’on en reste au seul niveau des flux de biens et de service, au niveau ‘consolidé’, au niveau ‘global’, c’est-à-dire au niveau mondial, les balances commerciales bénéficiaires des pays ‘exportateurs nets’ compensent exactement les balances commerciales déficitaires des pays ‘importateurs nets’.

Q : Mais que va-t-il se passer si certains pays restent sur une très longue période importateurs nets, c’est-à-dire déficitaires ?

C’est évidemment dans ce cas que les problèmes surgissent. Dans le cadre de la zone euro, c’est le cas de pas mal de pays, dont la Grèce, bien sûr, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France, …

Plusieurs ‘solutions’ – mais qui ne sont que des solutions provisoires – se présentent, mais ont toutes un pont commun. Elles font appel à un financement complémentaire, à diverses sources de crédit, issus du marché financier ou du marché monétaire.

Q : Je ne comprends pas. Ces besoins de financement, ils existaient déjà même pour des échanges ‘domestiques’, intérieurs à un même pays, ou pour des échanges ‘équilibrés’ entre pays. Il n’y a pas besoin de déficit(s) pour cela ?

Effectivement, dans une économie monétaire, comme toute économie moderne, nous n’échangeons pas réellement des biens ou des services directement contre des biens ou des services. Nous passons par un intermédiaire ‘universel’ permettant ces échanges, une monnaie – que nous supposerons unique pour le moment.

Q : Et quand cette monnaie n’est pas unique ?

Le problème se complique encore, nous y reviendrons, mais ce n’est pas l’essentiel du propos actuel. Revenons donc aux besoins de financement des déficits commerciaux en supposant, pour simplifier, que ces déficits concernent directement - et non indirectement - les pays - et non les entreprises du pays concerné.

Q : Voudriez vous nationaliser toutes les entreprises. Je ne vous savais pas aussi fervent des pays collectivistes ou ‘fan’ des kibboutz ?

Je ne suis pas spécialement collectiviste, vous avez raison, c’est juste pour simplifier mon argumentation. J’aurais d’ailleurs pu procéder autrement, et faire intervenir une banque centrale, pour chaque pays concerné, en supposant que tous les échanges internationaux, censés transiter par les douanes, s’effectuent aussi sous la supervision de cette même banque centrale, chargé aussi, en cas d’utilisation de monnaies différentes, de gérer le change. Ces détails sont certes importants, mais ne changent pas vraiment le fond du raisonnement.

Q : Je vous fais confiance sur ce point. Revenons donc au financement du solde ‘débiteur’ de certains pays, dont la Grèce.

Supposons donc que la Grèce ait un déficit commercial , en juin 2011, de 1 milliard d’euros.
Pour financer ce déficit elle peut se tourner vers des créanciers intérieurs – des grecs qui auraient quelques économies, ou des banques grecques qui auraient le pouvoir et la volonté d’émettre des crédits (exprimés en euro, seule monnaie que les banques européennes, sous certaines conditions, ont le droit de ‘créer ex nihilo’)

Q : Et cette première solution est impossible ?

Non, bien sûr, mais il n’y a peut être pas beaucoup de grecs, et encore moins de banques grecques, qui accepteraient de prêter à des entreprises grecques importatrices, ou à leur pays, vu le contexte économique actuel de la Grèce. En principe, on prête lorsque l’on pense être remboursé. Si vous prêtez en euros, vous ne savez pas ce que vaudra l’euro dans quelques années, même si vous espérez être remboursés. Et si vous prêtez en une autre monnaie, en une autre devise, les risques sont encore plus grands.

Q : Et pour les autres solutions ?

Une deuxième solution, pour financer ce million d’euros éventuels, serait de faire appel à des créanciers extérieurs, qu’ils appartiennent à la zone euro ou non. Cette deuxième solution peut prendre deux formes. Ces créanciers peuvent en effet être directement des banques, ou bien des intermédiaires financiers ‘trouvés’ sur les marchés financiers. Parmi les banques, il peut y avoir des banques centrales – par exemple, pour l’Europe, la BCE (qui peut prêter à des banques, mais qui a l’interdiction, depuis Maastrich, à prêter à des états). Pour les marchés financiers, cela va être la loi de l’offre et de la demande, bien influencée par les agences de notation qui vont décréter que tel ou tel pays est plus ou moins crédible, ou par d’autres indicateurs ou ‘faiseurs de roi’ qui décrèteront que telle ou telle entreprise est plus ou moins viable.

Q : Pouvez vous me dire quelques mots sur les agences de notation ?

Leur principe est simple. Ces agences donnent des bons ou des mauvais points aux débiteurs, que ce soit des grandes banques ou des états. Les débiteurs qui ont des « bons points » payent moins cher leurs emprunts, ceux qui ont des mauvais points payent plus cher, voire beaucoup plus cher.

Q : Lors du scandale des subprimes, on a vu que certaines agences pouvaient ne pas être tout à fait indépendantes, en ‘oubliant’ de donner de mauvais points à des débiteurs plus que douteux …

Tout à fait. Ainsi la compagnie d’assurance AIG qui avait la meilleure note (triple A) a du être sauvée par le Trésor américain – par un prêt de 175 milliards de dollars, après que Goldman Sachs ait réussi à faire couler son seul rival, Lehman Brothers.

Q : Avant de reparler de Goldman Sachs, et de son implication éventuelle dans les problèmes actuels de la Grèce, pouvez vous nous reparler du rôle du FMI ?

En ce qui concerne le déficit commercial, et les dettes des entreprises ‘privées’, le FMI n’a pas d’influence directe.

Q : Mais …

Mais, quand le FMI décrète que sans un régime d’austérité exorbitant, la Grèce ne s’en sortira pas, cela ne va pas aider les entreprises grecques à emprunter pour financer leurs importations, ou pour payer leurs collaborateurs en cas de mévente de leurs produits sur le marché intérieur grec.

Q : En fait, quand les agences de notation mettent de mauvaises notes, cela renforce le rôle de ‘sauveur’ du FMI ?

Certains n’hésiteraient pas à le suggérer.

Q : Donc, pas beaucoup d’espoir pour la Grèce ? Elle ne peut se sauver par ses propres moyens, si les agences de notation et le FMI misent contre ce pays.

En fait, deux menaces pèsent sur la Grèce. Si la Grèce accepte le diktat du FMI, de la BCE et du conseil de l’Europe, elle va – peut être – pouvoir rembourser une partie de sa dette, mais son économie sera ruinée. Je ne vois pas trop comment, en effet, les dettes liées au déficit commercial cumulé sur une ou plusieurs décennies ainsi que le déficit commercial actuel et futur peuvent diminuer si la Grèce entre en état de récession : à moins bien sûr de se passer de tous les produits importés, et de s’éclairer à la bougie …

Q : Et la deuxième menace ?

Si la Grèce n’accepte pas les pseudo solutions proposées par les instances internationales, elle ne pourra ni rembourser directement sa dette actuelle, ni emprunter à un taux raisonnable (5% au lieu de 15%) afin de tenter – par une opération de cavalerie – de trouver de nouveaux emprunts pour rembourser les anciens. Mais nous en reparlerons en fin d’interview, pour discuter des mesures annoncées ce jour (21 juillet) à Bruxelles.

Q : Et si nous reparlions du déficit et des dettes publiques. Si j’ai bien compris, ces deux questions sont liées ?

En fait, si nous considérions l’état grec comme une seule et même entreprise, la question des dettes publiques ne serait pas fondamentalement différent de celui du financement de son déficit commercial – à quelques points près, ‘techniquement’ non négligeables.

Q : Pouvez vous préciser ?

Le déficit budgétaire grec ‘nourrit’ les dettes publiques, puisque c’est l’accumulation des dettes passées – l’accumulation des déficits passés plus la ‘charge’, c’est-à-dire les intérêts à payer, de ces dettes – ajouté au déficit courant qui correspond aux dettes publiques grecques actuelles.

Ne négligeons pas le poids des remboursements partiels de cette dette (principal plus intérêts), dans l’accroissement de la dite dette. Le poids des seuls intérêts est d’ailleurs très loin d’être marginal. C’est ainsi que l’on a pu montrer, dans le cas de la France, que la dette publique française cumulée aurait été nulle en 2008 – au lieu d’être de l’ordre de 1350 milliards d’euros - s’il n’y avait eu aucun intérêt à payer sur les dettes cumulées depuis 30 ans.

Q : Mais cette question des intérêts intervient aussi dans les dettes privées et le financement des déficits commerciaux ?

Certes, même si l’on peut regretter que les états doivent se refinancer auprès de banques privées, au lieu de pouvoir se refinancer directement auprès de leur banque centrale – ce qui leur coûterait nettement moins cher.

Q : Voire ce qui ne leur coûterait rien du tout, avec la doctrine « 100% monnaie » d’Irving Fisher ou de Maurice Allais ?

C’est vrai. Mais revenons à deux particularités des dettes publiques, son existence, et son financement.

Q : Sur le déficit public de l’Etat Grec, on a parlé de l’incivilité grecque et de certaines fraudes ?

C’est sans doute vrai, et il est sans doute anormal que les plus riches ne payent pas d’impôts. Sur ce point, il serait sans doute plus qu’utile de faire une réforme fiscale d’importance.

Q : Du type de l’impôt sur le capital proposée par Maurice Allais ?

Oui, ce serait sans nul doute très utile. Et ne négligeons pas non plus que du fait des fraudes de la comptabilité nationale grecque – ou d’une façon très tendancieuse présentée par les auditeurs publics, avec les conseils très spécieux de Goldman Sachs

Q : Dont l’un des dirigeants vient d’être nommé à la tête de la Banque Centrale Européenne ?

Oui, la BCE vient de ‘toucher’ là un véritable ‘expert’ en manipulations financières… Mais revenons à la question du financement de la dette publique grecque. Là encore il n’y a pas beaucoup de possibilités…

Q : En dehors de votre solution, la répudiation totale...

Oui, nous y reviendrons en fin d’interview, pour en discuter à la fois son inéluctabilité et ses conséquences. Mais restons-en, pour le moment, aux solutions ‘classiques’, ‘orthodoxes’, mais qui ne peuvent marcher, ce que tout le monde sait…

Q : Mais que peu osent avouer ….

Tout à fait. Le financement de la dette grecque, actuelle et future, est plus ou moins crédible. On peut évidemment penser que si le déficit public décroit – diminution des dépenses et augmentation des recettes publiques – le signal envoyé aux créanciers, actuels et futurs, sera meilleur que si la Grèce ne s’attaque pas ‘sérieusement’ à ce déficit public.

Q : Même si l’on peut douter de la possibilité simultanée de l’augmentation des recettes et de la diminution des dépenses dans un contexte où la Grèce serait en récession de 5à 6% pendant 4 ou 5 ans ?

Oui, vous avez mis le doigt sur l’une des principales incohérences des différents plans de ‘sauvetage’ annoncés par les différents experts, parfois auto-proclamés – de la question grecque.

Q : Mais c’est pourtant la condition ‘sine qua non’ imposée par les organisations internationales, FMI en tête.

C’est vrai. Mais je crois que cela fait partie d’un jeu de rôle, qui serait comique si les conséquences n’en étaient si douloureuses pour les grecs d’abord, pour nombre de contribuables européens ensuite.

Q : Pour les grecs, je comprends. Mais pour les autres ?

Les divers financements évoqués pour ‘venir en aide’ à la Grèce sont en fait uniquement des opérations de cavalerie dignes de Madoff.

Q : Pouvez vous préciser ?

La dette publique grecque est de l’ordre de 340 milliards, soit près de 115% de son PIB (pour la France, sa dette publique 2010 est de 1650 milliards, à rapprocher de son PIB de l’ordre de 1950 milliards).

Q : J’ai même vu que certains estimaient cette dette à près de 140% du PIB grec. Il est vrai que la comptabilité publique grecque n’est pas un modèle de transparence.

C’est vrai, mais même avec les chiffres minimaux, les plus favorables à la Grèce, les ‘experts internationaux’ demandent à ce pays de réduire annuellement son déficit - voisin en 2010 de 30 milliards d’euros ( 9.5% de son PIB) - de plus de 10 milliards par an, associé à une diminution annuelle du PIB de l’ordre de 4%. Un effort comparable demandé à la France correspondrait à une réduction minimale de 65 milliards par an.

Q : Mais ‘on’ va leur prêter de l’argent ?

Effectivement. Dans les différents plans annoncés depuis plus d’un an, et rediscutés périodiquement, il est proposé de prêter de l’argent à la Grèce – qu’elle devra rembourser à un taux encore plus cher que celui auquel la Grèce est soumis actuellement – cet argent étant destiné à permettre le remboursement des prêts venant actuellement à échéance.

Q : Pouvez vous expliquer ?

Partons de la dette actuelle de 340 milliards, dont 34 milliards (plus les intérêts sur les 306 autre milliards) seraient dus en 2011. Différents prêteurs étrangers se sont engagés, sous condition, à leur accorder un prêt supplémentaire de 210 milliards (110 plus 100).

Q : En fait, ce n’est pas un prêt supplémentaire, c’est plutôt une ligne de crédit …

Oui, et c’est pour cela que j’ai parlé de cavalerie à la Madoff ou à la ‘Ponzi’. Il serait inconvenant, politiquement incorrect, voire ‘obscène’ de parler de « reconstruction de la dette », ou de moratoire, mais on fait presque ‘comme si’, sauf que cela va coûter encore plus cher à la Grèce, puisque les prêteurs vont emprunter à 3% pour pouvoir prêter à la Grèce à 5%

Q : Alors que si la Grèce empruntait directement sur les ‘marchés financiers’, elle devrait emprunter à 15 ou 20%...

Tout à fait. Voilà comment, sous prétexte d’apparaître comme des bienfaiteurs de la Grèce, on la fait mourir à petit feu.

Q : Mais si cela est vrai – et je n’en doute pas – quel est l’intérêt pour ces nouveaux prêteurs, puisque, au final, la Grèce ne pourra pas rembourser, que ce soit à 5 ou 20%

C’est bien là où se niche la ‘stratégie’ de certains, ‘stratégie’ qu’il vaudrait mieux qualifier de manipulation, voire d’embrouille destinée au ‘citoyen lambda’. En fait, pour dire les choses pudiquement ‘le milieu banco-financier international’ - que certains appellent l’empire, d’autres le capitalisme financier – va tenter de s’en sortir au mieux de deux façons.

Tout d’abord, essayer d’engranger le plus vite possible des remboursements des encours de crédits déjà engagés, à un taux supérieur au taux actuel.

Q : Et ensuite ?

Et ensuite, essayer de ‘refiler’ ces créances douteuses, voire pourries, ce ‘mistigri’ à d’autres.

Q : Quels autres ?

D’autres créanciers moins futés, moins rapides, moins puissants, ou complètement innocents : des créanciers « involontaires de leur plein gré ».

Q : Qui seront, pour une bonne part, sinon en totalité, des contribuables.

C’est d’ailleurs ce que vient de déclarer à demi mot la nouvelle directrice du FMI dès sa prise de fonction: il faut, dit-elle, que des créanciers ‘privés’ prennent la relève des créanciers publics. Derrière cette subtilité de langage, on peut tout comprendre, y compris la manipulation dont je parlais plus haut.

En fait, on se retrouve, du point de vue du système banco-financier, dans la même situation que lors de la crise de l’immobilier. Il y a des créances ‘pourries’ – ce ne sont plus les ‘subprimes’, ce sont des créances sur des états aux finances plus que douteuses, on a parlé des PIGS, ou des PECOS (Pays d’Europe Centrale, Orientale et du Sud …) – et il s’agit d’essayer de les faire assumer par d’autres que par les banques. Toujours ce ‘mistigri’…

Q : Mais peut-on faire autrement ?

Du point de vue des banques, sûrement pas, et c’est bien là tout le problème. Il n’est nul besoin d’être initié – le bon sens suffit - pour se rendre compte qu’une grande partie du pouvoir économique est entre leurs mains. En ait ce ‘système’ est face à deux difficultés assez différentes, l’une visible du grand public, l’autre beaucoup plus insidieuse, et peut être aussi dangereuse.

Q : Pouvez vous préciser ?

La première difficulté semble être la question de la titrisation des dettes souveraines, les fameux CDS « credit default swap ».

Q : C’est-à-dire ?


La titrisation – qui se concrétise principalement par des CDS (ou des CDO, mais peu importe ici) – consiste à mélanger de ‘bonnes créances’, des créances de père de famille, avec des créances douteuses, ou des actifs ‘toxiques’ – pour ne pas dire pourris – comme des dettes publiques grecques, et de sortir cela de leur bilan, ce qui permet ainsi aux banques de présenter un ratio de fonds propres/ créances plus satisfaisant.

Q : Et en quoi cela est-il insidieux ?

Pour deux raisons. D’abord, en ‘saucissonnant’ ainsi créances correctes et créances douteuses, les créances correctes finissant par ne plus représenter qu’une portion homéopathique de ces CDS ou autres ‘produits structurés’, les banquiers eux-mêmes ne savent plus quel est le montant exact de leur engagement ‘hors bilan’, d’autant plus que beaucoup de ces titres douteux se retrouvent hors de leur domaine de contrôle, à savoir sur les marchés boursiers et sur les marchés financiers.

Q : Et la deuxième raison ?

En cas de défaut de paiement de la Grèce – de plus en plus probable – les banquiers devront rembourser les acquéreurs de ces divers certificats, qui représentent peut être 5 à 10 fois le montant des dettes publiques grecques, personne n’en sait vraiment rien

Q : D’où évidemment, la volonté des banques de refuser de décréter, au moins ouvertement, le défaut de paiement de la Grèce …

Tout à fait.

Q : Et quelle serait la raison plus ‘grand public’ de ce refus des banques à accepter le défaut de paiement de la Grèce ?

Il paraît évident que si le système banco-financier accepte qu’un pays, aussi modeste soit-il, puisse ne pas rembourser, ce sera la fin de leur suprématie.

Q : Et si l’on oublie le point de vue des banques, y a-t-il une solution de sortie de crise ?

Je le pense, mais, pour cela, il faut accepter de raisonner en termes réels, économiques et politiques, et non uniquement en termes monétaires ou financiers.

Q : Que voulez vous dire ?

Une ‘solution’ qui consiste à épuiser un pays, à diminuer ses capacités de production, à augmenter son nombre de chômeurs en vue de rembourser ses créanciers n’a aucun sens – ou ne devrait en avoir aucun – et ne devrait donc jamais être envisagée. On peut comprendre qu’il faille produire plus pour rembourser ses dettes – si celles- ci sont justifiées. Mais il devrait être exclu de demander à un peuple déjà exsangue de se serrer encore plus la ceinture pour rembourser les « prêteurs », et ce d’autant plus que ces prêteurs sont des banques qui ont le privilège exorbitant d’émettre de la monnaie à peu près comme bon leur semble.

Q : Que faut-il faire alors ?

Pour se sortir de cette crise – qui ne peut que s’aggraver si l’on laisse le système actuel dont la seule stratégie consiste à repousser la solution des vrais problèmes ‘après moi le déluge’ tout en tentant de faire payer ceux qui n’en peuvent déjà plus ‘ – il faut que les états , l’état grec, l’état portugais, l’état français, …reprennent leur destinée en mains.

Q : Et comment ?

Pour la Grèce, et sans doute pour d’autres pays, plusieurs mesures m’apparaissent indispensables.

1) Tout d’abord, répudier une bonne partie, sinon l’ensemble de leurs dettes
2) Redonner à leur banque nationale le pouvoir de ‘battre monnaie’ (le ‘100% monnaie’ de Allais), en finançant éventuellement la partie non annulée des dettes publiques et en garantissant ainsi leur remboursement futur, en fonction des progrès de leur situation économique
3) Ensuite, entamer une réforme fiscale d’importance assurant à la fois des rentrées fiscales à la fois plus régulières, plus équitables et plus efficaces
4) Prendre des mesures de ‘protectionnisme social’ plus ou moins étendues permettant de rééquilibrer leurs échanges commerciaux, tout en essayant de développer leurs échanges avec les autres pays européens susceptibles de s’associer à de telles mesures.

Q : Vous pensez que les créanciers de la dette accepteront tout ou partie de la répudiation de cette dette ?

Je ne vois pas comment ils pourraient s’y opposer, si les grecs sont majoritairement convaincus que c’est la seule solution pour leur pays. Entre vendre leurs ‘bijoux de famille’, leurs îles, leurs entreprises publiques, voire leurs monuments historiques – ce qui ne leur rapporterait que 50 ou 60 milliards d’euros – ou faire un front commun contre le pouvoir du système banco-financier international, c’est aux grecs, et à eux seuls de choisir. Mais la ‘solution’ évoquée par les organismes internationaux n’est qu’une solution bâtarde, à la Madoff, qui ne peut que les appauvrir encore davantage.

Q : En supposant que la Grèce décide de suivre votre proposition, que va-t-il se passer pour d’autres pays, par exemple le Portugal ?

Il est à peu près certain que cela n’incitera pas vraiment le Portugal à s’acquitter de ses ‘obligations financières’, et, par contagion, le système financier tout entier risque gros.

Q : A moins que …

A moins que le ‘système’ ne comprenne qu’il vaut mieux perdre quelques centaines, voire quelques milliers de milliards, que de s’opposer à des dizaines de millions d’indignés un peu partout en Europe, voire dans le monde …. Le système monétaire, quel qu’il soit, à partir du moment où il n’apparaît plus comme une aide au développement économique, mais au contraire comme un frein et un obstacle, peut et doit être remis en question. La véritable richesse d’un pays, ce sont ses ressources diverses, et, plus particulièrement, ses ressources humaines. Mais ceci est une autre histoire, et un autre débat, qu’il faudra bien un jour permettre aux peuples de poser.

Q : Vous n’avez pas parlé de la sortie de l’Euro pour la Grèce. Est-ce une option ?

Je pense que cela serait une conséquence fort probable des mesures que je préconise, mais je ne pense pas qu’il faudrait en faire un préalable. Il est vrai que si la BCE ne permet pas que la Grèce ‘batte monnaie’, elle ne pourra que battre des « euros grecs » dont la valeur sera … ce qu’elle sera.

Q : Juste un dernier point, que pensez vous des dernières positions qui ont filtré de l’accord de Bruxelles de ce jour ?

Même si tout n’est pas encore ficelé, je vais reprendre les deux ou trois points qui semblent à peu près établis.

1) contrairement à ce qui était annoncé depuis plusieurs mois, une partie de la dette grecque est annulée (en termes diplomatiques « allégement de la dette grecque pour garantir sa solvabilité » ce qui signifie, en fait « un défaut de paiement partiel du pays »

2) « opération de cavalerie » permise par le fait que l’on va permettre à la Grèce d’emprunter pour rembourser ses dettes actuelles (là encore, en termes diplomatiques - ou manipulatoires -
« acceptation d’un "roulement" des dettes actuelles, ou plus exactement des titres correspondant, c'est à dire permission d’utiliser les remboursements des obligations grecques arrivant à échéance pour les réinvestir dans de nouveaux titres »

3) Le troisième point encore en discussion porterait sur le rachat direct, par un « fond de secours européen » des obligations d'état sur le marché secondaire, ce qui est une façon, jugée sans doute élégante par nos experts financiers, de tourner, sans le dire, l’article 123 du traité de Lisbonne interdisant aux états d’emprunter directement aux banques centrales.

Q : Et que faut-il conclure de tout cela ?

Je pense que rien n’est réglé, mais que la priorité, une fois de plus, semble avoir été de sauver les banques, et plus généralement le système financier et monétaire européen, et donc la pseudo solidité de la zone euro – sans véritablement s’attaquer au fond du problème, qui est simultanément social, politique et économique. Pour sauver le soldat euro, on va encore sacrifier pas mal de soldats européens, grecs et portugais en particulier.

Q : Monsieur le Professeur, je vous remercie.

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