Ne_Dites_pas_que_je_suis_protectionniste

Ne dites pas à ma mère que je suis protectionniste …

Il suffit de nos jours de suggérer que le libre-échange à tout va n’est pas la panacée pour s’entendre traiter de tous les noms par quantité d’experts, ou prétendus tels. Alors, si l’on ose parler de protectionnisme …

Q. On dit souvent, pourtant, que le libre échange a favorisé la croissance et le développement d’un grand nombre de pays ?

C’est vrai dans certains cas, et à certaines conditions. Mais quand on regarde la situation dans laquelle certains bassins d’emplois, ou d’ex- emplois, se retrouvent, en France, en Espagne, et dans nombre de pays européens, il est difficile d'affirmer que libre-échange rime avec prospérité.

Q. Suggéreriez-vous que le ‘protectionnisme’ devrait commencer par nos régions, avant de l’étendre au niveau de la France ou de l’Europe ?

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, la France a ses particularités historiques. Même sans reprendre entièrement la thèse de la désertification industrielle, et même économique, de nombre de nos provinces ou régions, on ne peut que constater qu’en dehors de l’île de France, complètement hypertrophiée, et de 2 ou 3 autres métropoles régionales, les bassins d’emplois ne sont pas légion, et sont plutôt en situation de déclin.

Si nos élus déplorent, à juste titre, cet état de fait, et réclament plus de protection pour leurs administrés, on ne comprend pas bien la logique qui leur fait demander une protection locale, et refuser de réfléchir à une protection nationale.

Q. Quand ils ne poussent pas de grands cris, en dénonçant une démagogie populiste, lorsque l’on évoque cette possibilité...

On a parfois parlé d’une spécificité française, consistant à expliquer une partie du chômage national par le manque de mobilité de certains demandeurs d’emploi. Mais il suffit de constater que cette mobilité dont on parle tant n’a jamais réellement été accompagnée par une politique d’aménagement du territoire. Quitte à être chômeur, nos concitoyens préfèrent demeurer en majorité à proximité de leur terre natale, de leur racines.

Q. L’enracinement que vous décrivez n’est-il pas condamné à tout jamais par le contexte économique actuel ?

Il est clair que l’internationalisation des échanges et la mondialisation ont essentiellement profité aux personnes les plus mobiles. Entre le financier international et le viticulteur de Provence, entre le brasseur de fonds et le tourneur fraiseur de Poissy, il n’y a évidemment aucune comparaison possible. La première catégorie va là où elle peut faire le mieux fructifier son argent – quand ce n'est pas l'argent des autres - ceux de la seconde catégorie restent le plus souvent là où ils ont obtenu leur premier emploi. Lorsque Peugeot délocalise en Roumanie, lorsque EADS ouvre des chaînes de montage en Chine, ce n’est pas l’ouvrier français qui va s’expatrier, même si l’argent, lui, n’a ni patrie ni morale.

Q. Vous avez peut-être raison, mais que peut-on y faire ? La France, comme beaucoup d’autres pays dépend de plus en plus des échanges commerciaux internationaux ?

Là encore, les caricatures vont bon train. Il ne s’agit pas d’éliminer tout échange commercial avec l’extérieur, d’ailleurs notre dépendance énergétique aux ressources fossiles importées ne nous le permettrait pas.

Il s’agit simplement – si l’on peut dire - de mettre en service des écluses pour réguler au mieux les flux de biens et services entre la France, et ses divers constituants, et l’extérieur. Ce sont des échanges équitables qu’il faut rechercher, des échanges qui n’appauvriraient ni n’enrichiraient la France.

Q. Des écluses, pourquoi pas, mais comment faire pour que ces flux s’équilibrent ?

Il y a plusieurs pistes envisageables. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que cela ne peut se faire tout seul en laissant simplement agir le sacro-saint marché.

Q. Pourquoi cela ?

Les entreprises, françaises ou étrangères, se préoccupent fort peu – même si on peut le déplorer – de la balance commerciale du pays où elles ont établi leur siège social. Ainsi une entreprise américaine bien connue, Apple, réalise l’essentiel de sa production en Extrême Orient, notamment en Chine. Ses bénéfices annuels colossaux, plus de 25 milliards de dollars, sont essentiellement dus au faible coût de fabrication de ses différents baladeurs ou autres ‘smartphones’, tablettes ou micro-ordinateurs.

Q. Et ces pratiques contribuent, bien sûr, au déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis de la Chine ...

Tout à fait. Et on pourrait dire la même chose d’entreprises ‘françaises’ comme Total – même si, dans ce cas, l’extraction de gaz ou de pétrole peut difficilement être faite en France.

Q. Mais les activités de raffinage et de transformation en produits chimiques pourraient être maintenues et développées en France …

Cela aurait un impact positif à la fois sur nos emplois et sur nos exportations. Les délocalisations dont notre tissu industriel, et social, souffre tant depuis des décennies sont dus essentiellement à ce genre de pratiques, qui conduisent à faire fabriquer (à l’étranger) par des esclaves pour faire acheter, en interne, par des chômeurs … Tant que l’on peut encore financer ces chômeurs.

Q. Cela étant dit, que peut-on faire ? Nombre de nos entreprises, ne fut-ce que pour rester compétitives, sont devenues multinationales ou transnationales. Comment voulez-vous les empêcher de faire cela, fabriquer à bas coûts, quitte à creuser ainsi notre déficit commercial, en rapatriant une partie de cette production ?

Aucun système économique ne peut survivre à long terme dans une telle situation de déséquilibres. Les rédacteurs de la charte de la Havane, en 1946-47, ainsi que Keynes lui-même, l’avaient bien compris. Aucun pays ne peut accepter un déséquilibre grandissant de son commerce international. Ce déséquilibre, même s’il est financé initialement par des créances de l’étranger – des dettes envers l’étranger – doit finir par être « épongé », d’une façon ou d’une autre, plus ou moins violemment.

Q. Ce n’est pas le rôle des marchés, d’équilibrer l’Offre et la Demande ?

Seuls les économistes les plus myopes peuvent imaginer cela, même si c’est cette pseudo théorie qui est répétée ‘ad nauseum’ sur la plupart des médias. Ce ne sont pas les sacro-saints marchés qui fabriquent et vendent, même si les marchés, hélas, spéculent de plus en plus sur les éventuelles déficiences de tel ou tel pays, de telle ou telle entreprise – spéculations qui deviennent de plus en plus « auto-réalisatrices », vu le montant des sommes engagées.

C’est donc en amont qu’il faut agir, au niveau des processus de production et de commercialisation. Les écluses, pour reprendre ce terme, doivent permettre d’équilibrer exportations et importations avant que d’éventuelles défaillances se produisent.

Q. Comment voulez vous vous ‘attaquer’ aux importations sans remettre en cause les exportations ? Ne craignez vous pas des mesures de rétorsion ?

Même s’il est de bon ton de dire que le freinage des importations aura nécessairement des conséquences sur les exportations, je ne le crois pas, pour au moins deux raisons.

Q. Lesquelles ?

La plupart des entreprises, nous l’avons vu, ne raisonnent pas de façon nationale, mais de leur strict point de vue « entrepreneurial ». Il s’agit donc de faire en sorte que les entreprises importatrices se sentent concernées en tant qu’entreprises, pas en tant que représentant telle ou telle nationalité.

Par ailleurs, même en adoptant un raisonnement national plutôt qu’entrepreneurial, en cas de fermeture totale de nos frontières – ce qui n’est absolument pas ce que je propose – les pays importateurs perdraient beaucoup plus que la France elle-même, puisque c’est notre balance commerciale qui est déficitaire, de près de 3.5% de notre PIB.

Q. Effectivement, les importateurs ont plus à perdre que les exportateurs. Mais je ne suis pas sûr de comprendre votre premier point ?

Ce que je suggère, en fait, est de répartir les produits importés par grandes catégories, ou secteurs, et de faire en sorte que les « écluses » fonctionnent elles-aussi relativement à ces grands secteurs: ainsi, pour les produits pétroliers raffinés, dont le flux d’importation représente 2 fois le flux d’exportation, ou encore le secteur « équipements ou machines », le flux d’importation étant, là encore supérieur au flux d’exportation.

Un premier mécanisme équilibrant serait ainsi de mettre les entreprises importatrices de ces secteurs en demeure, avec la coopération des entreprises exportatrices de ce même secteur – qui sont parfois les mêmes – d’équilibrer ces flux, le solde net étant aussi proche de zéro que possible. La même stratégie globale, le même ‘plan’, serait appliquée pour tous les grands secteurs structurellement déficitaires. Ce rééquilibrage, ou ce ‘troc’ macro-économique, ne nécessite aucun blocage particulier, puisque l’on se place à l’équilibre des échanges par grand secteur.

Voilà une autre façon de réhabiliter l'état stratège autrement qu'en le transformant en pompe fiscale plus ou moins sophistiquée et électoraliste.

Q. Ne croyez vous pas, s’il y a moins d’importations, que cela aura un impact négatif sur notre pouvoir d’achat, les produits importés étant selon toute vraisemblance moins chers que les produits ‘domestiques’ comparables ?

On peut effectivement se poser la question, mais plusieurs éléments laissent supposer que ce ne sera pas le cas.

Tout d’abord, rien ne dit que les importations vont nécessairement diminuer. Nos écluses peuvent permettre d’augmenter nos exportations, puisqu’il sera dans l’intérêt des importateurs, s’ils veulent continuer à importer les mêmes volumes de marchandises, de favoriser les exportations de leur secteur, ce qui aura une conséquence positive directe sur l’emploi, donc sur le pouvoir d’achat.

Par ailleurs, le déficit commercial représentant 3,5% de notre PIB, pour des importations de l’ordre de 23,5% du PIB, une remise à niveau de ce commerce ne sera pas nécessairement très sensible au niveau du panier de la ménagère. Enfin, d’autres mesures d’accompagnement peuvent éventuellement être associées à cette première mesure de contrôle de flux sectoriels, afin d’en effacer l’éventuel surcoût.

Q. Lesquelles ?

Parmi les mesures que l'on peut suggèrer, il y en a d’assez classiques, telles que le contingentement ou la taxation ‘sociale’ – pour les produits dont les conditions de fabrication ne respecteraient pas certaines normes éthiques ou écologiques – ou encore les droits de douane.

Q. Mais ces mesures peuvent avoir un effet contre-productif sur le pouvoir d’achat et inciter certains pays à faire ce qu’il ne faudrait pas faire, à savoir s’engager dans des mesures de rétorsion …

C’est bien pour cela que je suggère une autre mesure, plus facile à mettre en œuvre, et qui, elle aussi, s’appliquerait essentiellement à des catégories de marchandises, plus encore qu’à des pays, à savoir la récupération de la TVA.

Q. A savoir ?

Prenons un exemple, et supposons que le secteur « produits pétroliers raffinés », en dépit des mesures de rééquilibrage suggérées plus haut, ne soit pas à l’équilibre: les importateurs de ce secteur ne pourront récupérer alors qu’une partie de la TVA, cette partie étant d’autant plus réduite que le solde du secteur sera négatif. Et cela peut s’appliquer pour tout grand groupe de marchandises, indépendamment du pays d’origine – d’autant plus que les étiquettes d’origine ne veulent pas nécessairement dire grand chose.

Q. Merci de cet éclairage. Si je comprends bien, ce protectionnisme ‘raisonné’ n’est pas aussi stupide que ses détracteurs veulent bien le dire ?

Je crois effectivement que la mise en place d’écluses sectorielles, permettant de rééquilibrer en douceur et de façon positive notre balance commerciale, est une piste à creuser, piste qui respecte l’ensemble des acteurs concernés, entreprises, travailleurs, et pays.

Personne de raisonnable n’a véritablement intérêt à ce que les déséquilibres actuels finissent dans une explosion de violence aux conséquences imprévisibles. Mais nos élites sont-elles raisonnables, ou veulent-elles pratiquer la politique du pire et de la terre brûlée ?

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