CreditEtEpargnePourLesNuls_EtesVousCigaleOuFourmi
Crédit et Epargne pour les Nuls … Etes-vous cigale ou fourmi ?
Q. Le Crédit, cela
sert à quoi ? Et pourrait-on s’en passer ?
Question difficile, du moins sous cette forme, et que je
vais vous aider à préciser. C’est un peu comme si vous me demandiez, vaut-il
mieux épargner, ou consommer, ou encore vaut-il mieux être fourmi ou cigale.
Q. Et votre réponse
serait ?
Cela dépend, ou plus précisément il faut les deux, épargner
avant de consommer, mais faut-il encore pouvoir épargner.
Q. Comment cela ?
Dans une économie de pure subsistance, tout ce qui est
produit, ou récolté, au cours d’une journée est consommé, car la production est
si faible qu’il n’est pas possible de faire des stocks. Il y a 3 ou 4 mille
ans, c’était le cas de la plupart des civilisations, dont la survie dépendait essentiellement
de la nature, de la cueillette des fruits sauvages ou de la chasse. Nous avons
heureusement dépassé ce stade depuis longtemps, même si, pour diverses raisons,
souvent sordides, il y a encore des millions d’êtres humains qui meurent de faim, ou de malnutrition,
chaque année.
En fait, dans une économie ‘normalement’ développée, les
différents processus de production prennent un certain temps. En agriculture,
c’est une ou deux saisons, pour construire un airbus, c’est aussi plusieurs
mois, pour mettre en place une centrale nucléaire, c’est plusieurs années.
S’il n’y avait pas des stocks – de matières premières, de vivres, de biens divers nécessaires à une
vie ‘normale’ - permettant d’attendre la fin de ces divers processus de
production, aucune de ces productions ne serait possible, on vivrait au jour le
jour, en dépendant de la nature ou de la providence.
Q. C’est bien ce que
je supposais. L’épargne est nécessaire, il ne peut donc pas y avoir que des
cigales …
Certes, on peut dire cela, mais cette ‘épargne’ peut prendre
diverses formes. Ce qu’il est essentiel de comprendre, c’est que c’est
l’épargne physique qui est fondamentale, c’est l’existence de stocks divers et
variés qui importe.
Q. Si je comprends
bien, c’est comme pour la production et la monnaie. La monnaie n’est qu’une
façon d’évaluer et de faire circuler les diverses productions …
C’est tout à fait cela. En toute logique dire qu’il faut
épargner, ou que l’on a besoin d’une certaine épargne signifie seulement que la
production prend un certain temps, et que pendant ce temps il faut que tout le
monde puisse vivre, ce qi ne concerne pas que les « actifs »
d’ailleurs.
Q. Comment cela ?
Prenons le cas de la France, et de son PIB de 2032
milliards. Laissons tomber pour le moment les importations et les exportations.
Il y a à peu près 23 millions de personnes qui travaillent – du moins
officiellement - , pour que 65 millions puissent vivre. Il est clair que s’il n’y
avait pas de surplus « hors production », seuls ces 23 millions
pourraient vivre.
Si les retraités touchent une pension, ce n’est pas
seulement parce qu’ils ont d’abord travaillé, c’est essentiellement parce que
d’autres, plus jeunes qu’eux en principe, travaillent. Si la production
diminuait de 10% ou de 20% ou plus encore, l’ensemble de la population en
souffrirait, c’est une évidence qu’il est parfois nécessaire de rappeler.
C’est pareil pour les équipements ou les machines. Si elles
peuvent continuer à produire, c’est bien parce qu’il y a des
« intrants » qui existent, et que pendant qu’elles tournent, on peut
leur fournir différents matériaux, et que l’on peut aussi nourrir les ouvriers ou les employés qui y sont affectés.
Q. Bon, je pense avoir compris la nécessité
des stocks – ce que Marx appelait l’accumulation primitive ou parfois le
« travail mort ». Mais qui possède ces stocks, ou qui les
finance ?
Ces stocks sont nécessaires à toute économie, capitaliste ou
non, libérale ou étatique. On peut discuter sur l’appropriation des moyens de
production, et sur la finalité de leur utilisation. Certains stocks sont
possédés de façon privative, d’autres sont collectifs. L’essentiel est que ces
stocks, qui vont permettre de « tenir » jusqu’à la prochaine récolte
– quand il s’agit de produits agricoles – ou jusqu’à la prochaine vente – s’il
s’agit de produits industriels, existent.
En comptabilité nationale, on dit qu’il y a des agents
économiques qui ont des besoins de financement – les cigales de la fable, même
si ces cigales sont très importantes puisque, contrairement à la fable, la
plupart de ces agents ayant ces besoins de financement sont des entreprises,
petites ou grandes : ce ne sont pas, en général , des ménages
« surendettés » qui auraient tenté de vivre au-dessus de leurs
moyens.
Q. Et les
fourmis ?
Là encore, les fourmis de la fable vont être les agents
économiques qui ont des possibilités de financement, c’est-à-dire qui
consomment moins qu’elles ne perçoivent. Ce peut être de braves ménages économes,
mais ce peut aussi être des rentiers, voire les affreux « hommes aux
écus » dont parle là encore Marx dans le Capital.
Mais, en dehors de tout jugement de valeur, dès lors qu’il y
a besoin de stocks « physiques », il faut à la fois des fourmis et des
cigales, puisque pour pouvoir consommer davantage que ce qui existe, il faut
qu’il y ait d’autres personnes qui consomment moins.
Q. Et quelle serait la
solution ?
Dès lors que l’on comprend que le problème est global,
collectif, il faut que le contexte économique permette que les stocks
inutilisés aillent à ceux qui en ont besoin, soit pour produire davantage, soit
pour simplement subsister.
Mais, là encore, tout dépend du contexte. En économie de
croissance, il faut que les stocks permettent de produire davantage, d’une
année sur l’autre. Dans une économie stagnante – avec une croissance de la
production qui serait nulle, et si la population était elle aussi stable – il
suffirait de s’assurer globalement que les stocks soient suffisants pour
assurer le simple renouvellement des possibilités de production, que ce soit e
« facteur » humain ou le facteur matériel.
Q. Ainsi, en
croissance zéro, il n’y aurait plus besoin d’épargne ?
Disons que l’épargne serait une épargne de court terme,
permettant simplement de tenir jusqu’à la fin du cycle de production. C’est
sans doute un peu plus compliqué que cela, puisque certains processus sont de
très courte durée, d’autres beaucoup plus longs, mais, l’un dans l’autre, les
besoins de financement seraient compensés exactement par les possibilités de
financement sur la période considérée.
Q. Il y a quelque
chose que je ne comprends pas. Pourquoi certains épargnent, et pas d’autres.
Quel intérêt, si je puis dire, ont les épargnants de ne pas consommer tout ce
qu’ils possèdent ?
Il y a deux raisons
pour cela. Une raison ou une utilité collective – si pas de stocks, pas de
production possible, et tout le monde en pâtirait. Et certains métiers, nous
l’avons dit, ont besoin à la fois de plus de stocks et de plus de besoins de
fonds de roulement que d’autres. Entre un pizzaiolo et un constructeur
automobile, les besoins ne sont pas les mêmes.
Q. Hum, je ne suis pas
sûr que nos « épargnants » aient toujours en vue les besoins de la
collectivité …
Certes, mais cela signifie aussi que la collectivité peut
aussi se substituer à des épargnants insuffisamment altruistes pour financer ces
besoins de financement. Nous y reviendrons.
Mais la deuxième « motivation » de nos épargnants,
de nos fourmis, de nos « agents économiques à capacité de
financement », c’est bien sûr la récompense qu’ils pensent retirer de leur
« modération » à consommer, à savoir les intérêts qu’ils vont tenter
de percevoir, intérêts censés compenser leur « privation de
jouissance ».
Q. Certains appellent
cela le « prix de l’argent ». Cela paraît d’ailleurs assez normal, ne
trouvez-vous pas ?
Oui, jusqu’à un certain point, et pour une certaine durée
et, comme je vous l’ai dit, cela dépend du contexte économique. Mais il serait anormal que l’argent aille à
l’argent, indépendamment du fait que certains vont devoir travailler pour
fabriquer la production future, alors que d’autres pourraient se contenter de
« faire travailler leur argent ».
Q. Votre position peut apparaître quasiment gauchiste, sinon marxiste …
Pas vraiment. L’un des plus grands économistes français,
Maurice Allais, mort récemment, et qui avait la réputation d’être libéral – et
qui a d’ailleurs inspiré un certain nombre d’idées économiques du Front
National – distinguait les « revenus gagnés » - issus de l’innovation
et du travail, des « revenus non gagnés », correspondant à une simple « accumulation primitive »,
justifiée ou non.
Allais distinguait soigneusement, quoique avec des termes
éventuellement différents, les capitalistes financiers des capitalistes
entrepreneurs, sachant que, dans toute économie moderne, il faut des
« capitaux » pour fiancer les différents processus de production.
C’est une des raisons pour lesquelles il voulait, d’ailleurs, enlever aux
banques secondaires le privilège, qu’il jugeait exorbitant, de « battre
monnaie ».
Cela étant, l’épargne mise à la disposition des
« besoins de financement » de l’industrie ou du commerce peut être
rémunérée, mais à un taux « raisonnable », si cette épargne est
détenue par des particuliers.
Q. Qu’appelez-vous un
taux raisonnable ?
Ce taux ‘raisonnable’ doit être voisin du taux de croissance
de l’économie dans son ensemble – ou du secteur d’activité considéré :
cette règle est parfois appelée « règle de l’âge d’or ».
Ainsi, si le taux de croissance espéré, hors inflation, est
de 1%, avec un taux d’inflation anticipé de 2%, le taux d’intérêt ne devrait
pas dépasser 3%. C’est d’ailleurs à peu près cela qui est appliqué par l’Etat
au livret A ou au LDD, mais ce n’est évidemment pas cela qui est pratiqué par
les banques de second rang quand elles sont sollicitée pour financer les
besoins des entreprises. Avec une croissance nulle, et une inflation anticipée
de 1,5%, le taux d’intérêt réclamé serait donc voisin de 1.5%
Q. Et si l’on voulait
financer un secteur en forte croissance (espérée)?
On peut imaginer le même procédé. Pour une croissance
anticipée de 3% et une inflation de 2%, un taux d’intérêt envisageable pourrait
avoisiner 5%.
Q. Et pourquoi pas
davantage ?
Parce que, comme le soulignait Allais, il n’y a aucune
raison que le secteur « financier » s’enrichisse aux dépens du
secteur économique, sous le seul prétexte, soit qu’il dispose d’économies, soit
qu’il a le pouvoir d’accéder à des sources de financement dont le commun des
mortels ne peut disposer.
Q. Et dans le cas où
certains de ces besoins de financement seraient assurés ‘collectivement’ ?
Si cette épargne est détenue – ou financée - collectivement, en vue de financer des investissements
collectifs destinés à satisfaire le « bien commun », c’est-à-dire des
besoins collectifs, elle n’a pas, bien sûr, à être rémunérée, puisque la
décision d’investissement et de financement est une décision collective.
Nous serions ramenés
au premier cas, où la seule rémunération de l’épargne – existante ou financée
par création monétaire – consisterait en la satisfaction d’avoir réalisé des
investissements « pour le bien commun ».
Q. Mais vous ne pensez
pas qu’un financement ‘gratuit’ – puisque sans rémunération – ne conduirait pas
nécessairement à des dérives financières et à des gâchis économiques.
C’est un peu ce genre de ‘raisonnement’ qui a justifié la
loi de 1973 et ses diverses ‘améliorations’ concrétisées dans le traité de
Maastricht (article 104) et dans le traité de Lisbonne (article 123), qui ont
contribué à l’explosion de notre dette publique.
Alors même que les instigateurs de ces diverses
améliorations prétendaient que les banques commerciales géreraient mieux
l’argent-monnaie que la banque de France et l’Etat lui-même.
Ceci n’empêche pas, bien sûr, d’être très stricts sur le
financement de ces travaux collectifs, et sur le planning et le contrôle de
l’avancement des dits travaux, qui peuvent d’ailleurs être confiés, pour tout
ou partie, à des entreprises privées.
Q. En dehors du
financement par les banques, par l’épargne populaire ou par la collectivité,
voyez- vous d’autres possibilités de financement ?
En fait, ces diverses possibilités ou facilités de
financement – que l’on appelle couramment le crédit, synonyme de
‘confiance’ - n’ont un sens que parce
que les « prêteurs », privés ou publics, font confiance à leurs
débiteurs pour rembourser.
Cette ‘confiance’ peut être fondée sur l’existant ou le
futur proche (créances hypothécaires dans l’immobilier), ou bien encore reposer
sur des anticipations sur l’état futur de l’économie. Une quatrième source de crédit, ou de financement, peut donc fort bien
provenir d’entreprises qui se prêteraient entre elles.
Ce crédit inter-entreprises, par exemple du meunier envers
le boulanger, ou d’un fournisseur de pièces détachées envers tel ou tel
industriel, a toujours existé, mais est lui aussi très sensible au contexte
économique. Il n’est donc pas extrêmement florissant de nos jours, du moins en
France.
Q. Une dernière
question. Pensez-vous que l’épargne de
nos compatriotes est à l’abri d’une mésaventure de type chypriote ?
Dans l’état actuel de notre économie, je ne peux, hélas, que
répondre négativement. L’épargne des français se montait, fin 2012, à plus de
1000 milliards d’euros – alors que le prétendu fond de garantie ne représente
que quelques milliards. La seule véritable garantie, c’est l’état de notre
économie. Si elle retrouve le chemin de la croissance, les
« économies » de nos compatriotes et leurs retraites seront
garanties. Dans le cas contraire …
Q. Mais quand même, le
patrimoine physique de la France n’est pas sans valeur …
Certes. On peut toujours vendre le château de Versailles au Qatar,
ou la tour Eiffel, ou, mieux ou pire encore, l’essentiel de nos usines. C’est
la voie empruntée par la Grèce depuis 6 ans. Mais une fois que cela sera fait,
croyez-vous que l’économie française sera en meilleur état que
maintenant ?
Non, la seule façon de sauvegarder notre épargne est de
relancer notre économie. Et si l’on reste sous la coupe de la commission de
Bruxelles, je ne vois pas comment la France peut réaliser cela.
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