Monnaie_Pour_Les_Nuls
La Monnaie pour les Nuls… Et si nous parlions d’argent ?
Q. Une économie, sans
argent, ne serait-ce pas le rêve ?
Hélas, non, il ne peut y avoir d’économie moderne sans
argent, ou du moins sans argent-monnaie. On pourrait, théoriquement, s’en
passer, mais, pratiquement, c’est impossible.
Q. Pourquoi
cela ? Je croyais que le plus important, en économie, c’était la capacité
de production, en personnel, en équipements, en matériaux de toute sorte ?
Vous avez raison. Si l’on imaginait un monde sans ces
moyens, ou « facteurs », de production, rien ne pourrait être
produit. Alors que l’on pourrait, effectivement, imaginer un système économique
sans monnaie, mais ce serait tellement compliqué de le faire fonctionner que
les éventuels avantages de ce monde sans argent ne compenseraient pas ses
principales qualités.
Q. Pourriez-vous
préciser tout cela ?
Il y a au moins deux propriétés que devraient avoir toute
monnaie, une propriété d’unité de compte – pour pouvoir comparer facilement des
pommes, des poires, et des … scoubidous – C’est le rôle du prix, que l’unité de
compte existe réellement ou pas d’ailleurs.
On pourra ainsi dire qu’une voiture de telle marque, de
telle modèle, vaut 100 000 unités de compte, 100 000
« trucs », et que ce kg de nectarines du marché de Millas vaut 2
unités de compte, 2 « trucs ».
La deuxième propriété, qui transforme réellement une unité
de compte, le « truc », en véritable monnaie, c’est le fait que c’est
un moyen de paiement, accepté sinon partout, du moins à l’intérieur d’une zone
économique, une zone monétaire, bien délimitée, par exemple la France, ou
l’Europe, ou les USA, ou la Chine.
Q. C’est ce que l’on
appelle un moyen d’échange universel ?
Oui, c’est cela, du moins si l’on comprend bien, restriction
importante, que le côté ‘universel’ de ce moyen de paiement n’est effectif qu’à
l’intérieur d’un certain ‘univers’, qui peut être relativement réduit. Ainsi,
pour l’ancien franc Pinay, celui créé en 1958 et qui a été remplacé,
officiellement – et peut être provisoirement – par l’Euro en 2002, cette
monnaie était universellement acceptée comme moyen de paiement partout en
France. Elle avait à la fois cours légal et forcé, à savoir que cette monnaie
ne pouvait être refusée pour un paiement en France – et était aussi acceptée
dans les zones frontalières.
Q. Et si, malgré tout,
on vous refusait cette monnaie, ce moyen de paiement ?
En fait, ce serait illégal. Mais, attention, il ne faut pas
confondre le concept, le franc ou l’euro, avec son support. Quand vous avez à
payer 100 euros, certains supports peuvent vous être refusés. Un chèque, s’il
est supposé être sans provision, une carte de paiement, si elle est supposée
avoir été volée, ou être sans provision, ou bien encore un billet, s’il paraît
suspect.
Mais, en général, le vendeur acceptera au moins l’un de ces supports,
sinon tous. Il peut simplement demander à vérifier l’authenticité du support
présenté, en aucun cas il ne peut refuser d’accepter l’argent correspondant.
Comme je l’ai écrit plus tôt, ce serait illégal, et l’acheteur potentiel
pourrait déposer une plainte contre le
vendeur, et ne s’en priverait sans doute pas.
Q. Et si je ne veux
pas vendre mon produit de 100 ‘trucs’,
100 euros par exemple, contre un simple morceau de papier sur lequel il y
aurait marqué « 100 trucs », ou 100 euros.
Dès lors que vous avez mis en vente un produit ou un service
quelconque à un prix de 100 ‘trucs’, vous êtes obligé d’accepter n’importe quel
client vous présentant un billet de 100 ‘trucs’, aux restrictions précédentes
près. Sinon, ce serait un refus de vente.
Q. Mais qui me prouve
que ce billet a la même valeur que mon produit, disons que mes 50 kgs de
nectarines du marché de Millas ?
En France pour le franc Pinay – ou dans la zone Euro, depuis
2002, pour l’euro – c’est la banque de France – ou la BCE – qui sont censées
garantir cette valeur.
Dit autrement, avec un billet de 100, vous pouvez acheter
n’importe quel produit dont le prix de vente serait égal à 100. La seule
possibilité laissée au vendeur, c’est de modifier son prix, s’il pense que son
produit vaut davantage : mais une fois que le vendeur potentiel a fixé son prix, il doit accepter toute
transaction à ce prix, « produit contre billet » (ou contre chèque,
ou contre paiement par CB).
Q. Excusez-moi d’insister,
mais qui décide que tel billet vaut 100, tel billet vaut 20, tel billet vaut
500 ? Et qui décide de la quantité de billets en circulation ? Je
suppose que cette quantité doit correspondre, d’une certaine façon, à la
production physique dont vous parliez précédemment ?
Ces questions sont tout à fait légitimes. Je vais prendre
l’exemple de la France, dont la production annuelle, fin 2012, avait été
évaluée à 2032 milliards d’euros.
D’après vous, combien faut-il de billets, ou plus exactement
quelle devrait être la somme de monnaie mise en circulation pour pouvoir
acheter ce PIB ?
Q. Je ne sais
pas : Je suppose qu’il y a un piège, et qu’il ne faut pas répondre 2032
milliards ?
Effectivement, c’est beaucoup moins. Et si je vous disais
qu’en moyenne, un même billet sert en moyenne 2 ou 3 fois avant d’être retiré de la circulation ?
Q. Là encore, je sens
le piège, même si j’ai bien envie de diviser 2032 par 2 ou 3 ?
Là encore, vous avez raison de vous méfier. Ce qui compte,
ce n’est pas directement la durée de vie d’un billet – d‘autant plus que les
billets de 500 euros tournent moins (c’est-à-dire passent moins de mains en
mains, ou de poche en poche) que les billets de 5 euros - mais bien le nombre d’échanges monétaires
ayant lieu en une année. C’est ce que l’on appelle la vitesse de circulation de
la monnaie.
Si cette vitesse était de 10, cela signifierait que l’on
aurait seulement eu besoin, en 2012, de 203 milliards d’euros pour pouvoir
« se payer » un PIB de 2032 milliards d’euros.
Q. Et, sous cette hypothèse,
je suppose qu’il aurait simplement fallu que la Banque de France – ou la BCE –
«imprime » 203 milliards d’euros ?
Hélas, non, car contrairement à ce que l’on pense, ce n’est
pas la Banque de France, ou la BCE, qui sont les seules entités à avoir un pouvoir monétaire. Ce pouvoir
monétaire, quoique important, est relativement faible par rapport au pouvoir de
création monétaire des banques « commerciales », dites aussi
« de second rang », comme le sont en France la BNP, le Crédit
Agricole ou la Société Générale.
De fait, on considère qu’il y a 4 à 5 fois plus de monnaie
« créée » par les banques « secondaires » que par les
banques centrales – ce chiffre étant valable pour la zone euro, et pouvant être
différent au Canada, au royaume Uni ou aux USA .
Par ailleurs, la vitesse de circulation de la monnaie, qui
n’est pas véritablement constante – elle dépend du contexte économique, de
l’état de l’opinion (les fameux « esprits animaux de Keynes »), de
différentes variables financières (taux d’intérêt à plus ou moins long terme, etc.),de
la politique monétaire des banques centrales, de l’état des marchés financiers),
- n’est pas de 10, mais elle est plutôt légèrement inférieure à 3. Mais même
sur ce point, les experts divergents.
Q. Comment cela ?
Je suppose qu’il suffit de regarder les chiffres, en supposant qu’ils sont à
peu près fiables …
En fait, il y a plusieurs définitions de la monnaie.
Il y a la monnaie dite « centrale », composée des
monnaies – et de quelques pièces – ainsi que des comptes que sont obligés de
posséder les banques secondaires auprès de la banque centrale.
Fin 2012, il y avait 173 milliards d’euros – sous forme de
billets – en circulation en France (c’est une estimation) et 134,5 milliards en
« réserves et facilités de dépôt » sur les comptes des banques
secondaires auprès de la banque de France, d’où un total de 307,5 milliards
d’euros pour cette « base monétaire ».
Q. Dans ce cas-là, la
vitesse de circulation, si je divise le PIB par cette base monétaire, serait de
l’ordre de 7 ?
Oui, mais ce n’est
jamais cette monnaie-là qui est utilisée pour évaluer la vitesse de circulation.
Il y a 3 autres définitions de la monnaie possible, ou trois dénominations, M1,
M2 ou M3, suivant que cette monnaie est plus ou moins disponible, plus ou moins
liquide.
Q. Si je comprends bien,
non seulement la vitesse de circulation est élastique, mais les définitions
utilisées peuvent varier ?
En fait, ce qui est véritablement de la monnaie, au sens
pratique du terme, est la monnaie M1, celle qui correspond à l’argent que vous
pouvez dépenser sans délai, ni restriction.
En décembre 2012, cette masse monétaire, cet agrégat, était
évalué pour la France à 749 milliards d’euros, dont 173 milliards de monnaie
centrale « physique », c’est-à-dire de billets imprimés par la banque
de France (ou la Banque Centrale Européenne).
Q. Il y aurait donc
près de 600 milliards, 576 milliards d’euros, qui n’auraient pas été créés par
la banque centrale, BdF ou BCE, mais par les banques secondaires.
Oui, c’est tout à fait cela. Ces 576 milliards, ce sont en
fait des dépôts à vue, qui correspondent, le plus souvent, à des prêts que les
banques secondaires ont accordés aux entreprises ou aux particuliers.
Q. Mais ces prêts, ces
comptes à vue, ils correspondent bien à quelque chose de concret ?
Oui et non. Les banques ont évidemment pris des garanties,
réelles ou potentielles. Ce peut être des prêts hypothécaires, correspondant
donc à quelque chose qui existe déjà, ou qui est en cours de construction. Ce
peut être aussi des « garanties » sur des anticipations, sur l’avenir,
sur l’idée que l’entreprise ou le ménage qui s’endette va pouvoir rembourser,
avec intérêt, le prêt consenti.
Q. Cette création
monétaire, c’est plutôt bien, non ? Cela permet de se développer ?
Oui et non. Il faut bien comprendre que les banques ont une
vision micro-économique, relativement myope, des possibilités de remboursement
de leurs débiteurs. En période d’euphorie, elles vont trop prêter, d’où des
risques de surchauffe, d’inflation. Et, en cas de mauvaise conjoncture, elles
ne vont plus prêter assez, ce qui va enfoncer encore davantage l’économie dans
la dépression, la récession, la crise.
C’est ce qui s’est passé en 1929, c’est ce qui se passe
périodiquement depuis lors, et c’est ce qui se passe depuis 2008 (cf. aussi Derrière les soubresauts de l'argent-monnaie une catastrophe annoncée). Les banques
secondaires ne prêtent plus, ou, quand elles prêtent c’est essentiellement pour
des visées spéculatives, pour jouer tel pays contre tel autre, telle action
boursière contre telle autre.
Seule la puissance publique pourrait avoir une vision
d’ensemble et des moyens d’action, mais les lois sur la concurrence et les
traités européens l’empêchent d’utiliser cette éventuelle vision, et la privent
de son pouvoir monétaire. La banque de France n’impulse pas, ne peut plus
impulser – même si elle le souhaitait – l’économie française. Là encore, c’est
la commission européenne, la BCE, et parfois le FMI, qui décident à sa place, à
la place des autorités françaises, tout
en laissant souvent les banques secondaires continuer à prêter à mauvais
escient, en fonction de leurs propres objectifs, qui correspondent bien
rarement au bien commun dont nous parlions dans un autre billet.
Q. Que faudrait-il
faire alors ?
La solution est connue, depuis Fisher et Allais. Ce serait
d’empêcher les banques de créer de la monnaie, et de laisser entièrement ce
soin à la Banque de France, qui pourrait ajuster beaucoup plus finement la
quantité de monnaie nécessaire aux besoins réels de l’économie.
Mais, bien entendu, ceci n’est pas possible, avec les
traités européens actuels.
Q. J’ai cru comprendre,
pourtant, que la BCE avait récemment injecté dans l’eurozone des quantités de
monnaie gigantesques. C’est ce que l’on appelle, je crois, des facilités
monétaires exceptionnelles ou « non conventionnelles », proches du le
« Quantitative Easing » de la Réserve Fédérale US ?
Vous avez raison. Cette action, qui n’est d’ailleurs pas
vraiment conforme aux traités, ni au règlement intérieur de la BCE – mais,
apparemment, quand c’est la BCE qui le fait, elle a tous les droits – aurait pu
modifier la masse monétaire de l’Eurozone, et plus particulièrement celle
disponible en France.
Mais il n’en a rien été.
Q. Pourquoi
cela ?
Si la base monétaire a pu être augmentée, au moins
momentanément (près de 500 milliards d’Euros, pour l’eurozone, entre nov. 2011
et sept. 2012), cela n’a eu quasiment aucun effet sur la masse monétaire M1,
pour la France comme pour l’Europe.
Seuls les fonds propres des banques ont été impactés, et
leurs dettes plus ou moins douteuses – en partie des obligations dites
« souveraines » concernant la Grèce, l’Irlande, Chypre, l’Espagne et
le Portugal - ont « simplement »
été transférées de leur actif à l’actif de la banque centrale.
Q. Si je vous suis,
cela signifierait que la « banque pourrie », la « bad
bank » des anglo-saxons, c’est maintenant la BCE ?
Je n’irais pas jusque-là, car avant que la BCE ne
s’effondre, il faudrait vraiment une catastrophe planétaire. Une banque
centrale, aussi mal gérée qu’elle soit, est nécessairement moins fragile qu’une
banque secondaire, puisque , en dernier ressort, ce seront les pays concernés,
et donc leurs contribuables et leurs épargnants, qui devront, ou devraient,
venir à son secours.
Q. Une dernière
question. Vous nous aviez parlé d’autres façons de mesurer la monnaie, d’autres
agrégats monétaires. Quels sont-ils ?
Oui. Cela concerne l’épargne et ce que l’on appelle aussi parfois
la quasi-monnaie. Mais ces concepts feront l’objet d’un autre billet.
Contentons-nous ici de dire que M2 contient non seulement la monnaie
véritablement disponible immédiatement,-
c’est-à-dire la somme dépôts à vue plus billets en circulation (dans les
poches des ménages ou dans les coffres des banques ou des distributeurs
automatiques) mais aussi les dépôts à court moyen terme (inférieurs à 2 ans)
M2, pour la France, valait 1514 milliards d’euros en décembre 2012 (contre 749
milliards ‘seulement’ pour M1).
Dans la réforme monétaire proposée par Allais et certains de
ses disciples, M1 et la partie court terme de M2 devait être gérée uniquement
par la banque centrale, les banques secondaires devant se contenter de gérer
cette nouvelle monnaie sans avoir l’autorisation d’en créer une nouvelle.
Mais ceci est une autre histoire.
En ce qui concerne le dernier agrégat, appelé M3, il regroupe
en plus de M2 environ 430 milliards (fin 2012) de divers titres et obligations,
plus ou moins liquides mais qui demandent un certain temps pour être converti
en véritable monnaie, au risque parfois d’une décote importante.
Q. Si je comprends
bien, la fameuse loi bancaire dont on a tant parlé cet automne et cet hiver n’a
jamais abordé le fonds du problème, à savoir celui d’une politique monétaire
qui permettrait à la France d’accompagner la renaissance, si nécessaire, de son
industrie et plus généralement de son économie.
C’est vrai. Mais comment en vouloir à un ministre de l’économie
qui est, au mieux, un grand commis aux ordres de Bruxelles et de la BCE. Il ne
peut, dans ce contexte, que tenter de faire les gros yeux aux banques et à
leurs dirigeants, sachant qu’il n’a quasiment aucun pouvoir sur eux, bien au
contraire.
Parlez-lui de monnaie, il vous répondra « BCE », parlez-lui
de politique industrielle, il vous répondra, en faisant des bonds de cabri « croissance,
croissance, où es-tu ? », parlez-lui de politique industrielle, il
vous répondra « emplois aidés », parlez-lui de pouvoir d’achat il
vous répondra « prime de rentrée scolaire et sérieux budgétaire ». Ce
pauvre ministre serait presque à plaindre, si le sort de la France n’était pas
si mal engagé.
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