Double imposture des experts du Monde à propos des dettes et de l'Euro
Par Bruno Lemaire, club Idées Nation.
Avertissement : Deux
articles, parus à deux dates différentes, l’un le 18 août et l’autre le 4
septembre, ont pu jeter un certain
trouble dans le monde politique. Le premier, signé par Maxime Vaudano,
journaliste au Monde, tentait de remettre en cause la position du Front
National sur l’impact sur les dettes publiques qu’aurait la sortie de l’Euro.
Le deuxième, présenté
sous forme de tribune et cosigné par deux étudiants de Normale Sup, était plus
subtil, puisque ces deux apprentis scientifiques acceptaient, plus ou moins, la
position du Front National sur la question des dettes publiques, mais souhaitaient
attirer l’attention sur une erreur que le Front National commettrait à propos
des dettes privées.
Pour faciliter la
lecture de notre billet, nous parlerons de deux ‘impostures’, peut-être pas
volontaires, l’une à propos de la question des dettes publiques, la seconde à
propos des dettes privées.
Première imposture,
le journaliste du Monde traite la question de la dette publique de façon très ambiguë.
Il n’ose pas dire que la loi « lex monetae » ne s’appliquera pas à
97% des dettes publiques françaises, puisqu’elles sont rédigées en contrat de
droit français (ce qui, avec une dépréciation de 20% de 3% de 2000 milliards
correspondrait à une pénalité de 12
milliards d’euros).
Maxime Vaudano, ne pouvant remettre en cause l’aspect
juridique de la « Lex Monetae » pense pouvoir attaquer plus subtilement
la position du Front National en arguant que les créanciers - ‘étrangers’ ou
non - ne seront pas contents – ce qui est vrai – et que, belle logique, ce ne
serait donc pas un problème juridique mais politique et, donc (sic !) qu’une
telle sortie de la zone Euro n’est pas possible sans déclencher un cataclysme.
Il est vrai qu’avec un Hollande ou un Sarkozy au pouvoir,
cela ne risquait pas d’arriver. Petite cerise sur le gâteau de cette première ‘démonstration’.
Notre journaliste va jusqu’à écrire : puisque personne n’est jamais sorti
de la zone Euro, on ne sait donc pas ce qui se passera, (et donc le message
subliminal : ce serait donc folie d’essayer). Il suffit de se souvenir que
les changements de nomination ou de valeur d’une monnaie ont été légion au
cours de l’histoire économique pour comprendre la pauvreté d’une telle
argumentation.
Pour comprendre l’existence de cette loi, qui peut
apparaître étrange, ou « anti-créancier », il faut bien percevoir que
la « lex monetae » ne doit pas être appréhendée dans un seul sens. Rien
n’empêche d’imaginer, en effet, que si, après la France, l’Allemagne sortait de
l’Euro – car il est fort probable que l’eurozone éclate si la France s’en
allait – les créanciers de l’Allemagne, eux, s’en sortiraient fort bien, si le
nouveau mark s’apprécie vis-à-vis du monnaie, comme c’est probable. Appliquer
cette loi peut être parfois désagréable, mais elle peut aussi profiter, dans
certains contextes, aux créanciers.
La deuxième imposture
- qu’il est intéressant de trouver dans le même journal, une quinzaine de jours
plus tard, sous forme de tribune cette fois - est issue du travail sans doute
sérieux, mais pour le moins inexact, de deux jeunes normaliens, qui ont sans
doute survolé trop rapidement certains points.
Le sujet est fort intéressant, puisqu’il concerne les dettes
privées des grandes entreprises privées, que l’on peut estimer à 1700
milliards, dont 70% ne serait pas en droit français.
Nos étudiants se livrent alors à un petit calcul – en fait
simple règle de trois du niveau de nos élèves de CM2, ou qui devrait être de ce
niveau. Ils ne remettent pas dans ce
contexte l’application des principes de la « lex monetae », mais déclarent que
20% de 70% de 1700 milliards cela fait beaucoup (en fait 14% de 1700, soit
environ 238 milliards), ce qui est
indiscutable.
Leur première erreur, mise en valeur par les experts du groupe
Nomura, porte sur ce chiffre. D’après Jens Nordvig, économiste en chef de la
section « taux de change » de la grande banque Nomura, ce n’est pas 70% qu’il
faudrait retenir, mais seulement 33%. Ce
qui ramènerait leur calcul à 112
milliards, ce qui reste énorme, mais c’est quand même 126 milliards de moins.
Roulement de tambour :
A ce petit détail (126 milliards) près, le FN se serait donc trompé, et leurs
économistes sont des escrocs, des menteurs, des charlots [barrer la, ou les,
mention(s) inutile(s)].
Il n’est pourtant pas nécessaire d’être sorti de Polytechnique,
de Normale Sup ou même d’HEC pour comprendre que les bases de cette réfutation
sont stupides. Le moindre comptable d’entreprise aurait pu le dire.
Tout d’abord, face aux dettes de ces entreprises publique,
face à ce « passif » exprimé très souvent en dollars, ou en euros,
peu importe ici, il y a des actifs, eux–même exprimés, ou exprimables, en
dollars ou en euros. C’est l’actif net
qu’il faut regarder. Or il se trouve que cet actif net est lui-même positif en
dollars ou en euros, ce montant positif étant évalué à 13% du PIB, soit environ
260 milliards. La seule chose qui pourrait se passer, suite au remplacement de
l’euro par le franc nouveau, ce serait en fait que les entreprises concernées
se retrouvent plus riches que précédemment, grâce à cette dépréciation du franc
nouveau vis-à-vis de l’euro ancien. Ce n’est donc pas l’équivalent de 112
milliards d’euros que les grandes entreprises perdraient, mais 260 milliards qu’elles
gagneraient.
Le deuxième point est du simple bon sens, tellement évident
que beaucoup n’y penseraient sans doute pas. Les entreprises qui empruntent en
dollars, ou en euros, travaillent eux-mêmes, le plus souvent, en dollars ou en
euros. Autrement dit, face à un bilan en dollars ou en euros, leur chiffre d’affaires
est lui-même en dollars ou en euros. La dépréciation du franc vis-à-vis du
dollar n’aurait donc aucun effet pour leurs dettes, et risque seulement d’améliorer
leur trésorerie, puisque l’un des objectifs d’une dépréciation, c’est justement
d’améliorer leurs exportations, et donc leur chiffre d’affaires.
Oui, vraiment, les auteurs de ces deux articles sortis si
complaisamment dans le « journal de référence » devraient revoir
leurs classiques, au lieu de soutenir, par idéologie ou par ignorance, de
telles inexactitudes, pour ne pas dire stupidités.
On pourra consulter avec profit sur ce sujet deux autres billets, l'un de Jacques Sapir, l'autre d'un jeune économiste promis au plus bel avenir
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