Politique d'échanges et protectionnisme intelligent
par Janpier Dutrieux, de "Prospérité et Partage" et Bruno Lemaire, club Idées Nation.
Avant-propos
Il s’agit ici de préciser concrètement des mesures de protectionnisme intelligent, que nous
suggérons d’appeler « politique d’échanges », puisqu’il s’agit de
présenter un modèle de développement permettant de sortir des impasses
libre-échangistes et protectionnistes.
Principes
Deux principes président à la liberté (et à la souveraineté)
des nations en termes d’échanges commerciaux, principes qui caractérisent la
« sensibilité » - ou l’ouverture – des dites nations à
« l’extérieur » :
1- le niveau de son taux de pénétration (ou le niveau de sa
capacité d’autosuffisance)
2- le solde de sa
balance commerciale
Pourquoi ?
- car un taux de pénétration élevé place la nation considérée
dans une situation de dépendance économique qui tend à la priver de sa liberté.
- car le déséquilibre
des balances commerciales tend à créer des tensions et ne concourt pas au
développement des nations. C’est la lutte contre ce déséquilibre, quel qu’en
soit le sens, que recherchait la Charte de la Havane : l’esprit de cette
charte, tel que nous le comprenons, étant qu’une guerre commerciale a de fortes
chances de déboucher, à terme, sur une guerre tout court.
Analyse
La mondialisation a accru la division internationale du
travail et placé les Etats en situation d’interdépendance, ou même de
dépendance économique, voire financière et in fine politique.
Inversement, une capacité d’autosuffisance globale (sectorielle
ou temporelle si accord) réduit le taux de pénétration. Dans le cas de la
France, ce taux de pénétration fut de 15 % du PIB pendant des siècles. Mais
depuis 1980, il explose, pour atteindre près de 35 % en 2000 (modèle Maddison)
voire plus de 50 % en 2010 (modèle INSEE) …..
Ceci veut dire que nous sacrifions certaines branches de
production pour nous spécialiser sur d’autres. (Þ Ce qui change la structure de la production, de la
productivité, des emplois et des modes de consommation d’un pays)
Le protectionnisme, au
sens classique qui consisterait à réduire les importations, plutôt que de
chercher à augmenter nos importations, est un moyen de défense économique
qui ne peut être que temporaire. A terme, il crée des rentes (comparables à celles
qui profitent aux secteurs monopolistiques).
Inversement, le libre-échange (total) place le commerce au-dessus
du droit et de la justice. S’il profite aux uns, il détruit les autres.
Notre politique d’échanges doit tendre à encourager toutes
les nations à créer des conditions commerciales favorables à leur propre
développement.
Þ On est loin du repli
frileux décrit par certains médias…mais plutôt à l’aube d’un nouveau modèle de
développement harmonieux des capacités de chaque pays, chaque nation. La
locution « d’écluses commerciales » utilisée parfois va tout à fait
dans ce sens.
Notre
politique d’échanges
- doit favoriser une
situation d’équilibre. Elle s’inscrit dans
l’esprit, sinon la lettre, de la Charte
de la Havane (équilibrage des 3 flux « physiques », capitaux,
biens et services), ou mieux encore dans le concept
« aristotélicien » d’autonomie
( d’où la proposition d'un marché national des droits à importer)
- doit s’attacher à limiter le taux de pénétration ( d'où diversifier pour ne
pas dépendre)
- doit pouvoir se concevoir à plusieurs niveaux, sectoriel, géographique, et temporel.
Sectoriel,
par exemple portant sur les télécommunications et l’informatique, ou
l’agro-alimentaire, ou la sidérurgie.
Géographique,
par exemple pour nos échanges avec l’Extrême Orient ou l’Amérique du Sud
Temporel,
par exemple pour permettre à telle ou telle industrie, n’existant quasiment
plus (machines-outils, électroménager …) de renaître de ses éventuelles
cendres.
- doit se formuler clairement. Les mesures doivent être à la
fois simples et compréhensibles par tout un chacun, du chef de grande
entreprise, à la tête d’une armada de conseillers en tout genre, au petit
commerçant et artisan, voire de « Monsieur (et Madame) tout le
monde ».
Nos propositions
A. Créer un marché (bourse) national(e) des droits douaniers à
importer
L’objectif
est d’arriver à l’équilibre – aussi stable que possible - de nos échanges.
Principe
général : L’administration douanière crédite les entreprises nationales
exportatrices d’un droit à importer et applique une taxe sur les importations. C’est une incitation à l’équilibre
commercial. En fait, tout se passe comme si la France était une seule
maxi-entreprise d’import-export, dont l’objectif serait d’équilibrer
systématiquement ses échanges, si elle exporte (produit) 1000 elle doit
importer, ni plus ni moins, que 1000.
Exemple
plus ‘micro’ : l’entreprise A exporte 100. Ses droits à importer sont donc
de 100. La seule question est de savoir combien vont valoir ces « droits à
importer de 100 ». Plusieurs options sont possibles pour cela.
L’idée
de base est de chiffrer ce droit à importer, soit en laissant
faire, plus ou moins, le ou les, marché(s), soit en fixant administrativement
un prix, ou une taxe, en fonction par exemple du déséquilibre passé sur tel ou
tel secteur, ou en fonction des possibilités que la France a de produire tel ou
tel produit.
Il est clair que la taxe sur les importations d’un produit
que la France n’est plus capable de produire n’a pas à être du même niveau que
pour des produits dont la France n’a pas encore perdu tout savoir-faire.
Ce prix, ou cette taxe, doit aussi être modulé(e) en fonction
de la zone géographique avec laquelle la France est en plus ou moins grand
déséquilibre, information qui est relativement facile à obtenir périodiquement
du service des Douanes.
Chaque
entreprise peut alors utiliser ce droit pour ses propres importations, en
franchise de taxe à concurrence du montant de ses exportations, ou le revendre
sur un marché national à d’autres entreprises importatrices. Si
les importations sont supérieures aux exportations, le montant des taxes
revient à l’Etat.
Exemple (avec un ‘prix’, ou une ‘taxe’, t = 30 %) :
Société A exporte 100 et importe 80 : Elle reçoit un droit à importer de
30 (le prix de ses droits à importer, avec une quantité de 100 et une cote de
30%), mais doit régler une taxe de 24.
Son solde est de 6. Bien entendu
on peut aussi faire le calcul directement sur la quantité de 20 que
l’entreprise A a engendrée, différence positive entre ce qu’elle exporte et
importe. Elle a donc « gagné » en droits 30% de 20, soit 6.
Société B importe 60. Elle achète le droit à importer de 6 à la société A et ainsi ne doit plus régler
que pour le surplus d’importation de 40, soit donc une taxe de 12 en douane.
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Principe
d’adaptation
Le taux appliqué au droit à importer peut
être relevé ou abaissé en fonction des secteurs, des Etats ou des périodes.
Ce marché pourra ainsi être compartimenté si
l’Etat le juge nécessaire en fonction de choix stratégiques relatifs à certains
secteurs ou pays, et pour des périodes déterminées.
Intelligence
de la régulation commerciale
- On reproche au protectionnisme de pénaliser les
exportations car les biens que nous exportons comprennent également des
composants importés. Taxer les importations reviendrait alors à pénaliser nos
exportations.
Ce n’est pas le cas de notre politique d’échange (et de notre
bourse d’échange des droits à importer)
puisque le droit à importer que détient une entreprise exportatrice
annule la taxe qu’elle subit sur ses importations.
Exemple : Si une entreprise exporte un bien pour 100
HT, elle détient un droit d’importation de 30 (hypothèse 30 %). Si ce bien
exporté contient un produit intermédiaire de 80, il sera taxé à 24. In fine, l’entreprise détiendra encore
un droit à importer de 6 qu’elle pourra revendre à une autre entreprise ou
utiliser lors d’un prochain exercice.
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- Deux modèles de
régulation de ce marché peuvent ainsi être présentés.
Modèle administratif :
L’entreprise importatrice déclare périodiquement ses importations en déduisant ses exportations. Elle règle le
solde. Elle peut acquérir auprès de la Bourse d’échange nationale des droits à
importer au taux fixé par l’Etat.
Modèle contractuel : Même principe, en revanche, le cours des droits
à importer sont déterminés en fonction
de l’offre et de la demande.
Pour des raisons stratégiques, l’Etat reste libre
d’intervenir sur ce marché.
Permanence/pérennité du modèle
- A la différence des protectionnismes historiques, cette
Bourse d’échange nationale des droits à importer peut être permanente (car elle
ne génère pas de rentes de situation). L’État doit en faciliter la création puis
la contrôler. En revanche, l’État n’a pas vocation à utiliser les recettes
provenant d’un déséquilibre de ce système de compensation. Ses recettes
devraient être redistribuées, sous l’autorité
ou la tutelle d’un commissariat au plan restauré, aux chambres de
commerce et/ou branches professionnelles, puis aux entreprises nationales en
concurrence afin qu’elles accroissent leurs investissements et améliorent leur
compétitivité.
Auto-responsabilisation et organisation des entreprises
- L’avantage de cette régulation des « droits à
importer » (bâtie sur le même modèle que les droits à polluer) en sus de
son efficacité potentielle, est d’être de
type « entrepreneurial », Dans ce cadre, en effet, l’État, en
dehors des informations qu’il peut être amené à transmettre à tel ou tel
secteur d’activités sur le montant, éventuellement sectoriel ou temporel, de
ces droits (en fonction des déséquilibres commerciaux fournis par l’INSEE ou d’autres observatoires
économiques) n’a pas, ou n’aura pas, à intervenir dans l’administration des
entreprises. Ce sont donc des mesures
microéconomiques que toute entreprise peut assimiler rapidement, à la fois
dans son application, dans son principe et dans son objectif.
Commerce et développement ‘soutenable’
- Du point de vue d’un pays importateur net, l’importation
peut d’ailleurs être considéré comme une pollution
économique, ou une externalité négative – Notre proposition n’est
d’ailleurs pas totalement originale, puisque certains pays exportateurs de
matières premières ont eu recours à ce type de mesures, quoique sous un autre
nom, il y a quelques décennies. L’un des conseillers d’Obama, Warren Buffet, avait
aussi suggéré de telles mesures.
B. Une récupération restrictive de TVA
Une proposition complémentaire, et moins permanente, elle,
pourrait permettre d’atteindre le but recherché, à savoir l’équilibre de nos
échanges dans le domaine des biens et services.
Cette deuxième mesure, plus administrative, et administrée,
consiste à pondérer, non pas le taux de
TVA, mais le taux de récupération de la TVA, en fonction des niveaux
souhaités (secteur d’activités, type de biens ou services, géographie,
temporalité)
Le taux de TVA, quel que soit son niveau, n’affecte pas
directement les entreprises – autrement que par le fait que le client final,
lui, préfère payer 5% de TVA que 20%, bien sûr – puisque toute entreprise est
censée pouvoir récupérer entièrement cette TVA, même si le décalage entre
paiement et récupération peut affecter sa trésorerie.
Nous proposons de changer
ce principe pour les entreprises importatrices, en affectant cette
possibilité de récupération d’un certain pourcentage, inférieur à 100%, qui
pourrait même, dans certains cas, être négatif.
Exemple de récupération restreinte de TVA.
Prenons un exemple
illustratif, pour éclairer ce principe, fort simple lui aussi, même s’il est
plus ‘bureaucratique’ que le précédent. Nous partirons ici d’un taux de TVA
unique, par exemple 20%.
Considérons alors le cas
d’un produit vendu hors taxe par un importateur à 100 euros, soit 120 euros avec TVA, disons avec une
marge de 15%, soit pour un prix de revient de 85 euros.
Si, sur ce type de marché, un producteur ‘local’,
c’est-à-dire établi en France, propose le même produit, hors TVA, à 125 euros,
soit, TTC, à 150 euros, ce n’est pas
un éventuel label « made in France » qui lui permettra de vendre à ce
prix, qui n’est pas compétitif. Et ce ne sera toujours pas le cas, même en
supposant que son prix de revient étant de l’ordre de 105 à 110 euros, et que
cet exportateur aille jusqu’à annuler complètement sa marge – ce qui, très
rapidement ne peut que le conduire à la
faillite.
Au contraire, en ayant la possibilité de moduler, pour un importateur, le taux de récupération de la TVA, il
en irait tout autrement. Si le taux de récupération de l’importateur, au lieu
d’être de 100 % (par rapport à un taux de TVA de 20 %) était ramené à
50 %, ou à 10 %, ou même à 0 % - voire à un taux négatif, dans certains contextes spéciaux – cet
importateur serai obligé d’en tenir compte dans son calcul de marge.
Sa marge, supposée initialement de 15 euros, amputée de la
non récupération de TVA, de 10, 15, 20 euros, voire plus, pourrait devenir
négative, et notre importateur serait alors obligé d’augmenter son prix de
vente, et donc de rendre le produit de son concurrent ‘local’ à nouveau
compétitif.
L’avantage – ou l’inconvénient - d’une telle mesure, plus
administrée et plus ‘fiscalisée’ que celle de l’instauration d’un « droit
à importer’ » serait sans doute de permettre aux services de l’Etat de
mieux ‘réguler’, voire ‘contrôler’ les flux d’import-export.
Cette mesure, par ailleurs serait complémentaire de la
précédente et, comme la précédente, elle aurait le mérite d’être compréhensible
de tout entrepreneur, grand ou petit.
Associée à la mesure, permanente, de « droits à
importer », elle permettrait d’arriver plus vite à l’équilibre de nos
échanges, en 2 ans plutôt que 3 ou 4, sachant que c’est l’équilibre
import-export qu’il faut rechercher ‘naturellement’, dans l’esprit de la charte
de la Havane, afin d’éviter toute volonté d’expansionnisme commercial qui ne
peut que conduire à des tensions inutiles de la part de nos partenaires qui ne
pourraient que se sentir menacés.
C'est fini.
RépondreSupprimerIls n'y croient plus.
Les européistes commencent à comprendre que l'Union Européenne n'est pas viable.
Les européistes commencent à comprendre que l'Union Européenne va bientôt mourir.
Les deux derniers exemples :
Mercredi 24 septembre, un européiste de gauche, l'économiste Bernard Maris, écrivait dans Charlie Hebdo qu'il fallait maintenant sortir de l'euro. Bernard Maris est professeur des universités à l'Institut d'études européennes de l'université Paris-VIII. Il est membre du conseil général de la Banque de France.
Vendredi 26 septembre, un européiste de droite, l'économiste Eric Le Boucher, écrit dans Les Echos que l'Europe est en train de mourir.
A gauche et aussi à droite, le vent tourne.
Les européistes commencent à comprendre que la construction européenne est une expérience qui a complètement foiré.
Le seul résultat politique de la construction européenne, c'est le retour des nationalismes d'extrême-droite partout en Europe, et la montée des forces centrifuges.
Les égoïsmes nationaux, les fureurs populaires et les passions nationalistes vont faire mourir l'Europe.
L'agonie de l'Europe a commencé.
Lisez cet article :
L'Europe est en train de mourir, surtout ne faites rien.
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0203805835795-leurope-est-en-train-de-mourir-surtout-ne-faites-rien-1046818.php