PIB et croissance, de quoi parle t-on exactement ?
Le P.I.B., tout le monde en parle, chacun croit pouvoir
disserter dessus, soit pour dénoncer sa stagnation, soit pour en prévoir un frémissement, même si François
Hollande semble être l’un des rares à le percevoir, en dehors bien sûr de ses ‘fidèles’
supporteurs. Quant à sa croissance espérée, elle s’est depuis des années révélé
plus forte que celle réalisée, 0.3% en 2013 et 0.4% en 2014, avec ces
prévisions ‘sapinesques’ supérieures à 1% pour 2015.
Précisons donc ce que représente le P.I.B., indicateur
incontournable, quoique très discutable, de ce que l’on pourrait qualifier de
production de richesses. Le PIB correspond, peu ou prou, au
« gâteau » produit en France, même s’il ne faudrait pas oublier que
la fabrication de ce gâteau, de ce
P.I.B., ou Produit Intérieur Brut,
est très souvent accompagnée de dégâts causés à l’environnement, dégâts parfois
irréversibles.
Ce gâteau, par ailleurs, contient parfois des portions qui
ne sont pas toutes très appétissantes – l’une des dernières trouvailles de
l’Europe est d’y rajouter des ‘services’ comme la prostitution ou la vente de
stupéfiants –
Cela étant, regardons trois façons
d’approcher ce fameux P.I.B.
Q. Ce qui veut dire ?
Le PIB est assez simple à définir, un peu moins à
comprendre. Je vais quand même essayer. Le PIB est censé mesurer la
différence entre la production et ce qui est utilisé, ou « consommé
productivement » dans la dite production. Pour produire une bibliothèque –
c’est le résultat souhaité – on a besoin de planches, de vis, d’électricité
pour faire fonctionner certains outils – ce sont les ressources physiques –
ainsi que du travail humain – qui sera considéré comme de la « valeur
ajoutée ».
En économie, comme dans toute entreprise, et plus
généralement dans tout processus de production, de biens ou de services, on
utilise en effet certaines ressources pour arriver à un certain résultat.
La différence entre
ce qui est ‘produit’ et ce qui est ‘utilisé’ – ou « consommé dans la
production » - va correspondre, une fois globalisé et totalisé, au PIB.
Q. Un ou deux exemples chiffrés
?
Un premier exemple, celui d’un commerçant : il achète
un tissu 100 euros, et le revend 120 euros. Sa « valeur
ajoutée », qui va faire partie de ce fameux « PIB », sera donc
de 20 euros. S’il achète pour un million de marchandises, et s’il revend
le lot entier de ces marchandises pour 1.2 millions de francs, sa valeur
ajoutée sera de 200 000 euros.
Q. La valeur ajoutée, ce serait
donc son bénéfice ?
Hélas, ce n’est pas si simple. Si ce commerçant a un
salarié, qu’il paye pour cela 30 000 euros, sa valeur ajoutée sera
toujours de 200 000 euros, mais son bénéfice (en supposant qu’il n’ait pas
d’autres charges et qu’il ne soit pas lui-même salarié de son entreprise) sera
de 170 000 euros. La valeur ajoutée
ne mesure donc que la différence « physique » entre ce qui sort de
son entreprise et ce qui y entre. Les salaires, et les profits éventuels,
de même que d’autres charges financières éventuelles, font partie de la valeur
ajoutée, même si, bien sûr, la décomposition de cette valeur ajoutée est
fondamentale, à la fois d’un point de vue social et économique.
Q. Revenons à notre tissu
initial, acheté 100 euros, et mis en vente à 120 euros. Que se passe-t-il pour
la valeur ajoutée s’il n’arrive pas à revendre ce tissu ?
Disons seulement que, dans ce cas, son stock sera valorisé à
quelque chose entre 100 et 120 euros, suivant son optimisme et les
conditions du marché. Si son stock est évalué à 110, la valeur ajoutée – même
potentielle – sera de 10.
Q. Si je comprends bien, le PIB
est mesuré de façon élastique, comme les stères des marchands de bois, suivant
la longueur des bûches?
On pourrait presque dire cela. En principe, cependant, les
erreurs se compensent statistiquement, et dans une situation normale, sans mévente ou survente particulière,
l’INSEE, qui est chargée de mesurer tout cela pour la France, ne fait pas trop
d’erreurs, disons à 0.3 ou 0.4 % près.
Q. Cette marge d’erreur ne
permettrait donc pas d'évaluer correctement l’évolution du PIB ?
N’allons pas si loin. Sur une assez longue période, disons 15
à 20 mois, l’évolution moyenne du PIB signifie réellement quelque chose, mais,
bien entendu les mesures sont toujours faites après coup, après un délai de
quelques mois.
Comme je l’ai écrit plus haut, si on regarde l’évolution du
PIB depuis 2007, la tendance est assez facile à évaluer. Notre PIB, hélas, est
resté stationnaire jusqu’en fin 2012, en dépit de fortes fluctuations pouvant
aller jusqu’à 2.5 à 3 %.
Mais le chiffre d’un mois particulier est beaucoup plus
sujet à caution, et demande, de toute façon, un peu de temps pour être validé.
Le PIB de janvier 2013 a pu être évalué à peu près correctement 7 ou 8
mois après, disons en août 2013, mais même dans ce cas la question des
« stocks normaux » ou des « stocks invendus » peut poser
problème.
Q. Si ces
« invendus » finissent par être vendus, cela modifiera donc le
PIB ?
Cela dépend. Si ces stocks avaient été évalués correctement à
leur prix futur de vente, il n’y aura pas de modification. Mais s’ils ont été
surévalués (et s’ils donnent lieu à des soldes) ou si, à l’inverse, ils ont été
sous-évalués, il faudra corriger le PIB à la baisse ou à la hausse.
Q. Vous nous aviez annoncé un
autre exemple, qui ne soit pas celui d’un commerce.
Prenons le cas d’un produit manufacturé, dont les
composantes proviennent par exemple de Chine, et qui serait assemblé en France.
Supposons que les composants soient achetés 80, et que, après assemblage, il
soit commercialisé 120. La valeur ajoutée sera dans ce cas de 40, avec les
mêmes restrictions que dans le cas d’un simple tissu.
Pour revenir à l’image du « gâteau national », la valeur ajoutée de ce gâteau correspondra à
son prix de vente espéré, moins les ingrédients utilisés, beurre, amande, lais,
œufs, et à l’usure du four et à sa consommation énergétique. La « valeur
ajoutée » est donc censée représenter les salaires, les frais financiers, et le
profit du boulanger. Bien entendu, le prix de vente espéré peut ne pas être le
véritable prix de vente. Il peut aussi y avoir des morceaux du gâteau qui ne
prennent pas preneur.
Q. Si je comprends bien, ce
n’est qu’après la vente effective, et non au moment de la production, ou de la
mise sur le marché, que l’on connaîtra vraiment la valeur exacte du PIB.
Effectivement, on peut dire cela. Heureusement, il y a une
certaine « inertie » dans les comportements d’achat des ménages et
des entreprises. Si le climat des affaires ne change pas, les statistiques permettant
de calculer le PIB sont relativement valables, et il n’y a pas de raison de
s’en méfier particulièrement.
Q. Si je résume votre position,
dans un contexte « normal », c’est-à-dire relativement stable, les
données permettant d’évaluer le PIB sont satisfaisantes. Mais que se passe-t-il
si le contexte est fluctuant ?
C’est dans ce cas-là qu’il faut se méfier, et faire appel à
d’autres indicateurs, certains quantitatifs, d’autres qualitatifs.
Parmi les indicateurs quantitatifs, il y a l’évolution de la
population active, l’évolution du pouvoir d’achat - que l’on peut approcher
partiellement par la consommation des ménages, en tenant compte d’une
éventuelle hausse de prix ou de conditions extra-économiques comme le climat ou
la situation internationale - l’évolution du nombre de créations d’entreprises
ou de faillites, etc.
Q. Et parmi les indicateurs
qualitatifs ?
Il peut y avoir des enquêtes d’opinion, sur l’indice de
satisfaction des consommateurs, sur leur éventuel optimisme, sur celui des
industriels, etc. Mais toutes ces enquêtes ne sont pas indépendantes les unes
des autres, cette opinion fluctuante et volatile fait d’ailleurs partie de ce
que Keynes qualifiait d’esprits animaux. La confiance, qui ne se décrète
pas, hélas, peut avoir des répercussions sur l’état général de l’économie,
et inversement.
Q. De bonnes statistiques,
qu’elles soient ou non quelque peu "manipulées" pourraient donc avoir
un impact favorable sur l’optimisme des ménages, et, inversement, ce surplus
d’optimisme pourrait avoir un effet sur l’état de l’économie ?
Effectivement, mais faudrait-il encore que les statistiques
annoncées soient à peu près crédibles. Sinon le remède peut être pire que le
mal.
Par ailleurs, que les chiffres du PIB soient à un moment
donné plus ou moins « optimistes », voire « bidonnés », ou
non, je voudrais revenir sur un point essentiel, à savoir que la croissance du
PIB n’est pas toujours une bonne chose.
Q. Comment cela ?
Seriez-vous un adepte de la décroissance chère à certains écologistes ?
Pas vraiment. Mais en résumant une définition possible du
PIB, qui fait du PIB la somme de l‘Investissement Brut (appelé aussi
Formation Brute de Capital Fixe) plus de la variation des Stocks, plus
de la Consommation
finale, à laquelle il faut ajouter les Exportations, et retrancher
les Importations, je vais maintenant vous poser, et poser au lecteur,
trois questions, en partant d’un niveau donné du PIB, par exemple
2 000 milliards d’euros.
a) Supposons que, par rapport à ce niveau, sans que rien
d'autre ne bouge, les importations diminuent, par exemple de
30 milliards : qu'arrive-t-il à notre PIB ?
b) Autre scénario, à partir des mêmes hypothèses de départ,
nous prêtons 40 milliards aux Grecs pour qu'ils achètent français :
qu'arrive-t-il à notre PIB ?
c) Troisième scénario : cette fois-ci, nos industriels
produisent davantage, pour 40 milliards de prix "publics"
(espérés) - en consommant pour cela 15 milliards de ressources supplémentaires,
mais sans vendre plus - ce qui correspond à une augmentation du PIB. Est-ce une
bonne chose ?
Q. Et quelles sont vos
réponses ?
Je vous laisse le soin d’y répondre. Mais vous pouvez aussi
les poser à notre ministre de l’économie, ce peut être amusant, et instructif,
de voir ses réactions…
Q. Je vais y réfléchir. Mais
vous nous aviez annoncé qu’il y avait plusieurs façons de mesurer le PIB.
J’espère qu’elles donnent le même résultat.
Tout est fait pour cela, en tout cas. Il y a une approche
par la « production », c’est celle que nous avons déjà esquissée, une
approche par la consommation, et enfin une approche par les revenus.
Le tableau ci-dessous va tenter de clarifier cela :
Dans l’approche ‘Production’,
la valeur ajoutée est mesurée « aux prix de base », disons aux prix
hors taxe, pour simplifier. Il faut donc rajouter à cette première mesure les
impôts sur les produits, essentiellment la TVA, et enlever d’éventuelles
subventions.
L’approche ‘Demande’ est sans
doute plus simple à visualiser. Les « emplois finals » correspondent
à la consommation « des ménages » en biens et services, à laquelle il
faut ajouter les « investissements physiques » des entreprises, à
savoir ce que l’on appelle la Formation Brute de Capital Physique (les machines
outillages, variation de stocks, etc.).
Cette demande peut être
supérieure, ou inférieure, au PIB, c’est-à-dire à la production faite en
France.
Si elle est supérieure, cela
montre que les Importations sont supérieures aux Exportations : c’est le
cas de la France depuis 2003. Si cette demande ‘nationale’ est inférieure, cela
implique que les exportations sont supérieures aux importations. C’est le cas
de l’Allemagne depuis 2003.
Dans la métaphore du gâteau,
au lieu de s’intéresser au boulanger/patissier qui l’a produit, on va s’intéresser
maintenant à ceux qui vont le manger. Le gâteau-PIB est ainsi égal à la
consommation intérieure (y compris la variation des stocks et les
investissements) plus la consommation extérieure (les exportations) moins les
importations (la partie du gâteau produite à l’étranger)
Q. Et pour l’approche
‘Revenus’ ?
Ce n’est pas l’approche la plus simple à utiliser, car les
données correspondantes sont sans doute plus longues à obtenir, mais c’est sans
doute l’approche la plus connotée politiquement, voire idéologiquement ;
elle fait en effet partie de ce que Ricardo, il y a près de 2 siècles, pensait
être la question essentielle, ou l’une des questions essentielles, de
l’Economie Politique.
Il s’agit en effet de la répartition
des revenus entre salaires et profits, entre ce que Maurice Allais appelait
« Revenus gagnés » et « Revenus non gagnés », entre revenus
du travail et revenus du capital, sans oublier bien sûr d’autres ‘revenus’, que
nous appellerons, ici, pour simplifier ‘impôts’.
Toutes les mesures faites depuis 30 ans montrent d’ailleurs
que la part des ‘salaires’ par rapport à la part des ‘profits’ a diminué depuis
la fin des ‘Trente glorieuses’ : c’est aussi le cas des
« impôts », dont la part a considérablement augmenté relativement au
PIB. Nous essaierons d’en comprendre les raisons par la suite. L’une des
conséquences évidentes en est, bien sûr, la diminution du pouvoir d’achat des
travailleurs pauvres et, plus généralement des classes ‘populaires’ et des
classes moyennes à « moyennes supérieures ».
Cela étant, nous n’avons sans doute pas parlé de ce qui est
le plus troublant dans la notion de PIB, ou plus exactement dans celle de la
croissance du PIB, tant fantasmée pourtant.
Q. Que voulez-vous dire ?
L’une des façons les plus simples d’avoir un PIB en hausse serait d’augmenter les dépenses, non ?Q. Vous voulez dire la Demande, sans doute ? Et ce n’est pas bien ?
Cela dépend quelle demande il s’agit, et si vous êtes en
situation de la satisfaire. Laissez-moi préciser cela.
Supposons qu’il y ait soudainement une demande
supplémentaire de petites voitures de type Twingo. En supposant que les
capacités de production de l’usine Renault qui les fabrique ne soient pas
saturées, et que les matières premières soient disponibles, cette demande est
une bonne chose, puisqu’elle peut être satisfaite, à une condition près !
Q. Que l’argent pour financer leur achat soit disponible ?
Tout à fait. S’il ne l’est pas, il faudra soit l’inventer –
par un crédit – soit remettre à plus tard cet achat supplémentaire.
Dans le premier cas, il y a bien augmentation du PIB – à crédit
-, dans le deuxième cas, le PIB réel ne sera pas augmenté, même si le fait qu’il
y ait une demande potentielle supplémentaire peut avoir un impact sur les prix
unitaires de vente.
Q. Et si les conditions de production de la Twingo étaient saturées ?
Une demande supplémentaire n’aurait pour seule conséquence
qu’une tension sur les prix unitaires, puisque la production ne pourrait être
augmentée. Ou bien, pire encore pour le PIB, si cette demande ne pouvait être
satisfaite de façon interne, cette volonté d’achat supplémentaire pourrait avoir
pour compétence un surcroît d’importations, et donc une diminution du PIB. D’où
l’importance d’une production intérieure – française dans notre cas – adaptée au
pouvoir d’achat effectif, quitte à prendre des mesures de protectionnisme
intelligent pour équilibrer nos échanges.
Mais il existe une autre façon d’augmenter nos dépenses, si
l’on tient vraiment à augmenter, même artificiellement, le PIB.
Q. Une bonne catastrophe peut-être, ou une guerre ?
Ce n’est pas la peine d’aller chercher si loin même si,
effectivement, un tremblement de terre ou une forte inondation qui ne détruiraient
pas trop d’usines pourraient relancer des dépenses d’infrastructure, sans même
parler de guerres. Mais il suffit de s’intéresser à une demande qui n’a pas
besoin d’offre pour prospérer, des dépenses qui n’ont pas besoin de faire face
à une production marchande « physique », aux capacités de fabrication
nécessairement limitées.
Q. Expliquez-vous !
En France, il y a actuellement de l’ordre de 25% d’emplois
qui ne sont pas directement liés à une production marchande, que ce soit une
production de biens ou une production de services. Il s’agit des emplois de l’administration
publique, fonctionnaires de l’Etat ou fonctionnaires territoriaux.
Q. On ne va quand même pas engager des fonctionnaires dans le seul but d’augmenter le PIB !
Évidemment non, quoique certains y ont peut-être songé Cet exemple a simplement pour but de montrer
que ce n’est pas nécessairement le PIB qu’il faut à tout prix augmenter, mais qu’il
faut choisir entre les dépenses utiles et les dépenses inutiles.
Certaines dépenses doivent être financées, d’autres non. C’est
donc une décision éminemment politique, mais qui doit reposer sur le bon sens
et une estimation aussi objective que possible des vrais besoins. Certains
postes de fonctionnaires sont indispensables, il faudrait peut-être même en
créer, d’autres pourraient être supprimés. Dans tous les cas, cela a un coût.
Augmenter le PIB à crédit – en ayant recours à de nouveaux emprunts – dans le
seul but de l’augmenter n’a évidemment aucun sens, même si les raisons
électoralistes passent souvent devant le bien commun. Il ne s’agit pas de dire
qu’il y a trop de fonctionnaires – ou pas assez – mais de se demander si leur
emploi est, ou non, globalement utile.
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