Contribution à une réflexion sur une double monnaie
Si Paris vaut bien une messe, l’Elysée
vaut bien un bémol sur la sortie de l’€
Texte écrit le 26/10/2016 (sans modifications depuis, en dehors de la précision qui suit: cette monnaie complémentaire n'a rien à voir avec les approximations, voire les erreurs, qui ont émaillé l'entre deux tours de la présidentielle à propos d'une monnaie double ou d'une monnaie commune)
par Jean-Philippe Lemaire, polytechnicien et ancien cadre de banque
et Bruno Lemaire, économiste et ancien doyen associé d'HEC
Il
faut que la France puisse exercer sa souveraineté dans tous les domaines. Pour
l’économique et le social il semblerait qu’une condition nécessaire soit la
sortie de l’€. Or la sortie de l’€ n’est pas populaire auprès de nos
concitoyens, certes pour de mauvaises raisons, mais c’est un fait.
Devant
cet état de fait on peut 1) soit compter sur la pédagogie pour faire changer
d’avis nos concitoyens, mais il faudrait des années pour les convaincre compte
tenu de toutes les forces hostiles qui tiennent les médias dominants, 2) soit
contourner l’obstacle.
La
bonne nouvelle est que pour exercer
concrètement sa souveraineté économique et sociale, la France peut s’affranchir
des contraintes de l’€, sans avoir à sortir officiellement du système.
L’idée
de base est la création d’une monnaie complémentaire à l’€, circulant
uniquement sur le territoire national et exclusivement dédiée aux échanges. Pas
de vocation d’épargne, ni de spéculation. Cette monnaie, que nous appellerons
l’EuroFranc (€FRF) dans la suite de ce billet, est émise directement par la
puissance publique, sans effet donc sur le montant de la dette de l’État.
Caractéristiques de l’€FRF
Aucune
modification n’étant apportée par hypothèse à l’€ sur le territoire national,
la simplicité impose que sur ce territoire, dans le règlement des biens et
services, 1€FRF = 1€.
Également pour des raisons évidentes de simplicité, il n’y aura pas de pièces ni de
billets en €FRF. Pour des raisons tant techniques (développement des cartes
sans contact) que de contrôle fiscal, l’utilisation des espèces est de toute
façon en régression constante.
Pour
inciter à l’utilisation préférentielle de l’€FRF, cette monnaie complémentaire
sera ‘fondante’, le % mensuel de ‘fonte’ étant fixé par la puissance publique
en fonction des résultats de la politique économique. Décidons de le fixer ce
pourcentage de fonte, pour commencer, à 1. Cela signifie que le 5 de chaque
mois par exemple, les avoirs en €FRF (exclusivement sur les livres des banques
par définition) vaudront 99% de ce qu’ils valaient le 4, la différence étant
versée au Trésor Public, en ‘amortissement’ de son émission en quelque sorte.
Par ailleurs, une monnaie ‘fondante’ ne peut être considérée comme une monnaie
à part entière susceptible de concurrencer l’€ !
Il
va de soi que l’intérêt de disposer de
cette monnaie ‘fondante’ est conditionné par le fait que son montant vienne en
supplément de l’€.
Utilisation de l’€FRF
Comme
nous l’avons vu, sur le territoire national l’€FRF a le même pouvoir
libératoire que l’€.
Les
grands réseaux de distribution actuels offrent des réductions substantielles à leurs clients qui utilisent une carte
de fidélité pour payer certains produits. Sur ce modèle, la carte de paiement
€FRF (dans l’état actuel de nos réflexions, nous ne considérons pas la
possibilité d’émettre des chèques en €FRF) accordera ces réductions sur tous les produits participants au développement
économique local.
Émission de l’€FRF
Il
y a de nombreuses voies pour injecter pratiquement des €FRF dans l’économie
nationale. Nous en décrivons quelques-unes ci-après, en rappelant qu’il
faudrait privilégier à notre avis celles qui améliorent la compétitivité des
entreprises françaises, par rapport à celles qui augmentent simplement le
pouvoir d’achat, qui comportent le risque d’augmenter encore la part des
importations.
1/-
La prise en charge par l’État de tout ou partie des charges sociales dans
certains secteurs de l’économie (agriculture par exemple), pour les entreprises
jusqu’à une certaine taille (éventuellement). Les organismes sociaux recevant
des cotisations en €FRF verseront leurs prestations prioritairement en €FRF.
2/-
Un certain nombre de produits participants au développement économique local
seront subventionnés dans la mesure où ils seront payés en €FRF (escompte en
caisse). Cet escompte ‘politique’ est pris en charge par l’État.
3/- Le versement d’une prime (imposable ?
non imposable ?) de 600 €FRF par exemple à tous les salariés,
fonctionnaires, chômeurs indemnisés, bénéficiaires du RSA (28 millions de
personnes environ), représenterait une injection de 17 milliards d’€FRF de
capacité de consommation. Cette décision aurait comme effet bénéfique
d’introduire d’un coup d’un seul l’€FRF dans le paysage économique, mais, à
moins de réserver son utilisation au règlement de certains biens et services
seulement, ce qui ne correspond pas à nos hypothèses de base, les produits
importés risquent de bénéficier trop largement de cette mesure. C’est pourquoi
nous suggérons de l’instaurer après la mise en place
des 2 premières mesures et aussi d’en répartir le versement dans le
temps : 100 €FRF par mois, tous les 2 mois ? (à voir)
Nous
n’avons effectué aucune estimation pour les mesures 1/ et 2/, laissant aux
spécialistes de chaque branche de l’économie faire leurs hypothèses et les
soumettre à l’arbitrage des politiques.
Dans
un premier temps nous suggérons de limiter le montant émis au déficit du budget
général de la France, soit 72 milliards d’€ en 2016 (pour un montant de 410
milliards de dépenses) : il ne faut pas effrayer nos partenaires européens
et tester le système.
Il
sera toujours possible aux titulaires de comptes en € de changer en €FRF une
partie (voire la totalité) de leurs avoirs en €, sans limitation et à leur gré.
L’opération inverse n’est pas possible.
Les entreprises et l’€FRF
Un
des buts de la manœuvre est que progressivement
sur le territoire national l’utilisation de l’€FRF se substitue à celui de l’€.
Il arrivera donc, pour les entreprises n’exportant pas en particulier, qu’elles
ne disposeront plus de ressources en €, et donc de moyens d’importer. Dans les
cas où l’importation est nécessaire à la poursuite de la production de certains
biens et services sur le territoire national, l’État autorisera le change
d’€FRF en €, moyennant une taxe forfaitaire qui pourrait être de l’ordre de 3%
(pour prise en compte du caractère ‘fondant’ de l’€FRF).
Gestion de l’€FRF
Les
banques (au sens large) opérant sur le territoire national seront tenues d’ouvrir
sur simple demande de leurs clients un compte en €FRF, auquel sera associée
pour les particuliers une carte de paiement (dite Tricolore) sans contact à
débit immédiat. La tenue de ce compte et toutes les opérations l’affectant
seront gratuites.
Les
terminaux de paiement électroniques seront tous modifiés (comme ceux de Nantes
pour l’opération SoNantes) pour accepter aussi bien la carte de paiement
Tricolore que les cartes classiques. Cette modification purement technique
devrait être simple et rapide, le cas de la carte Nickel en étant un bon
exemple. Au cas où des difficultés imprévues surgiraient lors de cette
opération, les titulaires de comptes en €FRF pourraient émettre des chèques en
€FRF en utilisant les formules adossées à leurs comptes en €. Il va de soi que
cette dérogation est source de complications mais ne peut qu’encourager le
monde bancaire à collaborer activement à la mise en place du nouveau système.
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