Tout, ou presque, sur les retraites


Tout, ou presque, sur la et les retraites,
par Bruno Lemaire, économiste, ancien doyen associé d’HEC

Dans ce billet, nous allons tenter de répondre à toutes les questions, certaines légitimes, parfois artificielles ou farfelues, que l’on peut se poser sur le régime actuel de retraite des français, et sur la réforme envisagée. Nous nous efforcerons d’éviter le plus possible les polémiques idéologiques et, pour cela, nous partirons des faits, et des données consultables par tout un chacun, du moins s’il veut s’en donner la peine.


Q. Et quels seraient ces faits ou ces données indiscutables ?

Partons déjà des données globales, macroéconomiques, à savoir les données sur le PIB, aussi contestable soit cet indicateur, et sur la démographie française.

La dette publique, fin septembre 2019, a atteint 2415 milliards d’euros, en dépassant ainsi le PIB de la France


Q. On peut donc partir d’un PIB d’environ 2400 milliards fin sept 2019 !

Oui, c’est effectivement ce chiffre que nous retiendrons, avec une population estimée fin septembre 2019 à 67 millions d’individus (en fait 66 992 699 au 1/01/2019). D’où un premier indicateur macro-économique ou, pour dire les choses plus simplement, un premier indicateur global. Le PIB par habitant, c’est-à-dire l’ensemble des dépenses moyennes (si l’on préfère ne pas parler de production, mais de dépenses, ce qui, pour l’INSEE, est la même chose) par habitant, est égal à : 35821 euros par habitant et par an, soit 2985 euros par hab et par mois


Q. Ces 35821 euros seraient donc disponibles pour chaque habitant si on voulait répartir uniformément toutes ces dépenses, ou cette richesse. Mais que peut on en conclure sur les retraites ?

Avant d’aborder ce point, nous allons tout d’abord essayer d’évaluer d’où vient cette richesse, cette production. Vous ne me contredirez pas en disant que ce sont les « actifs », les « travailleurs » - quelque soit leur véritable statut social - qui sont les seuls susceptibles de « fabriquer » cette richesse, qu’ils soient dirigeants, cadres, employés ou ouvriers, travailleurs « intellectuels » ou « manuels ». Il convient donc de se demander combien il y a d’actifs en France


Q. J’en conviens aisément. Mais quel est ce nombre d’actifs ?

Curieusement e chiffre ne peut qu’être estimé, car la population des actifs n’est qu’une sous-partie de la population en âge de travailler, ce que le B.I.T. (Bureau International du Travail) désigne comme la population ayant au moins 15 ans. En reprenant les chiffres du BIT de 2017 on aurait ainsi, pour la France, une population « active » de 26,9 millions auxquels il faudrait ajouter 2,8 millions de personnes « activables » mais au chômage.

Nous prendrons comme chiffres 27 millions d’actifs et 2,8 millions de chômeurs dans la suite de ce billet.


Q. Que peut-on en déduire ?

Pour le moment, toujours au niveau des chiffres globaux, nous considèrerons que le travail réalisé par un « actif » correspond à une production/dépense de 2400 milliards divisés par 27 millions, soit 88 889 € par an, ou 7407 € par mois.


Q. Mais cela ne nous dit toujours rien sur les retraites, n’est-ce pas ?

On peut déjà affirmer que si la production par actif augmente, cela permettra de distribuer davantage, toutes choses égales par ailleurs, aux retraités, alors qu’inversement, si la production par actif diminue, cela ne pourra avoir qu’un impact négatif sur les retraités.


Q. Mais on peut aussi dire que, dans le même contexte, si le nombre de chômeurs diminue, le sort des retraités pourrait s’améliorer.

Tout à fait, mais laissons cela, à savoir l’influence du chômage sur les retraites, pour l’instant. Cherchons maintenant à connaître le « pouvoir d’achat », ou le revenu moyen, ou la possibilité moyenne de dépenser, pour chaque retraité. Nous avons besoin pour cela de deux chiffres


Q. Je suppose qu’il s’agit du nombre de retraités, et du montant global des retraites

Tout à fait. Pour évaluer le montant total des retraites, nous allons partir d’un pourcentage du PIB qui semble acceptable par tous, à savoir 14%, ce qui voudrait dire que le montant total disponible pour payer les retraites serait de 14% de 2400 milliards, à savoir 336 milliards.


Q. Une simple division devrait donc nous permettre de calculer la retraite moyenne, non ?

Certes, faudrait-il encore connaître le nombre exact de retraités en France, ou de retraités Français, ce qui n’est déjà pas la même chose. Disons que l’on en connait quand même une estimation, à 10% près, suivant les sources utilisées.

D’après le COR (conseil d’orientation des retraites) les retraités seraient proches de 16 millions, d’après la CNAV ou STATISTA, ce nombre avoisinerait ‘seulement’ 14,5 millions.


Q. Quel chiffre va-t-on retenir, dans ce cas ?

Prenons 16 millions, qui est le cas le plus défavorable, ce qui nous permettra de calculer explicitement la retraite moyenne, au moins potentielle, de chaque retraité, indépendamment de son parcours professionnel, simplement pour avoir un ordre de grandeur.

En divisant donc les 336 milliards (14% du PIB) par 16 millions, nous obtenons comme retraite moyenne disponible : 21 000 € annuels, soit 1750 € par mois.

Voilà les faits, les chiffres indiscutables sur lesquels nous pouvons travailler, en tenant compte maintenant des vrais parcours d’emploi de chaque retraité, en fonction de la contribution qu’il a apportée à l’économie pendant sa période d’activité, et en tenant aussi compte, éventuellement, de son espérance de vie. Tout le reste n’est qu’idéologie ou mauvaise foi


Q. Que faites vous de la pénibilité plus ou moins grande de tel ou tel emploi ?

Je pense que cette pénibilité peut être rapprochée de l’espérance de vie d’un métier ou d’une profession donnée, et que nous pourrions d’ailleurs en profiter pour partir de ce que l’on appelle régimes spéciaux.


Q. Comment cela ?

Il faut toujours partir de l’existant. On nous dit qu’il y a 42 régimes, spéciaux ou spécifiques, peu importe la question sémantique ici. Je pense qu’il faudrait en fait rendre à chaque corps de métier ce qu’il a apporté à l’économie française. C’est évident au niveau global, puisque nous avons vu que les retraites ne peuvent être payées qu’à partir des richesses produites par les actifs, ce principe est un simple principe de bon sens, pour ne pas dire « universel »


Q. Si je comprends bien, vous voudriez que le principe universel soit d’affecter à chaque branche ou à chaque métier un pourcentage de ce qui a été créé pendant son activité !

Oui, mais en pondérant cela par l’espérance de vie : je m’explique !

Si je reprends les 1750 € « moyens » pour une activité « moyenne » d’une branche ayant produit  en « moyenne » 7407 € par mois, et en partant d’une espérance de vie moyenne, à la retraite de 16 ans (79 ans pour une retraite prise à 63 ans), il y aurait un bonus pour une espérance de vie inférieure, et un malus pour une espérance de vie supérieure


Q. Heu, c’est assez horrible de spéculer ainsi sur l’espérance de vie, ou de mort, des individus, non ?

Ce n’est qu’une autre façon de tenir compte de la pénibilité et des conditions de vie de chaque profession. Si un ouvrier du bâtiment a une espérance de vie inférieure de 13 ans à celle d’un professeur d’université ou d’un journaliste, il me semble normal d’en tenir compte, non ?

De fait, il n’y a que 2 façons raisonnable de tenir compte de la pénibilité d’un travail, toutes choses égales par ailleurs.


Q. Lesquelles ?

Soit avancer l’âge de la retraite, soit mieux payer l’individu concerné. C’est du moins l’un des deux principes de base que je propose, le second étant de tenir compte du PIB spécifique à la branche. Si votre branche apporte plus à l’économie qu’une autre branche, elle apporte aussi plus aux retraités de cette branche

Mais à ces deux principes de bon sens, pour ne pas dire universels, je voudrai aussi apporter un filet de rattrapage, un filet social. On peut exiger qu’aucune retraite ne soit inférieure à la moitié, ou aux 3/5, de la retraite moyenne, à savoir ½ ou 3/5 de 1750, doit 875 ou 1050 euros

Mais tout cela doit évidemment être débattu ouvertement entre partenaires sociaux. Si on a besoin de conserver 42 régimes spécifiques, peu importe, l’essentiel étant que les mêmes principes s’adaptent, qui tiennent compte à la fois de ce que telle ou telle branche a apporté à la France, et de la pénibilité ou dangerosité de tel ou tel métier, ce qui peut se traduire par une espérance de vie plus ou moins grande


Q. Deux ou trois autres questions, si vous voulez bien !

Je suppose que vous voulez aborder la question de la retraite par points ?


Q. Oui, et aussi  la question répartition ou capitalisation, ainsi que la possibilité pour un futur retraité de changer de branche en cours de carrière, et enfin du lien entre chômage et retraite

Sur la retraite par points, le plus cohérent sera de permettre à chaque branche, ou chaque caisse de régime spécifique (si je retiens 42 régimes spécifiques, mais peu en importe le nombre ici) de fixer son régime de points, sous la seule réserve que les points moyens gagnés au cours de la vie professionnelle dans une même branche permette d’obtenir la pension de retraite moyenne de la dite branche.

Si une branche concerne un million de personnes, et procure une pension moyenne de 2000 euros, il faudra que le total des points distribués, par exemple un milliard de points, à ce million de personnes, soit tel que le nombre moyen de points, dans ce cas 1000, permette d’assurer une pension de 2000 euros


Q. Et en cas de changement de branche ?

Un point « Travaux Publics » n’aura pas nécessairement la même valeur qu’un point « SNCF », mais correspondra à la même logique. L’ensemble des points distribués par la SNCF à ses 150 000 actifs (ce n’est qu’un exemple) doit permettre d’assurer à l’ensemble de ses retraités la retraite moyenne permise par la contribution de la SNCF à l’économie française.

En changeant de branche, le collaborateur de telle branche, par exemple « TP »  conservera ses points « TP », aux quels s’ajouteront ses points nouveaux, par exemple ses points « SNCF », ou inversement.


Q. Ce sera donc à chaque branche de gérer ses points, et donc ses pensions de retraite.

Oui, c’est cela le principe, « universel », avec des modalités communes, mais avec des valeurs de points différentes. La question de l’âge de départ à la retraite peut d’ailleurs être gérée par chaque branche, dès lors que la question du niveau de retraite correspond de façon transparente et explicite au nombre de points gagnés au cours de sa vie active (la valeur du point, rappelons-le, étant gérée par chaque régime)


Q. C’est donc bien une retraite par répartition que vous envisagez ici !

Oui, une retraite par répartition, mais par branche. Chaque branche gère ses propres retraités, en fonction de la contribution économique qu’elle génère. On peut dire que le principe « universel » sera de consacrer 14% de sa contribution propre, de sa contribution de branche, à ses propres retraités. Difficile de faire mieux comme équité, me semble-t-il ?


Q. Vous n’envisagez donc aucune possibilité de capitalisation ?

Nul n’empêche quiconque, actif ou retraité, d’utiliser une partie de sa rémunération ou de sa retraite pour investir ou spéculer, mais ce sera à ses risques et périls.

Mais une retraite par répartition, avec un « avancement » par points géré de façon transparente et efficace par chaque branche, me semble tout à fait suffisante, en sachant que tout individu, connaissant son capital de points, et le nombre de points disponibles dans sa branche, pourra calculer à tout moment la valeur de sa retraite future


Q. Comment cela ?

En reprenant l’exemple précédent, un milliard de points distribués dans sa branche, avec un million de cotisants, donc avec un e moyenne de 1000 points par personne, indiquera à quelqu’un ayant atteint 800 points qu’il aura 80% de la retraite moyenne de la branche

Elémentaire, non ?


Q. Et en ce qui concerne le chômage ?

Là encore, c’est élémentaire, si une branche recrute, elle aura plus de travailleurs, donc sa contribution à l’économie française augmentera, et elle aura donc plus de pensions à distribuer (dès lors, bien sûr, que sa contribution est supérieure à la pension moyenne qu’elle distribue)

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