Des Dettes à Taux Zero,C'est Byzance, non?



Consommer ou Investir en s’endettant, pourquoi pas !

Q. Emprunter à taux zéro, voire à taux négatif, c’est génial, non ?

Dans la pensée économique de ces cent dernières années, quand on s’interrogeait sur le rôle de la monnaie, on avait le choix entre Keynes ou Friedman. Pour Keynes, pour lutter contre le sous-emploi, il « suffisait » de lancer des grands travaux, que l’on en ait, ou non, le financement, quitte à créer de la monnaie, tandis que pour Friedman, la monnaie n’était qu’un voile, et pour résoudre le sous-emploi, il suffisait de laisser les différents marchés opérer librement.

Q. Heu, vous ne répondez pas à ma question sur les dettes

Je vais y venir, en prenant concrètement l’exemple de la France, et en explorant avec vous ce que l’on peut déduire logiquement d’un éventuel surcroît de dettes.

Au 1/10/2019, les dettes publiques françaises représentaient à peu près le PIB français, à savoir 2415 milliards d’euros

Je vous rappelle que, d’après l’INSEE (même s’il s’embrouille un peu dans ses chiffres, à quelques milliards près) le PIB, dit Produit Intérieur Brut, est égal à tout ce qui est consommé, ou investi, en France, plus les exportations moins les importations

Q. En d’autres termes, le PIB c’est égal à l’ensemble des dépenses, peu importe son financement ?

C’est tout à fait cela. Mais puisque le PIB correspond à des dépenses, donc à des échanges entre acteurs économiques, il va bien falloir concrétiser ces échanges de façon formelle, en valorisant chaque échange, de marchandises ou de services, par un prix, chaque échange matériel (ou relationnel, dans le cas des services) étant ainsi finalisé (en supposant que l’on paye au comptant) par une transaction financière.

Q. Je reçois un bien, en échange d’une somme d’argent de valeur équivalente, même chose pour un service !

La question est donc de savoir combien il faut d’argent pour cela

Q. Je suppose qu’il faut la même somme que la valeur du PIB

D’un point de vue instantané, pour « dénouer » la transaction, l’échange est effectivement équivalent, bien (ou service) contra agent. Mais la même somme peut servir plusieurs fois.

Q. Comment cela ?

Si vous achetez 50 euros de viande à votre  boucher, et que ce même boucher est votre client pour un service particulier, coiffure ou bricolage, vous allez récupérer vos 50 euros. Le même billet a pu servir 2 fois, voire plusieurs fois

De fait, la même somme peut servir plusieurs fois, donc « circuler » plus ou moins vite. Il est vrai qu’une pièce de 2 euros a plus de chances de circuler plus rapidement qu’un billet de 500 euros (plus ou moins interdit d’ailleurs en France maintenant)

Q. Comment alors établir cette vitesse, si tout dépend de la pièce, ou du billet, considéré. Peut on obtenir une moyenne, si tant est qu’elle ait un sens ?

En fait on pourrait dire que la vitesse de circulation de la monnaie peut se calculer en divisant la masse monétaire par l’ensemble des transactions. Dans le cas de l’échange entre votre boucher et vous-même, et si on se limitait à ce seul échange en une année (car la vitesse dépend de l’unité de temps considérée, comme le PIB d’ailleurs) on aurait une vitesse de 2, puisqu’il y a eu 2 échanges avec un même billet. Mais dans le cas général, à l’échelle d’un pays, cela n’est pas si simple, et cela pose au moins deux problèmes.

Q. Lesquels

Les « experts » ne sont pas vraiment d’accord sur ce que l’on appelle la masse monétaire, ou plutôt ne savent pas ce qui sert réellement aux transactions, certaines formes de monnaies étant plus ou moins liquides, et plus ou moins utilisées. Ces différentes formes sont appelées « agrégats monétaires », et il y en a principalement 4


·        M0 appelée aussi base monétaire, ou monnaie centrale, représente l'ensemble des engagements monétaires d'une banque centrale (pièces et billets en circulation, avoirs en monnaie scripturale comptabilisée par la banque centrale).

·        M1 correspond à la part pièces et billets en circulation de M0 plus les dépôts à vue.

·        M2 correspond à M1 plus les dépôts à terme inférieurs ou égaux à deux ans et les dépôts assortis d'un préavis de remboursement inférieur ou égal à trois mois (par exemple, pour la France, le livret jeune ou le livret de développement durable et solidaire, les livrets A et bleu, le compte épargne logement (CEL), le livret d'épargne populaire (LEP)...).

·        M3 correspond à M2 plus les instruments négociables sur le marché monétaire émis par les institutions financières monétaires (IFM), et qui représentent des avoirs dont le degré de liquidité est élevé avec peu de risque de perte de capital en cas de liquidation (ex. : OPCVM monétaire, certificat de dépôt, créance inférieure ou égale à deux ans).

Au sens strict, seul M1 peut permettre de « payer » un achat, de bien ou de service, c’est le seul argent vraiment « liquide » qu’il soit sous forme de billets ou sous la forme d’un compte bancaire, mais en cas de besoin il est facile de faire passer une monnaie moins « liquide » de M2 ou de M3 vers M1


Q. Que faut-il prendre alors?
On peut prendre une quote mal taillée, et prendre une combinaison de ces différents agrégats, même si, hélas, ils ne varient pas toujours, d’une année sur l’autre, avec la même amplitude (et, d’ailleurs, ils augmentent tous plus vite que le PIB). Mais il est plus simple de prendre M1, tout en sachant que des flux sont possibles entre les différents agrégats.

Q. Je suppose que ces flux dépendent de ce que Keynes appelait la préférence pour la liquidité.

Oui, cette préférence, difficile à mesurer, est censée être fonction du contexte, de la confiance des différents acteurs économiques, de l’inflation, des taux d’intérêt. En fait ce concept n’est pas très opérationnel, certains disent qu’il cache notre ignorance sur ce que l’on ne comprend pas vraiment.

Mais restons en à des données que l’on peut suivre relativement facilement, à savoir soit la monnaie centrale, M0, soit le montant des dépôts à vue plus les billets en circulation c’est-à-dire M1

Sur les 5 dernières années, c’est M0, la « monnaie centrale », celle qui est directement créée par la Banque Centrale, c’est-à-dire la Banque de France sous l’égide de la BCE, qui a le plus augmenté, mais laissons cela pour le moment

Q. Si tout bouge différemment, et plus vite que le PIB, je ne vois pas trop à quoi peut servir cette notion de vitesse de circulation

En fait, cette vitesse, que l’on croyait stable sur de longues périodes, a une tendance très nette à diminuer, mais peut encore servir à court terme pour éclairer notre discussion. Là encore, nous allons prendre des chiffres récents, et considérer, de plus que l’indicateur le plus pertinent est l’agrégat M1, l’argent liquide plus les dépôts à vue, c’est-à-dire l’argent que l’on peut utiliser de façon immédiate, sans aucun délai.

On prendra comme valeur de « M1 » la somme des billets, 239 milliards, et des dépôts à vue, soit 1107 milliards, soit un total de 1346.

Avec ces données, et ce choix, on arriverait donc à une vitesse de circulation de la monnaie légèrement inférieure à 2, ce qui nous suffira comme ordre de grandeur

Q. Vous avez parlé d’un deuxième problème
Oui, cela tient à la définition du PIB, et au fait qu’il ne faut pas le confondre avec la somme des chiffres d’affaires, puisqu’il y a ce que l’on appelle une consommation intermédiaire, qui est vendue par une entreprise et rachetée par une autre, afin de permettre à l’ensemble de la chaîne de production du bien ou du service, de fonctionner. C’est bien pour cela que la TVA porte sur la « valeur ajoutée », pas sur le chiffre d’affaires. En d’autres termes, la TVA est une composante du PIB, exprimé lui après Tva, en prix « nets »

Q. Si je comprends bien, si un boulanger achète de la farine pour faire son pain, on ne compte pas le prix du blé à la fois chez le meunier et chez le boulanger ?

Oui. A cette précision près, il est donc relativement simple, à quelques milliards près, de déterminer le PIB d’une nation et d’en déduire, à peu près, la vitesse de circulation de la monnaie, dans un contexte donné. Nous prendrons donc ici 2 pour cette vitesse, en supposant par ailleurs que cette vitesse est à peu près la même pour chaque grande catégorie d’acteurs économiques, qu’ils soient des ménages ou des administrations publiques, les APU

Q. Et en quoi ceci va nous permettre de nous interroger sur le rôle des dettes, publiques ou privées ?

Nous allons nous limiter ici aux dettes publiques, même si le raisonnement serait analogue pour les dettes privées (lesquelles sont d’ailleurs encore plus importantes en volume que la dette de l’Etat, puisqu’elles avoisinent 140% du PIB)

Pour cela, nous allons partir des dépenses de consommation des APU (administrations publiques) estimées à 550 milliards d’euros (de l’ordre de 24% du PIB)

Q. Comment ces dépenses sont-elles financées ?

On va supposer qu’initialement l’APU, l’Etat pour faire court, a accès à la moitié de cette somme sous forme monétaire, soit 275 milliards, ce qui, en faisant tourner cette monnaie à la vitesse « normale », lui permet effectivement de payer sa consommation de 550 milliards

Q. Je ne suis pas sûr de comprendre, 275 milliards suffiraient pour payer 550 milliards, c’est Byzance !

Non bien sûr, ce que je veux dire, c’est que les besoins de trésorerie monétaire se limitent à 275 milliards, pour des dépenses de consommation de 550 milliards.

Dit encore autrement, entre les entrées sorties de l’agent « Administrations Publiques », la masse monétaire qui est mobilisée, en supposant une vitesse de circulation uniforme et égale à 2, est de l’ordre de 275 milliards, même si les ressources nécessaires sont de 550 milliards, tant que l’Etat ne dépense pas plus qu’il ne perçoit

Q. Et si l’Etat veut, ou doit, dépenser plus ?

Il n’y a guère que deux solutions, soit prélever davantage sur les « ménages », les contribuables, par de nouvelles taxes ou impôts, soit emprunter. Nous nous contenterons ici, vu le sujet de ce billet, de traiter le cas de l’emprunt

Si les dépenses de l’état augmentent de 30 milliards, l’état va devoir emprunter 30 milliards, simple question d’arithmétique, pour ne pas dire de comptabilité.

Q. Mais, dans ce cas-là, de combien va augmenter la masse monétaire ?

Vous posez la une bonne question, mais la réponse n’est pas simple. Avant de vous répondre, j’ai posé cette même question à divers experts, un cadre à la banque de France, un autre à la Caisse des dépôts et consignations, un autre enfin étant professeur d’université.

Q. Et alors ?

La réponse, variée, s’étale entre 0 milliard (aucune augmentation de la masse monétaire M1) à 30 milliards, sans toujours beaucoup de justifications argumentées.

Q. Y a-t-il une réponse "juste" ?

De fait, à moins de supposer que mes interlocuteurs sont idiots ou incompétents, ce qui peut arriver, la seule réponse doit être : on ne sait pas, tout dépend du contexte, et plus particulièrement des conditions de l’emprunt : quels sont les créditeurs, ceux qui accordent le prêt à l’Etat.

Par ailleurs, autre interrogation, l’agent économique « Etat » a-t-il le même comportement vis-à-vis de la circulation monétaire que les autres agents économiques. Là encore, il faudrait sans doute préciser à quoi va servir l’argent emprunté, à payer des fonctionnaires, ou à financer des investissements.

Mais revenons aux conditions de l’emprunt, puisque là repose sans doute la confusion de nos experts

Q. Pouvez-vous préciser ces conditions ?
Rappelons tout d’abord que lorsque l’état emprunte, c’est en grande partie pour rembourser la dette qui vient à échéance, c’est-à-dire l’emprunt qu’elle ne pourrait pas rembourser sinon.

Ce qui, pour un particulier, pourrait s’appeler une opération de cavalerie correspondra pour 2020 à 135 milliards, alors que les nouveaux besoins de financement, destinés à couvrir le déficit public, ne seraient « QUE » de 95 milliards.

La réponse « orthodoxe » serait de dire : l’Agence France Trésor va émettre pour l’Etat Français des titres, le plus souvent des « OAT » (Obligations Assimilables du Trésor), les marchés financiers y souscriront, et, pour la plupart de nos experts, la réponse s’arrêterait là !

Q. Et alors ?

Cet argent ne va pas tomber du ciel, les « marchés » financiers ne créent pas de monnaie, et on revient là au problème initial, rarement abordé par nos « financiers », d’où vient cet argent opportunément accordé à France Trésor contre remise, pardon souscription, de bons ?

De fait, cela peut venir, au moins partiellement,  de l’épargne collectée par ailleurs, ce qui n’aurait pas d’influence directe sur la monnaie « liquide », M1, tout en faisant éventuellement grossir d’autres agrégats.

Q. C’est plausible, donc ?

Certes, mais si l’on regarde les évolutions de la masse monétaire directement gérée par la banque de France et les banques commerciales, ce n’est pas le plus probable.

De fait, entre juillet 2016 et juillet 2019, la base monétaire a presque doublé, en passant de 388,9 milliards à 742,8 milliards, alors que les billets en circulation n’ont augmenté que de 14% (et les dépôts à vue de 40%, passant de 800 Mds€ à 1106 Mds€)

Pendant ce temps là le bilan de la Banque de France a littéralement explosé, au profit presque unique des banques, dont les dépôts nets auprès de la BDF, voisins de zéro, se sont accrus de 400 Mds€ (somme du même ordre de grandeur que l’augmentation de la base monétaire, M0)

Q. Et vous en concluez ?

J’en conclus que la souscription des OAT par les marchés financiers ne se fait pas sans répercussion sur les différents agrégats monétaires, que ce soit M0, M1, et sans doute d’autres agrégats comme M2 ou M3, ainsi que sur le portefeuille d’assurance-vie détenu par différents agents économiques

J’en conclus surtout que de ne pas s’intéresser aux sous-jacents de la souscription des nouveaux OAT est, au mieux, une erreur, à la fois théorique et concrète et, au pire une faute

Une dernière remarque, enfin, pour la bonne bouche. En creusant un peu plus, de façon aristotélicienne, c’est-à-dire en recherchant la cause des causes, ce qui devrait sembler le plus important, et je remercie sur ce point un « non expert », mon ami Marc, ce qui devrait être le plus important donc, c’est la contrepartie de l’emprunt souscrit

Q C’est-à-dire ?

Cette contre partie est elle de l’argent épargné, donc sans création monétaire, ou bien va-t-elle correspondre, d’une façon ou d’une autre, à du futur espéré, à un progrès futur, à une « croissance » anticipée, auquel cas cet emprunt correspondrait, en fait, à de la fausse monnaie ? Parole, parole, ou promesse, promesse, pourrait-on chanter.

Cela étant, la seule chose que l’on peut affirmer est que ces dépenses supplémentaires vont correspondre à une dette supplémentaire, qui auront un impact plus ou moins important, direct ou indirect, sur les différents agrégats monétaires ainsi que sur l’état de l’économie, dès lors que les fait s’opposent à la thèse « monétariste » classique, à savoir que la monnaie ne serait qu’un voile.

Q. Si je comprends bien, le financement de la dette publique échappe à toute analyse ?

Ce n’est pas tout à fait cela, heureusement. Ce que l’on peut affirmer, en tout cas, est que, sur le moyen terme, tout déficit budgétaire va se payer par une ponction sur les ressources de la nation, que ce soit par une taxe ou des impôts supplémentaires, par une inflation plus ou moins déguisée : sans d’ailleurs qu’il y ait eu des analyses sérieuses faites sur le lien entre ces dépenses supplémentaires et sur la vitesse de circulation de la monnaie

Q. Il ne serait même pas possible de chiffrer l’augmentation de la masse monétaire ?

La Banque de France se contente de chiffrer la croissance des différents agrégats, mais sans vraiment pousser son analyse et se risquer à évoquer le rôle de la politique budgétaire de l’Etat ou des administrations publiques dans ces variations.

Q. Est-ce si grave, puisque l’on nous dit que, dès lors que le taux d’intérêt des emprunts est devenu nul, voire négatif, cela ne coûte rien d’emprunter ?

Si on dépense ce que l’on n’a pas, que l’on ait, ou non, à payer en plus des intérêts, la dette augmente quand même, c’est du simple bon sens.

Il est vrai que l’impact de l’augmentation de cette dette peut être plus ou moins bien dissimulé, et ce de 2 façons

Q. A savoir ?

L’impression de fausse monnaie, qui conduit nécessairement à une inflation, peut tout d’abord laisser le montant relatif de la dette au même niveau, même si, bien sûr, cette inflation pénalise ceux qui ont des revenus constants, non indexés sur cette inflation.

Q. C’est si grave que cela, ce que vous appelez de la fausse monnaie ?

Certains disent aussi de la monnaie de singe, pour signifier que cette création de monétaire ne repose sur rien de concret, rien de réel, mais uniquement sur des « espérances ».

Rappelons-nous aussi qu’il y a quelques siècles, tout faux monnayeur convaincu de son « crime » était écartelé vif, et qu’il y a un siècle il pouvait être condamné aux galères. Ce n’est donc pas une petite chose.

Q. Du moins quand ce n’est pas l’Etat qui en est responsable. Mais vous m’avez aussi parlé d’une autre façon de dissimuler l’augmentation de la dette
Cette deuxième façon est de comparer l’augmentation des dettes à l’augmentation du PIB, en faisant croire que la croissance du PIB est la panacée

Q. Et ce n’est pas le cas ?

LE PIB étant la somme de toutes les dépenses, il est clair que plus on dépense, plus le PIB va augmenter, quel que soit le bien-fondé de ces dépenses.

C’est évidemment le cas de toute dépense, privée ou publique, mais, quel que soit le cas, on peut se demander comment ces dépenses sont financées, par de l’argent déjà existant, donc du travail passé et des ventes réalisées, ou bien par une dette supplémentaire, gagée fictivement sur du travail et des dépenses futures.

Q. Mais, dans chaque cas, l’INSEE peut dire, et les « experts » répéter : le PIB augmente !

Effectivement, si l’on compare numérateur et dénominateur, en divisant les dettes publiques par le PIB, si on est à 100% quand les dettes et le PIB valent respectivement 2415 milliards, il en est de même lorsque numérateur et dénominateur augmentent simultanément. Et c’est là que la destination des dépenses supplémentaires de l’Etat va jouer pleinement.

Q. Pourquoi cela ?

L’argent dépensé par l’Etat va se retrouver dans certaines poches, argent qui va lui même parfois être dépensé, ce qui va augmenter le PIB, et donc diminuer la valeur relative des dettes publiques, le dénominateur étant cette fois ci le seul à augmenter

Q. Si je comprends bien, plus l’Etat dépense, plus la dette publique diminue, au moins en relatif ?

Dans un contexte d’emprunt réalisé avec un taux d’intérêt de 0% (voire négatif) c’est effectivement le cas, du moins dès que le ratio dettes/PIB dépasse 100%, c’est de la simple arithmétique. Lorsque ce ratio est inférieur à 100%, il en va différemment, car tout va dépendre de l’utilisation du déficit, et de la vitesse de circulation de la monnaie possédée par les agents économiques concernés. Si cette vitesse est faible, donc proche de 1, le ratio Dettes/PIB peut ne pas diminuer, voire augmenter, là encore c’est un simple calcul de barycentre, c’est-à-dire une règle de trois un peu sophistiquée.

Q. Pouvez-vous donner un exemple

Supposons que la dette publique soit de 2000 milliards, et le PIB de 2500 milliards, le ration dettes/PIB étant donc de 80%

Si le déficit supplémentaire est de 100 milliards, le PIB va passer automatiquement à 2600 milliards, et le ratio passer à 2100/2600, soit 80.7%, d’où une augmentation relative du poids de la dette (même en supposant un taux zéro pour l’emprunt finançant ce nouveau déficit)

Il faudrait que les dépenses associées à ce déficit supplémentaire soient au moins égales à 25 milliards pour que le poids relatif de la dette °/ PIB n’augmente pas

Dit autrement, il faudrait que la vitesse de circulation de l’argent de l’état – une fois perçu par d’autres agents économiques - soit de l’ordre de 1.25, ce que certains économistes appellent « effet multiplicateur », et qui correspond simplement au fait que les « ménages » ayant reçu de l’argent de l’état vont dépenser 25% de ce montant pendant une année.

Q. Là encore, c’est Byzance, on comprend pourquoi l’Etat peut se laisser aller !

Ne sautons pas trop vite aux conclusions, même si, effectivement le « multiplicateur » est sans doute plus proche de 70% (et donc la vitesse de circulation pour les agents de l’état proche de 1.7) que de 25%

De fait, avec un taux d’intérêt « normal », tel qu’il a existé pendant des décennies, et voisin de 2%, le paiement des intérêts de la dette, en reprenant les chiffres de 2000 milliards, ajouterait déjà 40 milliards au déficit, ce qui, ajouté aux 100 milliards supplémentaires exigerait 75 milliards de plus pour que les dépenses « non étatiques » compensent à la fois les intérêts des dettes et le déficit supplémentaire

Q. Une vitesse de circulation de 1,75, cela reste envisageable !

Certes, mais faudrait-il encore savoir quels sont les destinataires de cet argent public, qu’il ait ou non été financé par des marchés étrangers, et par épargne ou par création monétaire. Les nouveaux dépensiers, sont-ils résidents, ou étrangers, et vont-ils dépenser cet argent pour « acheter français », ou non.

Il est clair que si ces nouvelles ressources vont principalement à l’étranger, que ce soit pour être dépensé par des non-résidents ou pour importer des biens de l’étranger, les conséquences seront différentes, et la notion même de multiplicateur, voire de vitesse de circulation, sera beaucoup plus floue.

Q. Que peut-on en conclure alors, sur les liens entre dette publique, déficit, et croissance, ou non, du PIB et du ratio dette publique et PIB ?

En dehors de la conclusion, un peu abrupte, déjà esquissée plus haut, à savoir que nos « experts » s’intéressent rarement à l’ensemble de ces questions et de leur contexte, nos exemples numériques montrent déjà que 3 paramètres sont essentiels :

1 : Le montant relatif de la dette publique °/PIB

2 : Le montant du déficit budgétaire

3 : Le taux d’intérêt

en dehors bien sûr du taux de croissance du PIB, hors dépenses publiques.

Q. Si je comprends bien, le fameux taux de déficit budgétaire qui devrait être inférieur à 3% pour que tout aille bien dans l’U.E.  Maastrichtienne est une sottise ?

Cela dépend. Là encore reprenons deux exemples, avec un taux d’intérêt sur les dettes différents

Exemple1 : En partant toujours d’une dette égale initialement au PIB, soit 2400 milliards € pour simplifier les calculs, prenons un déficit égal à 3%, hors remboursement d’intérêts, et un taux d’intérêt moyen de 2%

On obtient alors : Dette plus déficit = 2472 Mds€ ;
Intérêts en cours : 2% de 2472 (= 49,4 Md$),
soit un total de 2521,44 Mds€


Pour que le ratio dettes/PIB soit inchangé, il faudrait que le PIB ait augmenté de 121,44 Mds€, soit 5.06%, ou, en intégrant les 72 milliards de dépenses supplémentaires, une augmentation de 2.06%. Sans inflation, c’est évidemment fort difficile, voire impossible

Exemple2 : On va partir cette fois, avec les mêmes données initiales, d’un taux d’intérêt égal à 0 pour les nouvelles dettes, et de 1.5% pour les anciennes dettes (ce qui donne des intérêts anciens de 36 milliards, au lieu de 48 Mds€ au taux de 2%)

Les nouveaux intérêts seront nuls, par hypothèse, et avec un déficit supplémentaire de 3%, nous arrivons alors à une dette totale de 2472 plus 36 = 2508 Mds€.

Pour que le ratio dette/PIB soit inchangé, il suffirait cette fois d’une croissance du PIB de 1,03%, beaucoup plus facile à réaliser.

D’où l’influence extrême du taux d’intérêt sur l’impact de la politique budgétaire, et plus généralement de la politique économique

Q. Peut on alors en déduire que les taux d’intérêt nuls sont une bonne chose, au moins pour l’état ?

Quel que soit l’emprunteur, il vaut mieux, évidemment, ne pas payer d’intérêts qu’en payer. Mais pour ceux qui prêtent, les créanciers, il en va tout autrement, puisqu’ils prêtent un montant qu’ils ne récupéreront qu’au bout d’un certain temps, sans percevoir la moindre rémunération pour leur « frugalité » ou pour leur prise de risque, en cas de non-remboursement. En fait, ce n’est plus l’euthanasie des rentiers, comme lorsqu’une inflation forte était supérieure au taux d’intérêt des prêts, c’est la mort lente des épargnants, les cigales étant préférées aux fourmis.

Mais cela, ces emprunts à un taux nul ou négatif, cela va bien au-delà. C’est au niveau de l’économie dans son ensemble que le travail passé est dévalorisé au profit du travail espéré futur. Au lieu d’avoir à réfléchir sur l’utilité de telle ou telle dépense, on déclenche une véritable course en avant

Q. Comment cela ?

De la fausse monnaie est injectée dans l’économie – quand elle ne va pas directement dans les poches des spéculateurs – de nouvelles marchandises sont mises en fabrication, de nouvelles dépenses sont faites en marketing pour inciter des consommateurs potentiels à emprunter pour acheter ces nouveaux « biens » - quelle qu’en soit la véritable utilité -

Q. Finalement, tout le monde y gagne, en dehors des rentiers et des créanciers ?

C’est du moins ce que l’on cherche à nous faire croire. C’est ainsi que des centaines de millions de smartphones sont remplacés chaque année par d’autres centaines de millions de smartphone, au prix d’un gâchis phénoménal en composants de toute sorte, dont des « terres rares » extraites dans des conditions sociales et écologiques effroyables. La pollution en plastiques ou en d’autres dérivées d’hydrocarbures va polluer les rivières et les océans, mais tout va bien. Les dépenses, donc le PIB, vont augmenter, comme c’est le cas après toute catastrophe industrielle ou écologique. On aura dépensé plus d’énergie, dont on sait qu’elle n’est pas gratuite, tout en croyant que l’énergie monétaire, si l’on peut dire, est-elle gratuite.

De plus, évidemment, face à l’accumulation de ces dettes, qui continueront elles, à grandir, il faudra bien un jour se poser la question : faudra-t-il, ou non, les rembourser

Si on les rembourse, de nombreux débiteurs seront ruinés.

Q. Et si on ne les rembourse pas?

Non seulement ce seront les créanciers qui le seront, ruinés, mais le système banco-financier tout entier qui s’écroulera. Tout le monde le sait, mais « après nous, le déluge »

En attendant, tout va bien comme le dit avec humour Charles Sannat (« il est déjà trop tard, mais rien n’est perdu »)

Pour terminer ce billet, comment ne pas citer mon ami, l’écosophiste Marc Dugois, qui critique sévèrement, et justement, une création monétaire qui, au lieu d’être gagée sur l’existant, le travail et les réalisations passées, n’est émise qu’en contre-partie de rêves. Je cite « la monnaie-dette n’est plus un constat d’un travail utile déjà effectué mais le rêve d’une richesse future, rêve alimenté par tous ceux qui y ont intérêt et qui sont légions, politiques, médias, banques, universitaires… Tant que nous ne vivrons que sur une dette mondiale irremboursable de centaines de milliers de milliards de dollars, nous n’affronterons aucun de nos problèmes de fond. »

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