Scénarios économiques post-confinement


Scénarios économiques de post confinement

Par Bruno Lemaire, ancien doyen associé d’HEC, ancien responsable R&D à IBM Conseil

Pas facile d’imaginer ce qui va se passer, sur le plan économique et monétaire, après le confinement, puisque la date du « déconfinement » n’est pas connue


Nos hypothèses : un trou de 245 milliards

Partons cependant sur une hypothèse moyenne d’une perte de 10% du PIB, par rapport au PIB qui avait été envisagé en euros constants pour 2020 (estimé à 2450 milliards €, en « euros 2019 »)

Je ne chercherai pas ici à justifier cette hypothèse, qui est peut-être minimaliste, mais à envisager ce qui pourrait arriver ensuite

Tout d’abord, contrairement à ce qui a pu se passer comme « rattrapage » après 1968, je ne crois absolument pas à un rebond en 2020. Cette perte, ou plutôt ces non-dépenses de 245 milliards (10% de 2450) ne seront pas compensées. Il manquera bien 245 milliards au PIB français, 245 milliards aux dépenses faites par les français.

Nous faire croire, par des artifices plus ou moins subtils, qu’on va pouvoir trouver en recettes 245 milliards pour compenser les recettes perdues, et donc pour permettre la non-diminution des dépenses relève d’une escroquerie.

Comment compenser ces pertes de recettes ?

Cela étant, plusieurs possibilités s’offrent au gouvernement pour pallier en partie cette évidence factuelle, cette diminution de recettes, de « revenus », de 245 milliards; nous y reviendrons à la fin de ce billet

La priorité, cependant, est de faire comprendre que si les dépenses baissent, en valeur à euros constants, de 245 milliards, cela va entraîner un changement de modèle de consommation, et, au-delà, un changement de modèle économique


Le monde d’après ?

Le « monde d’après », expression galvaudée, peut se présenter sous diverses formes.

La forme la pire serait de ne rien changer, et se contenter de diminuer proportionnellement, « homothétiquement », toutes nos dépenses, et ainsi de diminuer de 10% le pouvoir de vivre, ou le train de vie (misérable pour beaucoup), de chacun.

Ce serait la pire forme, mais il est probable que nos « élites » vont essayer de nous l’imposer, tout en essayant pour leur part de moins diminuer leur propre train de vie.

Bien entendu, nos « élites », si elles choisissent cette forme, ne l’annonceront pas ainsi. Le plus simple pour elles serait de compenser monétairement ces 245 milliards, en les distribuant là encore proportionnellement aux revenus précédents, en cachant par exemple leur choix derrière une inflation générale et proportionnelle de 10%.

Ce n’est sans doute pas ainsi qu’elles procèderont, à en juger par ce qui s’est passé en 2009. En fait la majorité de ce nouvel argent (si nouveau il y a) transitera par les banques, et sortira de l’économie réelle pour au moins 80% de son montant, en réduisant ainsi l’inflation visible à un 2 ou 3% beaucoup plus supportable d’un point de vue médiatique

Ce qu’il faudrait faire, si l’on voulait prendre en compte le bien du plus grand nombre, est tout à fait différent

Peut-on changer de modèle ?

En sachant que les 245 milliards ne seront pas rattrapables, faisons-en sorte que le pouvoir de vivre des exclus de la mondialisation, la France périphérique dont parle Guilluy, soit pénalisée le moins possible, par exemple en maintenant leur pouvoir de vivre, en leur permettant de dépenser approximativement autant que s’il n’y avait pas eu de pandémie.

Injecter pour cela 150 milliards de « monnaie spéciale », éventuellement sur des comptes spéciaux associés à des cartes bancaires spécifiques (système géré directement ou indirectement par un organisme dépendant directement de l’état) semble indispensable dans ce nouveau modèle.

Cette mesure aurait une double conséquence, si l'on veut vraiment parler d'un nouveau modèle

Tout d’abord, que les gagnants de la mondialisation soient les seuls à être touchés, ce qui signifie qu’ils perdront, eux, plus de 10% de leur train de vie. On peut estimer que tous les revenus supérieurs à 10 SMIC devraient être touchés

Ensuite, et plus difficile encore, que tout soit fait pour que cette injection de monnaie « spéciale » ou spécifique ne serve qu’à acheter des produits français, plus précisément dont ceux  la fabrication serait donc localisée en France. Injecter du pouvoir d’achat qui finirait en Chine pour lui acheter des biens que nous ne serions plus capables de fabriquer en France serait inefficace, donc (?) stupide

D’où une conséquence évidence. Nous devons changer de modèle économique, réindustrialiser la France, dont la part industrielle dans sa production intérieure est passée en 30 ans de 25% à 11% (ce qui s’est d’ailleurs accompagné d’une balance commerciale de plus en plus déficitaire, alors qu’elle était bénéficiaire il y a 20 ans)


Utopie ou vœu pieux ?

Utopie ou vœu pieux ? Pas vraiment, sachant que le contexte actuel a montré les torrents de créativité dont les français pouvaient témoigner, ne fut ce que dans la question des masques qui nous manquent si cruellement, ou encore, en plus sophistiqué, pour la question des respirateurs.

Par ailleurs, nécessité faisant loi, si d’une manière ou d’une autre on arrive à contingenter les achats faits à l’étranger pour relancer la machine en France, tout sera possible. Notre créativité peut aussi nous permettre de recycler nombre de produits dont nous avons perdu la maîtrise, en particulier en ce qui concerne les appareils électroniques ou électro-ménagers.


Recyclage et localisation.

Recyclage et localisation, voilà les deux maîtres mots du renouveau de la France. Combien de petits ateliers seraient fort heureux de pouvoir recycler des téléphones de 2 ou 3 ans, au lieu que nous soyons tous incités à nous en débarrasser et à nous pousser à racheter le dernier « Iphone » made in China et engraissant Apple. Même chose pour des téléviseurs de 5 ans, qui n’auraient pas nécessairement la « 4D », c’est vrai, ou des machines à laver de plus de 4 ans.

Oui, recyclage et localisation, voici les piliers du « monde d’après », qui ne serait en fait qu’un monde sans chichis, conservateur pour ce qui peut durer, changeant pour le reste.

Pour ceux qui s’inquiéteraient, à juste titre apparemment, de la dépendance de la France vis-à-vis de l’extérieur, rappelons que notre déficit commercial de 60 à 70 milliards ne concerne prioritairement que 7 à 8 pays, dont aucun ne remettrait réellement en cause notre survie. Certes, notre balance commerciale en produits pétroliers est déficitaire d’une dizaine de milliards (mais, curieusement, en excédent vis-à-vis de l’Algérie et du Qatar) mais notre énergie nucléaire, si nous ne nous évertuons pas à la tuer, nous assure suffisamment d’indépendance énergétique pour que nous puissions modifier les termes de ces échanges sans bouleversement profonds

Les 50 milliards qu’il nous reste à équilibrer, si nous voulons une balance commerciale équilibrée, concernent l’Allemagne et la Chine, le reste étant de peu d’importance.

A nous donc de savoir si l’on peut se passer des voitures allemandes ou du textile chinois, et si on veut le faire. Ce n’est sûrement pas aux entreprises multinationales de décider, mais à un Etat redevenu stratège. On a vu qu’il ne l’était pas, ou plus. Où sont passés les plans quinquennaux des Trente glorieuses ? Pour les machines-outils et l’électronique on devra sans doute d’abord passer par du recyclage avant de pouvoir remonter entièrement une industrie de bon niveau, mais là encore, la créativité française reste un atout, si on ne la bride pas à la recherche d’un produit immédiat.


Et la monnaie, dans tout cela ?

En guise de conclusion, revenons à la question monétaire, en la traitant tout d’abord de façon classique, et en supposant donc que nous voulions émettre 245 milliards de monnaie supplémentaire.

En fait 150 milliards seraient suffisants, si nous décidions de pénaliser davantage les « mondialistes », les gagnants de la mondialisation, que la France périphérique, mais partons sur 245 milliards

Je ne vois que deux façons de procéder, qui peuvent être ou non concomitantes ou complémentaires.

Soit la banque centrale, BdF ou BCE, émet 245 milliards (ou une portion de ce montant) en rachetant, pour équilibrer son bilan [même si c’est bidon, chacun devrait finir par le savoir] autant de dettes ou d’obligations souveraines à des détenteurs de ces dettes ou créances. La banque centrale n’est pas censée, l’insensée, racheter directement des dettes émises par les états, dont la France, et devrait s’approvisionner auprès de marchés financiers ou auprès de banques commerciales, mais elle s’assoit en fait, plus ou moins explicitement, sur les articles 104 de Maastricht et 123 de Lisbonne.

La banque centrale, une « bad bank » ?

Ces 245 milliards (ou moins) inscrits donc au passif de la banque de France vont aussi être inscrits – comptabilité élémentaire qui rend fous les non comptables, mais c’est ainsi – à l’actif des banques, à la place des créances ou des actifs financiers qu’ils auront cédés à la banque centrale, quitte d’ailleurs à ce que ces banques replacent ces liquidités en dépôts à la banque centrale. Procédé bizarre qui a vu ainsi les dépôts des banques commerciales auprès de la banque de France augmenter de 400 milliards en 3 ans, entre 2015 et 2018. Pour stériliser une émission monétaire tout en regonflant fictivement le bilan des banques, on ne fait pas mieux : voilà comment une banque centrale devient une « bad bank », une banque pourrie, et voilà comment on sauve, au moins pour une certaine période, des banques commerciales en très mauvais état.

Passons maintenant à l’autre possibilité, qui est parfois liée, voire confondue, à la précédente – car ce n’est souvent qu’un jeu d’écriture. En janvier 2020, les dépôts à vue des clients particuliers des banques commerciales se montaient à environ 1139 milliards.


Epargne forcée ?

D’où la tentation d’en saisir une partie, quitte à la baptiser « épargne » forcée. En prendre ainsi 10% ferait déjà 114 milliards, pas si loin que cela des 150 milliards énoncés plus haut comme le minimum indispensable pour redonner un peu de « liquidités » à la vie économique française.

Ce prélèvement obligatoire peut être camouflé diversement, par exemple en l’habillant en emprunt obligatoire remboursable sur 10 ans, en l’accompagnant d’un taux d’intérêt fictif égal à l’inflation : comme c’est l’INSEE qui détermine l’inflation officielle, les contributeurs forcés peuvent s’attendre à y perdre quelques plumes, mais après tout, pourquoi pas.

Quoiqu’il en soit, quitte à ce que les déposants se voient délestés d’une partie de leur épargne « liquide », on pourrait imaginer que ce prélèvement soit réservé exclusivement à des dépenses franco-françaises, par le mécanisme évoqué plus haut. Cela ne sera évidemment pas le cas, tant que la France fera partie, à la fois, de l’U.E. et de le zone Euro

Postface : le trou de 245 milliards ne peut être comblé, seulement maquillé ou donner lieu à un renouveau

Mais, dans tous les cas, la perte « physique » de 245 milliards ne sera pas compensée, elle ne peut qu’être maquillée, ou permettre un changement de modèle, ce sera à nous, si on nous en laisse la possibilité, ou si nous la prenons, de décider

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