BanquiersTiersDeConfianceOuFaiseursDeMiracles
Bruno
Lemaire, ancien doyen associé d’HEC
Comment nos banquiers sont passées de tiers de confiance à des faiseurs de miracle!
Rappelons-nous :
la monnaie doit inspirer confiance, pour ‘mériter’ ses trois caractéristiques
décrites par Aristote, unité de compte, moyen de paiement, réserve de valeur.
Il
n’y a de richesses que d’hommes.
En
fait, implicitement, la monnaie est un « titre de créance monnaie est un titre de créance sur
n’importe quel individu d’un groupe, dès lors que cette créance correspond à un
travail déjà réalisé et jugé utile » Ce n’est donc, en principe et
par construction, qu’un témoin comptable de ce que le groupe a validé comme
richesse.
Sans remonter à Midas, qui le premier a oublié
ce principe, à savoir qu’il n’y a de richesse que ce qui a pu être fait,
fabriqué ou extrait par le travail humain, ou sans citer Jean Bodin, pour qui « il n’est de
richesse que d’hommes » contentons nous de nous intéresser aux cent
dernières années qui ont vu le développement
de l’influence des banques centrales, en particulier la création de la Réserve
Fédérale des USA en 1913
D’un prêt sur gage à un prêt sur le futur.
Les banquiers ont toujours eu une légère tendance
à prêter plus d’argent qu’ils n’en avaient dans leurs coffres, en pensant que l’ensemble
de leurs clients n’iraient pas vider leurs coffres le même jour, et des « reconnaissances
de dettes » (du banquier envers son client) étaient suffisantes, sans qu’il
soit nécessaire de vérifier.
En dehors de grandes crises, comme celle de
1929, cela ne prêtait pas à conséquences, et, cahin-caha, ce fut le cas jusqu’en
1971, lorsque Nixon a annoncé que le dollar ne serait plus convertible en or. Les banquiers
accordaient des prêts, contre garantie, il y avait bien création monétaire
bancaire, puisque seules les banques centrales ont le droit de créer de la monnaie
légale, billets, pièces et de plus en plus monnaie scripturale ou digitale,
mais cette création reposait sur des gages relativement sérieux.
Pour emprunter par exemple un million, vous
deviez apporter en
garantie un bien réel valant une bonne partie de cette somme, par
exemple une hypothèque sur un bien immobilier, ou d’autres valeurs réelles.
Bien entendu, on avait plusieurs types de prêts,
depuis le prêteur sur gage, pour lequel vous déposiez votre Rollex en gage pour
avoir un prêt qui ne valait pas 50% du bien, et pour lequel vous touchiez un
véritable argent en contrepartie, sans création monétaire. C’était un simple
transfert d’argent, pour compenser une gêne momentanée.
Trésorerie et effets de commerce.
Les effets de commerce allaient un peu plus
loin. En tant que vendeur ou artisan, vous étiez parfois payé à 2 ou 3 mois, et
si vous aviez besoin de trésorerie plus rapidement, on vous prêtait le montant
total des effets, en vous prélevant un taux d’escompte. Le plus souvent, là
encore, même s’il pouvait y avoir création monétaire, elle était gagée sur une
contrepartie 'solide', une promesse de payer un bien ou un service réellement
fourni, ce qui comportait très peu de risque pour la banque, sachant que les
défaillances des clients étaient rares (le taux d’escompte étant d’autant plus
élevé que les créances étaient douteuses).
La tendance de prêter sur anticipation s’est
aggravée.
Mais cela, c’était avant. Avant que les banques
ne commencent à prêter de plus en plus d’argent, et donc à en créer de plus en
plus, en prenant comme contrepartie des gages de plus en plus douteux, ou, plus
exactement des contreparties reposant de moins en moins sur de l’existant, mais
sur des promesses. Des promesses de croissance, des promesses d’innovations,
des anticipations toujours merveilleuses mais parfois ‘foireuses’.
La monnaie, depuis 1971, et surtout depuis le
début des années 1980, s’est de plus en plus éloignée de sa raison d’être, à
savoir « titre de
créance reconnue comme telle par un groupe et validée par le travail reconnu
utile par le groupe » pour n’être plus qu’une promesse de
remboursement, aux garanties de plus en plus discutables.
Pour lutter contre cette tendance, qui avait d’ailleurs
vu en France les caisses d’Epargne se transformer elles aussi en banques au
début des années 80, on a cru trouver la solution dans l’article 104 de Maastricht,
qui prolongeait et complétait la loi française de janvier 1973, et qui
interdisait dorénavant aux Etats – et donc au trésor public français, d’emprunter
directement à la banque de France, puis à la BCE.
Les marchés financiers prennent le pouvoir.
On peut supposer que l’idée était que les
marchés financiers, gérant des intérêts privés, seraient plus efficaces pour
juger du bien fondé des dépenses publiques que la banque centrale elle-même, même
si, bien évidemment, cela ne canalisait pas vraiment ce que pouvaient faire, ou
ne pas faire, les banques commerciales.
L’affaire des « dot.com », puis celle
des subprimes ont d’ailleurs montré que cet article 104, puis l’article 123 du
traité de Lisbonne, n’avaient pas grand impact sur la croissance des prêts, et
donc de la monnaie, dont le taux de croissance était 3 à 4 fois supérieur à la
croissance du PIB.
Une dette publique (relative au PIB) multipliée
par 5 en moins de 50 ans
La dette publique français est ainsi passée de
20% du PIB en 1973 (taux supérieur au taux actuel d’endettement de la Russie) à
100% en septembre 2019 (et atteindra sans doute 110% en septembre 2020)
Le plus étrange, dans tout cela, est que l’on va vu émerger, en une cinquantaine d’années, le phénomène suivant. Les banques, dont la banque
centrale, prêtent de moins en moins en fonction des garanties réelles apportées
par leurs emprunteurs, mais de plus en plus en fonction de la richesse future
anticipée par leurs créanciers potentiels, l’exemple typique en
étant celui des start-ups des années 2000, dont 80% ont péri très vite, et celui
des sub-primes, quand le marché immobilier s’est effondré aux USA.
On en est même arrivé, en ce début d’année 2020,
à ce que la banque de France, sous tutelle de la BCE, crée de l’argent en
prenant pour garantie des créances sans valeur, pour ne pas dire pourries,
puisqu’elles ne seront jamais remboursées, à savoir des dettes publiques
permettant à l’état français. C’est ainsi que la BdF, et la BCE si l’Allemagne cède, devienne, disons-le
crument, une « bad bank »
Mais la communication publique est toute autre,
puisqu’il s’agit de dire maintenant : nous sommes sauvés, merci la BCE,
merci la Banque de France, merci l’Etat Français. Il y a un trou de 300
milliards dans la caisse, dans les activités qui n’ont pu avoir lieu à cause du
confinement, ce n’est pas grave, cela va nous servir de créances.
La boucle est bouclée : au lieu de garantir
la monnaie sur du réel, on
garantit maintenant la monnaie sur des manque, sur du vide. Au lieu d’acheter
avec de l’argent des produits de valeur, on crée maintenant de l’argent en
contrepartie du vide, non, pardon, des espérances (de remboursement qui n’auront
jamais lieu). Et tous nos experts crient au sublime !
Commentaires
Enregistrer un commentaire