Myopie et statisme des experts économiques

Toute approche statique en économie est stupide, en particulier pour le PIB.

B.L., ancien doyen associé d'HEC, amoureux de la France
En comptabilité nationale, on s’intéresse davantage aux stocks qu’aux flux, en oubliant trop souvent d’analyser les tendances et la dynamique d’une situation.
C’est malheureusement ce qui se passe lorsqu’on tente sinon de comprendre du moins d’étudier les principales composantes du PIB, quels qu’en soient les défauts par ailleurs.
Dans ce billet nous n’allons nous intéresser qu’à une approche, celle dite par les valeurs ajoutées, ou approche ‘production’.

Q. Pouvez-vous préciser cela ?
Dans l’approche « production » du PIB (Produit Intérieur Brut), on écrit le PIB comme étant égal à la valeur ajoutée augmentée des impôts et taxes sur la production diminuée des subventions

Dans cette décomposition ‘Production’ du PIB, la valeur ajoutée est mesurée « aux prix de base », disons aux prix hors taxe, pour simplifier. Il faut donc rajouter à cette première mesure les impôts sur les produits, essentiellement la TVA, et enlever d’éventuelles subventions.
On peut ainsi considérer que cette approche correspond aux ventes : Cette première approche est la valorisation de ce qui est vendu, par la dépense que fait le client à la fois pour l’entreprise et pour l’État. Pour l’entreprise c’est la valeur ajoutée, ce qu’elle touche de l’extérieur moins ce qu’elle a payé à l’extérieur ; pour l’État c’est la TVA moins ce qu’il a donné en subventions.

Q. Je ne comprends pas, le PIB, c’est ce qui est produit, ou c’est ce qui est vendu ?
En fait le PIB devrait correspondre aux dépenses réelles, pas à ce que l’on espère vendre, d’où d’ailleurs le problème des invendus ou des stocks. Selon les règles comptables utilisées, on peut ainsi valoriser différemment des stocks de produits qui n’ont pas encore trouvé d’acheteurs, soit, si l’on est optimiste, aux prix « du marché », soit avec une décote, parfois en essayant de les valoriser aux coûts de production lesquels, comme chacun sait, sont discutables suivant que l’on parle de coûts complets, de coûts variables, de coûts standard.

Q. Tout cela me paraît bien compliqué. Le PIB serait-il un concept « élastique » ?
Oui et non. En période ‘normale’, les stocks sont assez faibles, et ne correspondent parfois qu’à des ventes ultérieures espérées dont le montant ne correspondrait qu’à quelques jours voire quelques semaines de production, un ordre de grandeur de 3 à 4% paraît raisonnable, sachant que d’une année sur l’autre la variation de ces stocks est en moyenne de l’ordre de 0,3%, soit le dixième de l’importance absolue des stocks.

Q. Que faut-il en déduire ?
Simplement qu’en période ‘normale’, on considère que tout ce que l’on produit va être vendu, et que les stocks ne sont qu’une anticipation des ventes futures

Q. Et c’est vrai ?
Quand le niveau des stocks varie peu d’une période à l’autre, ou quand sa variation est directement proportionnelle à l’activité globale, c’est raisonnable de penser cela. En revanche, c’est quand le niveau des stocks varie trop qu’il faut s’en inquiéter.

Q. Si les stocks baissent, c’est plutôt bon, non ?
Oui, du moins à court terme, cela signifie qu’on vend plus que ce qui est prévu, mais cela peut aussi indiquer une surchauffe, et correspondre ainsi à un signal positif pour inciter à produire davantage, et peut être à investir dans l’appareil de production. Mais il vaut mieux, évidemment que les stocks baissent plutôt qu’ils s’accumulent.

Q. Et dans ce cas, celui d’une variation de stocks positive, ce qui est inquiétant pour l’entreprise concernée, quel effet cela a-t-il sur le PIB ?
Si on reprend la définition du PIB, qui ne s’intéresse qu’à la production et pas à la production vendue, on peut effectivement s’interroger. LE PIB va augmenter, alors que c’est pourtant un mauvais signal envoyé par ces méventes, même si cette augmentation de stocks peut simplement signaler, au niveau de l’entreprise, une modification de la politique d’approvisionnement.
Mais vous avez raison, le fait d’intégrer la VS, la variation de Stocks, dans le PIB est une lacune, qui peut s’avérer très grave.

Q. Effectivement, si une entreprise comme Renault fabrique des voitures, mais qu’elle ne les vend plus, difficile de dire que tout va bien.
D’autres faiblesses sont liées au calcul classique du PIB, mais ces faiblesses se révèlent essentiellement en cas de crise, pas quand il s’agit d’erreurs de quelques dixièmes de pourcentage

Q. Dixièmes de pourcentage qui correspondent quand même à 2 ou 3 milliards d’euros ?
Effectivement, avec un PIB de l’ordre de 2500 milliards d’euros (en fait il ne sera que de 2250 milliards en 2020), 0.1 ou 0.2% en plus ou en moins, cela fait déjà une somme. Mais les faiblesses du PIB se révèlent surtout en cas de crise, ce qui peut alors se traduire par une mévente de la production dont l’augmentation des stocks n’est qu’un effet annonciateur et relativement marginal relativement à l’ensemble du problème global.

Q. Vous dites que c'est marginal, pourquoi ?
Il est clair que si Renault avait l’intention de produire 2 millions de voitures annuellement, et si elle craint à un moment donné ne plus pouvoir n’en vendre qu’un million, elle ne va pas attendre d’avoir un million de voitures invendues avant de diminuer sa production.

Q. Je comprends. D’où la nécessité de ne pas avoir une approche statique du PIB, et des statistiques macro-économiques en général.
Vous avez raison, mais le problème est plus sérieux que cela
Nous avons vu que le PIB était la résultante de ce que ‘font’ les entreprises et l’état, à savoir ce qui sort des entreprises moins ce qui y entre, ajouté à ce qui rentre dans l’Etat, les taxes, moins ce qui en sort, les subventions.
Un raisonnement simpliste, car statique, pourrait laisser croire que si on augmentait la TVA, ou si l’on diminuait les subventions, le PIB augmenterait automatiquement.

Q. Et ce n’est pas le cas ?
Arithmétiquement, on pourrait le croire, puisque nous avons, en formule, PIB = VA plus Taxes moins Subventions, et si les taxes augmentent le PIB devrait augmenter aussi, ce qui est à la fois contraire au bon sens et à la réalité.

Q. Effectivement, s’il suffisait d’augmenter la TVA pour augmenter le PIB, l’état ne s’en serait pas privé.  Mais pourquoi cela ne ‘marche’ pas ?
Pour une raison très simple, cela augmenterait les prix payés par le consommateur ou l’acheteur final. Pour les entreprises qui récupèrent la TVA (sauf si on décide que certaines ne pourront pas le faire), cela ne changerait pas grand-chose, sinon un décalage dans leur trésorerie, mais pour un consommateur privé, payer plus cher le même produit l’inciterait à moins acheter.

Q. Oui, mais l’état serait plus riche !
Là encore, c’est une réflexion statique. Si les gens achètent moins de produits, la valeur ajoutée va diminuer, et il n’est pas sûr du tout, au contraire même, que l’augmentation de TVA compense la baisse des ventes « hors taxes », c’est-à-dire la valeur ajoutée produite ET VENDUE par les entreprises.
De fait, la seule façon d’augmenter le PIB d’une période sur l’autre, sans artifices comptables, est d’augmenter la « production vendue » et, pour cela, d’augmenter à la fois l’Offre ‘désirable’ (utile ou non, hélas, le marketing est là pour influer sur les intentions d’achat) et la Demande solvable, c’est-à-dire le pouvoir d’achat.

Q. Vous dites qu’il faut raisonner en dynamique, mais alors, c’est plutôt bien les milliards injectés par la BCE ou la Banque de France dans l’économie française, non ?
Oui et non. En fait, avec ou sans monnaie supplémentaire, presque indépendamment de ce que peut décider l'état, et donc même si l'état n’avait rien fait, la baisse de la production, et donc de la production « vendable », aurait diminué, du seul fait des décisions de confinement, associées à une démobilisation forcée des acteurs économiques. Cette perte de production sera de 250 à 300 milliards d’euros par rapport au niveau du PIB prévu pour 2020.
Et rien ne semble être fait, au moins à court terme pour modifier cela: cette  forte diminution du PIB ne pourra être compensée rapidement.
Ce n’est pas en quelques mois que l’on va pouvoir compenser cette perte de production, puisqu’il faudrait pour cela que l’on puisse produire plus que nos capacités de production le permettent. Avant la crise épidémique, les capacités de production tournaient en moyenne, d’après l’INSEE, à 83% de leur maximum, ce qui est un chiffre classique pour éviter tant la surchauffe que le sous-emploi. Pendant les deux mois du pic de l’épidémie, ce chiffre était passé à 40%, et n’a toujours pas atteint 75% pour les derniers chiffres connus, fin juin 2020.

On peut certes espérer que l’on pourra passer à 85% pour la fin de l’année, mais il serait déraisonnable d’espérer davantage.

Q. En tenant compte des chiffres évoqués, il semble effectivement peu probable que le PIB de 2020 ne soit pas inférieur de 10 à 12% au PIB initialement attendu !
Il s’en faudra au moins de 250 milliards, hypothèse très optimiste, à 300 milliards, hypothèse ‘normale’. Et les 300 milliards d’émission monétaire ou de dettes supplémentaires ne changeront rien à cette donnée objective, liée aux capacités de production de la « maison France »

Q. Mais ces 300 milliards, à quoi vont-ils donc servir ?
C’est évidemment LA question qu’il faut se poser. De fait, si nous n’y prenons garde, ces milliards risquent de se retrouver en grande partie soit entre les mains des spéculateurs et des marchés financiers, tout contents de l’aubaine d’obtenir de l’argent à taux zéro, voire négatif, pour acheter des actions ou des obligations, soit dans les caisses des importateurs si les Français utilisent cet argent surabondant pour acheter à l’étranger.

Q. Que faire alors pour éviter que cet argent ‘exceptionnel’ n’aille dans la bourse ou n’augmente notre énorme déficit commercial ?
La solution la plus simple aurait été que cet argent ne puisse financer que des investissements réels en France ou ne puisse acheter, tels des bons d’achat ou des tickets de rationnement – puisque nous étions en guerre d’après notre président – que des produits français. Cela aurait relancé à la fois la consommation et la production locale, sans profiter aux parasites financiers ou aux économies étrangères.

Q. Cela semble être du simple bon sens. Et pourquoi ne l’avons-nous pas fait ?
Pour une seule raison : l’union européenne nous l’interdit, alors que la France est en danger de mort.

Q. Qu’aurait-il fallu faire alors ?
Dire non à l’U.E., et faire ce qui était bon pour les Français, et donc pour la France.

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