L'arbre du PIB cache la forêt des déficits commerciaux et des soldes Target

 PIB, totem des économistes, mais peu pertinent pour juger de la prospérité d’un pays

L’acronyme ‘PIB’, ou Produit Intérieur Brut, est sans doute l’acronyme le plus connu de tous, et pas seulement des économistes, débutants ou experts. De plus, presque personne ne semble remettre en cause le mantra affirmant qu’il est l’indice le meilleur, ou le moins mauvais, de la richesse ou de la prospérité d’un pays, alors que nous montrerons qu’il en est un indicateur peu fiable et très insuffisant, et qu’il faudrait adopter une approche fort différente. Cette approche, au-delà de tout indice réducteur, voire inapproprié, est liée à la puissance industrielle d’un pays, à sa dépendance envers les autres pays, au niveau de vie de ses travailleurs, à son niveau d’emploi. Sans oublier ses dettes, privées ou publiques, plus ou moins importantes, et parfois vertigineuses, qui ne profitent dans ce cas qu’aux ultra-riches qui ne se soucient guère de l’état réel de leur pays, surtout lorsqu’ils ont placé leurs gains dans des paradis fiscaux, comme le Luxembourg ou l’Irlande en Europe.

Le Produit Intérieur Brut a été inventé et défini par Kuznets aux USA en 1922, puis généralisé en 1948, peu après les accords de Bretton Woods, en remplaçant peu à peu la notion de Produit National Brut, lui aussi inventé simultanément.

La France ne s’est plus intéressé qu’au PIB après 1993, suivant l’exemple, comme souvent, des Etats Unis, qui avaient laissé tomber le concept de PNB dès 1991. Il est vrai que le PIB sert depuis 30 ans, à tort ou à raison, de comparaison internationale entre les économies des pays, développés ou émergents, et qu’avoir une locution commune était évidemment intéressant.

Mon propos initial n’est pas de revenir sur le fait de savoir si le PIB est, ou non, un bon indicateur de la prospérité ou du bien être d’une nation, mais plutôt de montrer que les modes de calcul proposés (trois d’après l’INSEE) sont parfois peu lisibles, voire incohérentes, même si nos comptables nationaux font tout pour le cacher.

Nous parlerons ensuite d’un des plus grands problèmes pour la France, à savoir son déficit commercial trèd insuffisant pour couvrir ses excédents dans les services. Ce déficit commercial, permanent depuis 2004/2005, implique que les achats faits à crédit sont en train d’appauvrir encore davantage ceux dont le revenu est plus ou moins fixe, dans une période pendant laquelle la monnaie se déprécie de plus en plus du fait des sommes considérables injectées par les diverses banques centrales de la zone euro. Nous verrons aussi que la question des dettes, publiques et privées,peut aussi conduire certains pays, en dépit d’un solde commercial positif, comme l’Italie et l’Espagne, à des situations économiques fort difficiles, dont l’un des indices en sera le déficit de leur « balance Target2 », cet acronyme traduisant les flux financiers se produisant entre les différents pays de l’Eurozone. L’étude ultérieure de ces « balances Target2 nous permettra de rendre compte de la fracturation, pour ne pas dire la désintégration financière, de l’Eurozone, zone qui apparaît de plus en plus divisée entre les pays du Nord et du Sud.

A l’appui de cette thèse, notons simplement, pour le moment, que dans les pays qui suscitent la défiance des investisseurs, les « dettes TARGET2 » ont fortement augmenté. Les investisseurs étrangers ont fui, et ce sont alors leurs banques commerciales, sous couvert de leurs banques centrales nationales, qui supportent la partie non financée de l'endettement extérieur. Dans les pays qui bénéficient des rapatriements de capitaux, le phénomène est opposé, ce sont les « créances Target2 » qui explosent, en particulier celles de l’Allemagne.

En ce qui concerne la valeur « intrinsèque » de la monnaie émise par les banques centrales européennes, la monnaie « centrale », notons déjà que la masse de cette monnaie [celle qui dépend directement du Système Européen de Banques Centrales, le SEBC, et plus précisément de l’Eurosystème ] , que cette masse monétaire a été multipliée par près de 3 en 5 ans en France, et par 50% en 2020.

La BCE, à la tête de l’Eurosystème, s’efforce d’ailleurs désespérément de cacher les déséquilibres internes de la zone euro en étant elle-même de plus en plus débitrice sur ces encore peu étudiés, mais si importants, soldes TARGET2. De fait les « dettes Target2» de la BCE, qui en toute logique devraient être proches de zéro, comme avant 2012, ont triplé les 8 derniers mois, sans doute pour racheter principalement des dettes italiennes ou espagnoles, privées et surtout publiques pour tenter de dissimuler la situation dramatique, sur le plan de la balance des paiements intra-UE, de ces deux derniers pays, dont le système bancaire est lui aussi en très mauvaise position.

Comment mesure-t-on le PIB

Mais pour en revenir à la question du PIB lui-même, et de son mode de calcul parfois étrange, je vais prendre quelques exemples à partir de la définition la plus commune, à savoir le PIB considéré sous l’angle des dépenses, c’est à dire (d’après l’INSEE) équivalent à la SOMME de la consommation finale, de la formation brute de capital fixe et de la variation algébrique des stocks, somme à laquelle il faudrait, toujours d’après l’INSEE, AJOUTER les exportations et SOUSTRAIRE les importations.

A ce sujet nous montrerons l’erreur de procéder ainsi, certains termes étant comptés deux fois, mais laissons cela pour le moment.

Prenons un exemple chiffré pour éclairer cette formulation, avec une consommation (finale) égale à 160, une formation de capital (= investissements) de 30, une variation de stocks (positive) de 20, sans parler pour le moment d’exportations et d’importations (importations qui font partie des dépenses, comme le simple bon sens devrait l’indiquer)

Pour l’INSEE, nous aurions alors un PIB égal à 210, ce qui est à la fois exact, facile à obtenir et compréhensible. Notons à nouveau que l’on a choisi ici une formulation de type « dépenses », ce qui est le cas de la consommation, de l’investissement, et, si l’on veut, de la variation de stocks (même si cette variation positive de stocks est plutôt une anticipation de recettes à venir qu’une véritable recette). LE PIB correspond donc à un échange, un équilibre, entre les ressources et les emplois, entre les revenus et la consommation. On ne peut faire plus simple. On retrouve même ici la si décriée loi de Say, dite des débouchés, dont Keynes s’est tant moqué.

D’un côté des échanges, en prenant le côté « ressources », on aurait ainsi une formulation sous forme de valeur ajoutée, le PIB étant alors égal à la somme des valeurs ajoutées, augmentée des taxes ou impôts à la production. De l’autre côté, celui des échanges, on aurait bien sûr les dépenses (à condition de ne pas les compter deux fois).

On pourrait aussi s’interroger sur la décomposition des dépenses, des achats « finaux », par catégorie d’agents économiques, privés ou publics, ou par type de dépenses, consommation finale ou investissements (la fameuse FBCF, ou formation brute de capital fixe, ou, en termes plus simples, les dépenses en biens durables et biens de production, bâtiments, machines, etc.). Nous reverrons cela par ailleurs, pour ne pas alourdir ce billet.

Si nous parlions d’import-export ?

Revenons pour le moment à notre approche dépenses, consommation plus investissements, sans même parler de variation de stocks.

Là encore on va commencer par des cas particuliers pour montrer que cette définition peut interroger sur la compréhension que l’on peut en avoir (et que cette définition est plus difficile à appréhender quand on utilise d’autres modes de calcul, parmi les autres modes proposés par l’INSEE, comme nous le verrons plus tard)

Raisonnons par l’absurde, comme tout mathématicien, débutant ou non, voire tout scientifique, procéderait, en prenant donc un cas très particulier et en montrant que même dans ce cas le mode de calcul envisagé peut conduire à quelques surprises. J’en ai d’ailleurs fait l’expérience en soumettant ce type d’exemple à plusieurs « experts » sur Internet, aucun ne m’a répondu, comme s’ils doutaient eux-mêmes de leur compréhension.

Précisons tout de suite que l’exemple choisi n’a pas pour objectif d’être réaliste, ni même crédible, mais il nous permettra par la suite d’introduire le concept de déficit commercial et des moyens de le financer.

Supposons ici que la consommation (plus la FBCF) soit uniquement faite à partir de produits importés, et que toute la production aille à l’extérieur. En termes savants, et avec les notations classiques des économistes, la consommation CF (plus la FBCF) serait égale à M, l’importation, et la production serait égale à X, puisqu’elle est uniquement ici destinée à l’exportation.

Dans ce cas, à quoi serait égal le PIB ?

Si nous revenons à la définition, les importations font partie de la consommation, donc le PIB, dans ce cas particulier, est égal aux importations. Ici PIB = M = CF plus FBCF.

Quid du financement d’un déficit commercial ?

Bien entendu, et ce indépendamment du contexte, les dépenses doivent être financées. Dans le cas présent le financement des dépenses, qui sont ici égales aux importations, devrait correspondre aux rentrées d’argent extérieur au pays considéré. Si les exportations sont égales aux importations, pas de problème, on aura X = M = PIB = CF plus FBCF, le financement sera opéré entièrement par l’équivalent des ventes à l’étranger.

Si X plus grand que M, là encore tout semble bien aller, puisque l’on a un solde commercial positif, avec des possibilités de financement plus importantes que le niveau des importations. On peut cependant déjà se demander, en inversant le rôle des deux pays concernés, si on opère entre deux pays ayant la même monnaie, comment ce solde commercial positif va être soldé. Evidemment ( !?), si les deux pays n’ont pas la même monnaie, la question sera plus délicate encore, puisque d’une manière ou d’une autre, ils devront travailler et financer leurs échanges avec une unité de compte commune.

Plus généralement, dès que l’on parle de PIB, il faut évidemment avoir une unité de référence, des prix traduits dans la même unité de compte, pour pouvoir comparer des produits exportés (dans un autre pays) à des produits importés (exprimée éventuellement dans une autre unité de compte). Nous reviendrons ailleurs sur ce ‘menu’ problème (qui, de fait, est source de véritables difficultés, rarement traitées proprement par les ‘experts’, de l’INSEE ou d’ailleurs).

Revenons cependant au cas où les pays qui échangent entre eux ont, sinon une monnaie unique, ni même une monnaie commune comme en zone euro, mais du moins une unité de compte, toujours dans l’hypothèse où la production du premier pays est entièrement exportée, et sa consommation entièrement importée. Le cas plus général n’apporterait d’ailleurs aucun changement, il ne ferait que compliquer inutilement l’analyse.

Nous aurons ainsi PIBpays1 = Dépensespays1 avec RessourcesPays1 = ExportationPays1

Si Exportation1 >= Importation1, l’autre pays devra la différence au Pays1, dans le cas inverse c’est le Pays1 qui devra cette différence. Mais sous quelle forme ? Bien entendu l’expert des Target2 aura reconnu que le pays1 aura une « dette Target2 » du montant égal à son déficit de sa balance des paiements (et au solde de sa balance commerciale s’il n’y a pas d’autres transferts financiers entre pays1 et pays2), tandis que le pays2 aura une « créance Target2 ») du même montant, mais n’allons pas trop vite.

Que ce soient des dettes ou des crédits, l’équilibre va être rompu, ce qui se compliquerait bien sûr, avons-nous dit, si l’autre pays, ou le reste du monde, n’avait pas la même monnaie. Non seulement il aurait fallu adopter une unité de compte commune, mais il faudrait encore mettre en œuvre des procédés de compensation.

Le cas d’un déficit permanent :

Si les déficits ou les excédents finissent par se compenser sur la durée, par exemple sur quelques années, on aura un pays qui fera crédit à un autre quelque temps. Mais si ce déséquilibre est pérenne il en va tout autrement. Et c’est malheureusement le cas de la France de 2020 vis-à-vis du reste du monde depuis une bonne quinzaine d’années, avec un déficit commercial moyen annuel de 1.5 à 2% du PIB, soit en euros actuels de l’ordre de 50 milliards d’euros – chiffres de la Banque Mondiale confirmés par ceux de l’INSEE. Les derniers chiffres de l’INSEE sont d’ailleurs de 62,8 milliards pour 2018 et 56,9 pour 2019, soit de l’ordre de 2.5% du PIB, qui valait 2427 milliards d’euros en 2019.

De fait, si un pays est durablement en déficit commercial vis-à-vis du reste du monde, c’est-à-dire si ses exportations ne suffisent pas à financer ses importations, il lui faudra bien trouver une solution autre que simplement commerciale, pour couvrir ce déficit de façon pérenne. Directement ou non, il faudra que le « reste du monde » lui fasse crédit.

Prenons le cas le plus simple, celui où le « reste du monde » a la même monnaie que le pays déficitaire. Il peut lui prêter de l’argent, c’est-à-dire que ce pays, disons Pays1, va emprunter de l’argent au reste du monde. Mais le « reste du monde » peut aussi convertir tout ou partie du solde commercial en investissements financiers ou matériels dans les entreprises de Pays1, voire dans ses infrastructures comme l’achat (ou la location longue durée) du port du Pirée par l’entreprise de transport chinoise, Cosco.

Il peut aussi se faire que certains habitants du pays « le plus riche », ici le pays2, viennent s’acheter des palaces, ou simplement passer des vacances luxueuses dans le pays1, la balance des services pouvant ainsi combler, pour partie ou en totalité, le déficit commercial du pays1. Il est vrai qu’en période de pandémie, comme en 2020, ou en cas de mauvais climat social, comme pendant la crise dite des « gilets jaunes », les flux financiers liés au tourisme sont extrêmement réduits.

L’impact des marchés financiers pour ‘soutenir’ les déficits

Toujours dans l’objectif du financement de ces déficits commerciaux (ou plus généralement le déficit des biens ET services) d’autres possibilités peuvent subvenir. C’est ainsi quand ce ne sont plus les pays, par l’intermédiaire de leurs banques centrales respectives, ou les entreprises concernées, qui vont prêter directement des fonds, ou investir dans le pays déficitaire, mais lorsque ce sont les marchés financiers ou des financiers privés qui font office de bailleurs de fonds.

Cela peut aussi se produire se faire par l’intermédiaires de banques commerciales, qui peuvent prêter de l’argent dont elles disposent, mais plus souvent en prêtant de l’argent qu’elles n’ont pas, en comptant sur la ‘générosité’ de leur banque centrale pour valider cette création monétaire bancaire, et pour se renflouer le cas échéant. Les 500 milliards créés par la BdF en 2020 en sont une preuve éloquente (en fait le bilan de la Banque de France a augmenté de 598 milliards en 2020, soit de près de 52%). Nous reverrons ce point quand nous parlerons de l’APP, « assets purchase programme », l’assouplissement quantitatif à la mode de l’U.E., programme consistant à permettre aux banques centrales nationales, les BCN, de l’Eurozone, de racheter sur le marché secondaire des actifs de valeur parfois très douteuse.

Dans ce cas aussi les marchés financiers interviennent, mais sur le marché dit primaire, puisque ce sont eux qui vont acheter les dettes des États, dettes mises en vente, dans le cas de la France, par l’Agence France Trésor. Les marchés financiers peuvent aussi acheter des obligations qui seraient émises par des entreprises privées voulant assurer un complément de financement, même si ces obligations peuvent aussi être rachetées directement par les banques centrales, toujours dans le cadre de l’APP.

 

L’exemple simplissime présenté ci-dessus, à savoir des dépenses effectuées uniquement sur des biens importés, et une production destinée uniquement à l’exportation, est évidemment complètement irréaliste, mais a pour but de mettre en évidence deux points :

1.      Que les importations font partie des dépenses, et donc du PIB, alors que les exportations vont servir à financer, partiellement ou en totalité, les importations. Un pays exportateur net est évidemment en meilleure posture financière qu’un pays importateur net, mais cela ne change rien au fait que l’étude du solde commercial est éminemment un problème de financement, pas directement un problème de bien-être du pays.

2.      Que l’une des deux formules classiques de calcul du PIB par l’équation :
PIB = CF + FBCF + Export – Import est manifestement erronée, puisque les importations n’ont pas à être comptées deux fois, puisqu’elles sont déjà contenues dans CF + FBCF. En revanche, la formule PIB = Valeur ajoutée Plus taxes ou impôts de production reste évidemment valable, les exportations faisant elles-mêmes partie de cette valeur ajoutée.

Nous verrons cependant, en prenant l’exemple de l’Italie, qu’un pays peut être en excédent commercial, en partie grâce à un coût du travail très inférieur à celui de la France, et être en bonne position financière, les dettes publiques y jouant pour leur part un rôle préoccupant significatif.

Echanges internationaux et libre-échange

Revenons cependant sur le point plus direct des dépenses de la vie économique « réelle », puisque tel était notre point de départ : le financement des dépenses, qui constituent le PIB. Plus précisément, sur quelles ressources peut-on compter, lorsque ressources et dépenses ne sont pas au même niveau, lorsque import et export ne sont pas équivalents, sans revenir une fois de plus sur la question de simple bon sens : puisque l’exportation fait partie de la valeur ajoutée, comment le PIB peut-il être à la fois égal aux dépenses et à la valeur ajoutée, lorsque la valeur ajoutée est inférieure aux dépenses.

Là encore, on va passer progressivement de cas très particuliers à des exemples de plus en plus généraux.

Supposons que le monde, le « système économique », soit composé de deux seuls pays, ayant pour le moment une même monnaie, sans nécessairement que les exportations du pays1 soient égales à ses exportations vers le payx2. Nous ne supposons pas non plus, ici que le pays1 importe tout ce qu’il achète en biens de consommation (=CF) ou en biens durables (FBCF). Il peut donc y avoir, dans le pays1, une production qui puisse partiellement être destinée aux habitants du pays1, les habitants1.

Dans ce contexte, le cas le plus général sera que l’on ait importations1 différent de exportation1, avec, par construction (deux seuls pays) : importations1 = exportations2. Dit autrement, simple bon sens arithmétique, le bénéfice commercial de l’un des pays est égal au déficit commercial de l’autre, et, plus généralement, si on inclut les services dans la balance des biens et services, le déficit du pays1 sera égal au bénéfice du pays2 (dans le cas de la France et de l’Allemagne, on a ainsi, en moyenne, environ 20 milliards de déficit de la France vis-à-vis de l’Allemagne, sur les 55 millions du déficit global moyen sur les 15 dernières années de la France vis-à-vis d’autres pays)

Bien entendu, si on considérait au lieu de seulement deux pays, un pays et le reste du monde (qu’on l’appelle ou non pays2) on aurait le même résultat, tout à fait banal, même si on voulait le vérifier par des calculs qui se complexifieraient dans le cas de monnaies différentes.

Mais revenons au cas de deux pays, ayant la même unité monétaire. Que le lecteur soit d’accord ou non avec le fait que le solde commercial fasse, ou non, partie du PIB (alors que, d’après moi, les importations sont déjà comptées dans les dépenses, donc dans le PIB), il va bien falloir résoudre ce déséquilibre, dont la valeur, négative ou positive, sera Exportation1 moins Importation1.

Supposons que le solde soit en défaveur du Pays1, et que l’on ait donc : Import1 > Export1. La seule question qui se pose est : comment va-t-on payer le pays2 (ou, dans le cas plus général, le reste du monde). Notons, pour éviter toute ambiguïté, que cette question ne se pose pas directement en ces termes, entre pays et pays, puisque, dans un système libéral, les achats et les ventes concernent directement les acteurs économiques, ménages, entreprises, et que ce n’est qu’au moment des paiements que les banques centrales peuvent éventuellement intervenir, en cas de problèmes de financement entre banques commerciales des pays mis en cause. C’est à ce niveau, difficulté de crédits non « garantis » entre les deux banques commerciales concernées, la banque de l’importateur et la banque de l’exportateur, que les échanges Target2 joueront pleinement leurs rôles, comme nous le reverrons.

Pérennité, ou non, d’échanges inégaux

Revenons donc à cette question d’échanges inégaux de biens et services entre deux pays, le pays1 étant importateur net, c’est-à-dire ayant une balance déficitaire de ses échanges de biens et services. Il n’y a, évidemment, qu’une solution. Le pays déficitaire finit, d’une manière ou d’une autre, à payer, directement ou pas. Quelque soit le procédé de rééquilibrage des échanges, cela ne concerne pas directement l’acheteur, dès lors qu’il a suffisamment de moyens de paiement, avec ses propres ressources ou par un emprunt auprès de sa banque, ni le vendeur, dès lors que sa banque transfère sur son compte bancaire le paiement. Nous reverrons ce point un peu plus tard, en abordant la question des éventuels « profiteurs » d’un tel déséquilibre.

Comme première solution partielle, celle du crédit, on pourrait envisager que l’entreprise exportatrice du pays2 puisse accepter d’être payée « plus tard », ce qui ne peut se concevoir que si la situation globale du pays1 ne correspond qu’à un déséquilibre temporaire, ce qui n’est pas le cas si on prend l’exemple de la France comme pays1. Notons à ce propos que le déficit (en biens et services) cumulé par la France sur les 18 dernières années (depuis 2003, dernière année excédentaire) avoisine 1000 milliards d’euros, ce qui représente de l’ordre de 40% de son PIB2019 : vis-à-vis de l’Allemagne seule, on aurait plutôt un déficit cumulé de 350 milliards.

Mais la « solution » de remettre à plus tard le paiement n’est pas crédible lorsque le déséquilibre s’avère pérenne. Aucun pays exportateur, par l’intermédiaire de ses banques commerciales puis par sa banque centrale, ne peut faire crédit éternellement à un autre pays, et aucun pays importateur ne peut obtenir éternellement, directement ou pour ses banques commerciales, un crédit, à moins peut être de s’appeler les USA et de disposer de la possibilité de créer la monnaie mondiale, le dollar, utilisé dans 70% des échanges internationaux. Dans le cas de l’eurozone, nous verrons les solutions, temporaires ou permanentes, qui ont été inventées, et c’est là qu’interviendront les processus Target2.

En dehors de pays ‘généreux’, extrêmement rares, qui acceptent d’abandonner, pour tout ou partie, les dettes d’un autre pays, et ce pour des dettes somme toutes dérisoires, le pays exportateur net va devoir, directement ou indirectement, se faire « payer ». Ce peut être en rachetant [ ou en permettant à ses entreprises, « gavées » d’argent venant du pays importateur net, ici le pays1] - de racheter, des installations industrielles à bon compte ; quitte à les détruire en les vendant par morceaux tout en rachetant leurs brevets. Ces rachats ne feront d’ailleurs qu’accentuer le problème du pays importateur, qui sera de plus en plus dépendant du pays exportateur, ce dont se moquent très souvent les entreprises domestiques, si elles peuvent délocaliser dans le pays exportateur.

Le cas de l’ex PSA, qui délocalise en Chine la production de sa future berline de luxe, la Citroën C5X, en est l’un des derniers exemples. Les finances de « PSA Chine » s’en porteront sans doute fort bien, même si ce n’est pas le cas de celles de la France, ne fut-ce que par les allocations chômage qu’il va bien falloir financer, en plus des impôts sur les sociétés qui risquent de diminuer, surtout si PSA délocalise son siège social dans un « paradis fiscal », par exemple au Luxembourg.

C’est bien pour lutter contre cela, contre ce dépeçage économique, que la charte de la Havane avait été votée par l’ONU en 1948, mais jamais ratifiée par le Sénat des USA ; elle voulait en effet sinon pénaliser du moins réfréner l’expansionnisme économique des pays trop exportateurs. Cette charte suggérait en effet que les pays régulièrement excédentaires devraient aider les pays importateurs net à exporter davantage, et/ou à importer moins, par une sorte de rééquilibrage « coopératif » que j’ai moi-même tenté de suggérer sans grand succès, dès 2014, aux leaders du mouvement politique dont je faisais partie à l’époque.

Toujours dans le cadre de cette « solution » : faire payer le pays importateur net, d’autres mécanismes de régulation ont pu se mettre en route, mécanisme faisant appel, comme dans le cas très particulier des USA, à une sorte de deus ex machina supra-national, je veux parler ici, pour la zone euro, de la Banque Centrale européenne et du SEBC (système européen de banques centrales), dont trois banques centrales, la Banque d’Allemagne, la Banque de France et la Banque d’Italie, en sont les principaux acteurs, en tant que représentant les économies les plus ‘fortes’ de la zone Euro.

L’invention du système TARGET par le SEBC, système européen de banques centrales

De fait, le principal mécanisme de régulation est devenu dans la zone Euro, depuis 2009 et la crise financière de 2008, le mécanisme dit « TARGET2 », que nous allons ici décrire assez longuement, en commençant par quelques exemples, de plus en plus détaillés et réalistes. Nous n’aborderons ce mécanisme que dans le cas d’échanges commerciaux, mais ils se produisent aussi dans le contexte de transfert « purement financiers », lorsque les capitaux changent de main et de pays, comme lorsqu’un riche investisseur allemand transfère ses fonds investis en Espagne en un placement au Luxembourg.

Mais restons ici dans le domaine d’un contrat purement commercial, et prenons tout d’abord l’exemple d’une petite entreprise, dont le nom serait Potter, voulant acheter une machine à l’entreprise Voldemort, d’une valeur de 10000 unités de compte, disons 10000 euros.

Si ces deux entreprises sont situées dans le même pays, le processus d’achat et de vente est simple. Sur le bilan de l’entreprise Potter, à son actif sa trésorerie diminuera de 10000 € (donc son compte sur la banque P aussi) son actif immobilisé augmentera de 10000. De façon automatique, les dépôts de Potter sur la banque P vont diminuer de 10000. Pour équilibrer son bilan, la banque P devra soit vendre un actif du même montant à la banque V, si Voldemort n’a pas la même banque que Potter, actif qui peut être une créance sur leur banque centrale commune, ou tout autre actif que la banque V accepterait. Dans le cas le plus simple, le compte de P serait diminué de 10000 à la Banque Centrale, le compte de la banque V serait crédité de 10000, le bilan de P aura (à l’actif comme au passif) diminué de 10000, les actifs financiers de V auront augmenté de 10000, ses stocks, eux, auront diminué de 10000. Les équilibres comptables de chaque acteur économique non financier, Potter et Voldemort, resteront équilibrés, même si leur composition a changé. En revanche, le bilan de la banque P aura diminué de 10000, à l’actif sa trésorerie, au passif le dépôt de Potter, celui de la banque V aura augmenté, lui, de 10000. Ce changement de situation bancaire se verra aussi qualitativement, mais pas quantitativement, au niveau de la Banque Centrale commune aux banques P et V, si elles opèrent dans le même pays.

Dans le cas, plus simple encore, où Potter et Voldemort auraient la même banque, la banque P-V, l’intervention de la Banque Centrale n’aurait même pas eu besoin d’avoir lieu, puisque l’actif de la banque P-V n’aurait pas changé, et au passif de la banque P-V le compte de Potter aurait simplement diminué de 10000, et celui de Voldemort augmenté de la même somme, 10000.

Nous aurions eu ainsi un simple jeu comptable, à l’intérieur d’un même pays. De fait, dans tous les cas « domestiques », même pays et banque commune ou deux banques différentes, Potter se serait appauvri financièrement de 10000, et enrichi matériellement de 10000, l’inverse étant vrai pour Voldemort, qui se serait enrichi financièrement, et appauvri matériellement. Le lecteur pourra penser que c’est évident, et que nous insistons inutilement sur ce processus, nous verrons plus tard qu’il n’en est peut-être pas ainsi.

Venons-en maintenant au cas le plus complexe, celui de deux entreprises, ou de deux agents économiques (entreprises ou ménages) qui n’interviennent pas dans le même pays, ces deux pays faisant cependant partie de la même zone monétaire, disons la zone euro.

Le processus Target2 dans une zone à monnaie commune, mais pas unique.

Si ces deux pays avaient la même banque centrale, et si les banques commerciales avaient toutes un compte à cette même banque centrale, cette situation ne serait pas nouvelle, et l’on pourrait procéder de la même façon que précédemment. La banque commerciale de Potter, différente certes de celle de Voldemort, aurait aussi un compte sur la même banque centrale, au passif de cette banque centrale le dépôt de la banque de Potter diminuerait de 10000, celui de la banque de Voldemort augmenterait de 10000, le bilan de cette banque centrale n’aurait ni augmenté, ni diminué, même si la composition de son passif aurait changé. Le fait que Potter et Voldemort agissent dans deux pays différents n’aurait eu aucun impact dès lors que les deux banques commerciales en réfèreraient à la même banque centrale.

Il se trouve, malheureusement pour la simplicité des échanges, que cela ne se passe pas ainsi, ce que semblaient ignorer les deux derniers prétendants à la présidence française, lors de leur débat de 2017. Les banques commerciales de la France ont leurs comptes à la Banque de France, la BdF, pas à la Banque Centrale Européenne, les banques commerciales allemandes ont leurs comptes à la Banque d’Allemagne, la Bundesbank ou ‘Buba’, pas à la BCE.

La raison en est simple, la création monétaire de la monnaie dite « centrale » n’est pas l’apanage de la BCE, mais des diverses banques centrales de la zone Euro. L’euro « français », créé par la Banque de France, s’il a la même valeur dans toute la zone euro, n’est pas un euro « allemand », euro allemand qui est, lui, créé par la banque allemande, la Bundesbank.

Nous ne reviendrons pas ici sur la création monétaire par les banques centrales, sujet traité par ailleurs.

Il est suffisant de dire ici que dans le système bancaire français, c’est de « l’euro français » qui circule entre les banques commerciales, et que lorsque « l’euro français » change de pays pour aller régler un achat fait par exemple en Allemagne, il faut que le système bancaire allemand, composé par les banques commerciales allemandes, ait une possibilité de ‘transformer’ cet euro ‘français’ en euro ‘allemand’, transformation qui n’aurait pas lieu d’être si toutes les banques commerciales de la zone euro étaient reliées directement à la BCE.

Comme le dit fort justement François Asselineau, à la suite du regretté Vincent Brousseau, le fait qu’il y ait 19 banques centrales en zone euro, une pour chaque pays, est à la fois la preuve et l’explication que l’euro n’est pas une monnaie unique, mais une monnaie commune, ce qui était manifestement inconnu de la plupart des candidats à la présidentielle française de 2017, dont Marine Le Pen et Emmanuel Macron ; et, oserai-je le dire, ce qui est soigneusement caché non seulement au « petit peuple » mais aussi aux prétendus ‘experts’ par les dirigeants de la Banque Centrale Européenne, la BCE.

La belle affaire, penseront certains. Si la valeur d’un euro « français » est la même que celle d’un euro « allemand », peu importe que tel ou tel euro ait été créé par telle ou telle banque centrale nationale, n’est-ce pas ?

Les comptes Target dans la zone euro.

C’est justement là où le bât blesse. En cas de déficit de la balance des paiements entre la France et l’Allemagne, et si les banques commerciales allemandes ne font plus confiance, ne font plus ‘crédit’, à leurs homologues françaises pour combler ce déficit, le seul recours est de faire intervenir les banques centrales nationales, sous l’égide de la BCE.

Il va y avoir davantage d’euros ‘français’ qui passent de la France vers l’Allemagne que d’euros ‘allemands’ qui passent dans l’autre sens. Les Allemands se retrouvent avec plus d’euros, et souvent beaucoup plus, que ceux que la banque d’Allemagne a créés, et les Français se retrouvent avec moins d’euros que ceux qui ont été créés par la banque de France. Et ce déséquilibre s’avère plus grand encore, au moins historiquement, entre l’Italie et l’Allemagne, même si la balance des paiements italiens a connu une embellie en 2019, avant de replonger, en dépit d’un solde positif de leur balance commerciale. C’est le but du système Target2 d’essayer de gérer ce type de questions.

Pour l’illustrer, prenons cette fois un exemple bi-national, faisant référence ici à de vraies banques (même si l’exemple est lui aussi fictif), mettant en cause une entreprise espagnole et une entreprise allemande. On va de plus supposer que le montant de la transaction est suffisamment important pour que l’entreprise espagnole ait besoin d’emprunts auprès de sa banque commerciale, par exemple la banque de Santander, qui elle-même pourrait avoir besoin de faire valider les prêts accordés par la banque nationale d’Espagne, la BoS.

Imaginons donc qu'un constructeur de matériel agricole allemand (bancarisé chez Deutsche Bank) et qu'une corporation d'exploitants espagnols (bancarisée chez Banco Santander) fassent affaire et signent un contrat d'un milliard d'euros. En échange de la livraison de machines, les exploitants devront donc régler cette somme à l'entreprise allemande.

Pour cela, Banco Santander emprunte – si elle ne dispose pas d’un dépôt ‘central’ suffisant en « euros espagnols » - à la banque centrale espagnole (BoS), qui transfère, via la BCE, le montant à régler à la banque centrale allemande (Bundesbank), qui crédite la Deutsche Bank. Nous détaillerons un peu plus loin la façon, schématique, dont ce « transfert financier » fait appel au processus appelé TARGET2.

Disons déjà en quelques mots, empruntés à un document de la Banque de France que : Le système de paiement TARGET2 joue un rôle majeur dans le bon fonctionnement du marché financier et monétaire de l’euro car il assure non seulement le règlement des opérations des banques centrales de l’Eurosystème (opérations de refinancement des banques, achats de titres) mais également l’exécution des paiements entre banques commerciales en temps réel et en monnaie de banque centrale, c’est-à-dire avec des espèces sur des comptes ouverts auprès de leur banque centrale nationale (BCN). En outre, les systèmes de paiement et de règlement gérés par le secteur privé sont reliés à TARGET2 afin de permettre le règlement en monnaie de banque centrale des soldes entre leurs participants. Concrètement, les ordres de paiement sont envoyés dans TARGET2 et réglés en monnaie de banque centrale.  Quand des règlements sont effectués entre des banques qui ont des comptes ouverts dans des BCN différentes, le solde net est enregistré dans des comptes que les banques centrales concernées ont ouverts dans les livres de la Banque centrale européenne (BCE) pour comptabiliser les échanges «transfrontières» de monnaie de banque centrale. Pour chaque BCN, le solde de ces échanges constitue son « solde TARGET2 ». Ce solde peut être créditeur ou débiteur. Lorsque le solde TARGET2 d’une BCN est créditeur (respectivement débiteur), cela signifie que les banques qui ont leur compte ouvert sur ses livres ont bénéficié d’un flux net positif (respectivement négatif) de paiements en provenance de banques qui ont leur compte ouvert auprès d’autres BCN. En contrepartie, cette banque centrale détient une créance (respectivement une dette) sur la BCE.

Le processus qui a permis, dans l’exemple fictif précédent, au constructeur allemand de récupérer le montant de sa vente a donc impacté les bilans de plusieurs acteurs : la Deutsche Bank possède désormais une créance, en « euros allemands », sur la Bundesbank, ou « Buba ». La Buba possède elle une créance sur la BCE, qui à son tout possède une créance sur la BoS, qui possède une créance, en « euros espagnols », sur Banco Santander, créance complément du prêt accordé à la coopérative agricole espagnole.

D’un point de vue global, après cet échange, l’Espagne, ou du moins sa banque centrale, la BoS, dispose d’un milliard d’euros (espagnols) en moins : ce qui signifie que les « dettes Target2 » auront augmenté de 1 milliard à la banque centrale espagnole, la BoS. L’Allemagne, au contraire, disposera d’un milliard de plus, au sens où sa banque centrale, la Buba, aura une « créance Target2 » d’un milliard de plus qu’avant la transaction entre l’entreprise espagnole et allemande. Pour la banque commerciale allemande, la Deutsche Bank, peu importe les « credits Target2 », ses dépôts à la Buba auront augmentés, eux, en « euros allemands »

Mais du point de vue individuel, nous retrouvons bien le même résultat que précédemment. Notre entreprise espagnole s’est appauvrie d’un milliard (d’euros espagnols), mais s’est enrichie matériellement de machines agricoles. Du côté allemand, l’entreprise s’est enrichie d’un milliard d’euros (allemands), et s’est appauvrie de ses machines agricoles. Le fait qu’il y ait eu un ‘transfert’ « d’euros espagnols » vers des « euros allemands » ne les concerne pas vraiment. Cela ne concerne ni la coopérative agricole, dès lors que la banque de Santander a accepté de lui prêter de l’argent, en respectant les règles « de réserve » de la BoS – ce que nous supposons être le cas ici. Cela ne concerne pas non plus l’entreprise allemande, dont le compte bancaire – son dépôt à la Deutsche Bank – s’est enrichi d’un milliard en « euros allemands », peu importe sa provenance.

Prenons maintenant un autre exemple, tiré du document déjà cité de la Banque de France, qui décrit cette fois graphiquement le schéma du mécanisme Target2. Il est supposé ici qu’une entreprise française a commandé des équipements d’une valeur de 50 millions à une entreprise allemande, la banque de l’entreprise française étant par exemple la BNP, notée Ba1 sur le schéma, et que l’entreprise allemande est ’bancarisée’ à la Deutsch Bank, notée Ba2 sur le schéma.

Nous allons ici nous intéresser uniquement au suivi du flux financier accompagnant cette commande, qui va donc mouvementer le compte de l’entreprise française auprès de la BNP, dont le bilan va lui-même être modifié au niveau de la banque centrale française, la BdF.

La Banque de France va pour sa part (en supposant que la BNP et la Deutsch Bank n’aient pas elles-mêmes contracté directement un prêt entre elles sur le « marché interbancaire ») prendre un engagement (une « liability Target2 ») de 50 millions, devenue une créance (un « claim Target2 ») au bilan de la Bundesbank, ou ‘Buba’, la banque centrale d’Allemagne. Là encore, d’une façon presque invisible, 50 millions « d’euros français » se sont transformés en 50 millions « d’euros allemands ».

Nos deux derniers exemples ont ainsi montré comment des transferts financiers, accompagnement des contrats commerciaux intra-eurozone, vont donner lieu, sur les bilans comptables des deux banques centrales impliquées, Espagne et Allemagne, ou France et Allemagne, à une double opération.

Dans notre premier exemple, Hispano-Germanique, nous avions eu une modification du passif de la banque d’Espagne, la BoS, par l’intermédiaire d’un poste, celui des « other liabilities within the Eurosystem ». Lors de la transaction fictive étudiée, ce poste a été augmenté de 1 milliard, autre façon de dire que le déficit ou la « dette Target2 » de la Banque d’Espagne envers la Banque d’Allemagne a augmenté d’un milliard.

Simultanément, le poste « other claims within the Eurosystem », c’est à dire les « créances Target2 » de la Banque d’Allemagne, la ‘Buba’, avait augmenté d’un milliard. Bien entendu, dans le monde réel, il y a d’autres transferts financiers, accompagnant ou non des échanges commerciaux, entre d’autres banques centrales appartenant ou non à l’eurozone.

Point sur les principaux soldes Target2 de la zone euro

Si on limite à la seule union européenne monétaire, ou eurozone, les dernières données indiquent qu’à la fin 2020, le poste « créances Target2 » de la Buba, a terminé à 1135 milliards, tandis que les « dettes Target2 » de d’Espagne et de l’Italie se montaient respectivement à 500 milliards et à 516 milliards. Le solde Target2 de la France était lui positif de 58 milliards, en dépit de son déficit commercial, les largesses de la BCE n’y étant sans doute pas pour rien, puisque la Banque Centrale européenne a racheté en 2020 près de 105 milliards de « dettes Target2 » aux banques centrales les plus fragilisées de l’Euro système.

Relevons aussi les 259.5 milliards de soldes positifs Target2 (les « claims related to TARGET2 ») du Luxembourg, ce qui est plus qu’un indice du fait que la position de ce pays comme plate-forme financière et « paradis fiscal » semble attirer les capitaux, le solde véritablement commercial y étant insignifiant. D’ailleurs, si ces créances Target2 représentent un pourcentage pharamineux, supérieur à 90%, des actifs de la Banque Centrale du Luxembourg, cela montre qu’une bonne partie des excédents commerciaux d’autres pays viennent s’installer, fiscalement et financièrement, dans ce tout petit pays. Même l’Allemagne a moins de 50% de son actif en créances Target2.

Le Luxembourg petit pays mais grand gagnant ?

Le tableau ci-dessous, qui montre l’évolution en 2020 des soldes Target2 des pays du Club de Rome, à l’exception de la Hollande et en y rajoutant l’Espagne, illustre les différences considérables entre certains pays de la zone euro.

Ce n’est évidemment pas l’éventuelle excellence commerciale du Luxembourg qui explique l’excellent état de ce tout petit pays : sans être extra-lucide on peut penser que sa situation comme place financière, et paradis fiscal chuchotent certains, l’expliquent bien davantage.

Soldes Target2 en hausse face à la méfiance du marché inter-bancaire depuis 2008

L’impact de la crise économique et financière sur le fonctionnement des marchés avait été en 2008 le principal facteur à l’origine des évolutions divergentes des soldes TARGET2. En période « normale », hors crise interbancaire, les soldes TARGET2 pourraient rester fort modérés car les mécanismes de marché permettent pour l’essentiel de les niveler. Pour reprendre l’exemple de l’entreprise française important un équipement industriel d’Allemagne, on aurait pu penser que sa banque, qui devra financer le virement à la banque allemande, aurait pu emprunter le montant nécessaire sur le marché monétaire, probablement en ce cas à une contrepartie allemande ; les soldes TARGET2 de la Banque de France et de la Bundesbank n’auraient pas été modifiés dans ce cas, au contraire des postes à l’actif ou au passif des banques commerciales concernées. La banque française (ou la banque espagnole dans le cas précédent) aurait « payé » la banque allemande concerné via le marché interbancaire : « Payer » signifiant ici « transfert d’un élément d’actif ».

En revanche, lorsque les banques commerciales ne se font plus confiance, lorsque la fracturation financière s’installe dans le monde et en particulier dans l’eurozone, lorsque le marché interbancaire européen est presque à l’arrêt, comme en 2008 après la faillite de Lehman Brothers, les mécanismes se grippent. Toute banque ayant un client cherchant à financer ses importations n’a d’autre choix que de se refinancer auprès de sa Banque Centrale, ce qui conduit, dans cette banque centrale, celle du pays importateur, à l’augmentation de ses « dettes T2 », la banque centrale exportatrice voyant, elle, ses « créances T2 » augmenter.

En outre, en complément du « financement Target2 » des déséquilibres commerciaux, des phénomènes de migration des capitaux se développent à l’intérieur de l’eurozone, allant des pays ou des banques fragilisés par le contexte économique vers ceux qui apparaissent les moins risqués ; ces flux se répercutent automatiquement dans les soldes TARGET2 sans que le marché interbancaire puisse à plein son ancien rôle de stabilisateur des soldes. Cette ‘migration’ est plus qu’apparente dans l’évolution des créances du Luxembourg, comme vu précédemment. Il est d’ailleurs fort probable qu’une partie des énormes créances Target2 de l’Allemagne préfèrent se ‘nicher’ au Luxembourg.

Est-ce dire qu’un pays s’est d’autant plus appauvri que l’autre s’est enrichi. D’un point de vue financier, sans doute. Mais que peut-on en conclure, tant au niveau de la pérennité de tels déséquilibres qu’à celui de leurs conséquences sur les diverses économies de la zone euro ? Après tout, si les allemands acceptent de financer le solde financier, dû ou non à d’éventuels problèmes commerciaux, des « pays du Sud de l’Europe » appartement à la zone euro, et plus particulièrement ceux du Portugal, de la Grèce, de l’Espagne et de l’Italie, la France étant un peu à part en dépit de ses déficits commerciaux qui atteignent près de 1000 milliards sur les 18 dernières années, pourquoi ne pas continuer ainsi ?

Dit autrement, avec des dettes ou « liabilities Target2 » qui atteignent déjà la moitié du bilan des banques centrales d’Italie ou d’Espagne, [autre façon pour dire que la moitié de la monnaie « euro » émise dans ces deux pays se retrouve dans « le Nord », et plus particulièrement en Allemagne, pour des raisons commerciales, et au Luxembourg, pour des raisons de placements financiers], qu’est ce qui pourrait empêcher que cela continue.

Les dirigeants de l’U.E. et de la BCE se sont déjà assis sur les règles de Maastricht et de Lisbonne limitant les déficits publics à 3% du PIB de chaque pays, et la dette publique à 60% de ce même PIB. Quand aux dettes privées, dont l’importance a été partiellement mise en valeur dans ces soldes Target2, pourquoi s’en faire. Certaines entreprises feront faillite, ou seront rachetées, quelle importance ?

Quitter l’euro, et donc la monnaie ‘commune’, sinon unique, est-ce réaliste ?

C’est ici qu’il convient de rappeler une règle sur l’émission de monnaie centrale des différentes banques centrales de la zone euro, vis-à-vis de la BCE. Si c’est la BCE qui possède, d’une certaine façon, les cordons de la bourse, ce n’est pas elle qui émet les euros des différents pays, elle n’a une vraie main mise que sur les billets, qui sont réduits à une portion de plus en plus congrue.

Mais elle pourrait, en principe, stopper complètement toute création monétaire de monnaie centrale « scripturale », c’est à dire empêcher les BCN d’émettre de la monnaie. Ce blocage d’émission de monnaie centrale aurait pour effet, si les règles ‘prudentielles’ étaient respectées, de priver aussi les banques commerciales des pays correspondants d’accorder trop de crédits, privés ou publics.

Ce principe ultime, sous la pression de l’Allemagne, a bien été utilisé par la BCE pour bloquer toute nouvelle émission monétaire de la Grèce entre 2014 et 2015, mais n’a jamais été utilisé depuis, bien au contraire, puisque le « quantitative easing » à la mode de l’U.E. , ou assouplissement quantitatif, a été utilisé à fond dès mars 2015, sans que la Grèce ait pu en bénéficier : on peut penser qu’il fallait bien faire un exemple vis à vis d’un pays qui semblait avoir l’outrecuidance de vouloir quitter la zone euro.

En français, ce programme d’achats d’actifs (ou « asset purchase programme », APP), c’est-à-dire l’achat d’actifs de plus ou moins bonne qualité, a été massif après 2015, Draghi ayant déclaré, dès 2012, que la BCE défendrait l’euro « quoi qu’il en coûte » ("Whatever it takes"), devenu le mantra d’Emmanuel Macron au début de la crise du Covid.

Cet ‘APP’ avait pour but officiel de relancer un peu d’inflation mais pour objectif à peine caché de permettre aux banques d’avoir davantage de liquidités, et d’améliorer ainsi leur possibilité d’accorder davantage de créances, ce qui n’a pas vraiment eu l’effet escompté.

Voilà d’ailleurs ce que la BCE en disait elle-même en 2016 de ces mesures « non conventionnelles » : Dans des périodes économiques normales, la BCE pilote les conditions financières au sens large et, in fine, les évolutions macroéconomiques et l’inflation en fixant les taux d’intérêt directeurs (à court terme). Avec la crise financière mondiale, toutefois, les taux d’intérêt directeurs ont été réduits jusqu’à un niveau proche de leur plancher effectif, le point à partir duquel les abaisser encore aurait un effet limité, voire nul. La BCE a dès lors adopté des mesures non conventionnelles pour faire face aux risques d’une trop longue période de faible inflation et ramener l’inflation à des niveaux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme, conformément à la définition de la stabilité des prix du Conseil des gouverneurs. Le programme d’achats d’actifs est l’une des mesures non conventionnelles auxquelles la BCE recourt pour atteindre cet objectif.

Les pouvoirs de la BCE, immenses mais limités.

De fait, si la masse monétaire centrale a fortement augmenté (en France elle a triplé en 5 ans), ce qui a effectivement permis aux banques commerciales de ‘refourguer’ une partie de leurs actifs douteux, publics ou privés, à leur banque centrale nationale, sous la tutelle ‘bienveillante’ de la BCE, l’impact sur l’économie réelle a été plus que médiocre, si l’on excepte les plus-values réalisées en bourse ou dans l’immobilier. Le bon sens populaire n’a d’ailleurs pas tort de penser que, pour sauver le système bancaire et/ou l’euro, l’Eurosystème est prêt à tout, ou presque « quoiqu’il en coûte », même si, pour cela, il faut avoir recours à de l’argent magique.

Bien entendu ces rachats d’actifs ne conduisent pas non plus à ce qu’espèrent, ou semblent espérer, les dirigeants de la BCE et de l’Eurosystème, certains actifs sont plus prisés que d’autres, même si la BCE a tenté de minimiser cette ‘discrimination’. L’effet de cette abondance monétaire a entrainé une forte augmentation des soldes Target2, soit en positif soit en négatif. Les « marchés financiers » ne se laissent pas mener si facilement, et si un Finlandais a envie de se désinvestir en Italie pour rapatrier ses fonds, la BCE ne pourra rien y faire, à moins de pouvoir restreindre, voire interdire, des transactions Target2.

 Il se trouve que la BCE ne dispose pas directement du pouvoir d’empêcher les transactions Target2 entre deux pays de l’eurozone. Certes, les banques centrales peuvent elles-mêmes refuser de valider une transaction internationale issue d’un pays « douteux », en fixant des pénalités aux banques commerciales qui voudraient se libérer de leur tutelle. Autant dire que c’est le système bancaire du pays concerné qui s’écroulerait tout entier. D’où la marche arrière effectuée par la Grèce, en dépit des rodomontades de Tsípras. Quitter l’euro, ce n’est pas si simple, surtout sans volonté politique avérée. Maintenir sous perfusion la Grèce était d’ailleurs le but de ce que le regretté Maurice Allais appelait l’Organisation de Bruxelles, et que le souverainiste Philippe de Villiers a récemment dit vouloir quitter, avec sa ‘BruxellesExit’

Tout en restant dans l’eurozone, ou UEM, Union Européenne Monétaire, c’est-à-dire dans une zone qui échange sinon la même monnaie, du moins une monnaie commune, on voit que le cas où un pays ne réglerait pas, d’une façon ou d’une autre, son déficit, qu’il soit commercial ou financier, à un autre pays ne peut pas vraiment se présenter. Les mécanismes monétaires du SEBC, dirigé par la BCE, interdisent une telle situation, du moins tant que la BCE et les Banques Centrales acceptent de financer ces échanges, aussi inégaux soient-ils. Les pouvoirs de la BCE sont donc bien immenses, surtout face à des volontés politiques plus qu’hésitantes.

Il en irait évidemment fort différemment entre des pays ayant des monnaies différentes, le procédé de régulation jouant cette fois sur les modifications sur les taux de change entre monnaies, ou encore par la main mise forcée des entreprises du pays exportateur sur des entreprises du pays importateur.

Les soldes Target2, avec la bénédiction de la BCE, et son maintenant fameux « QE », ou APP, ou « programme d’achats d’actifs » semblent donc là pour permettre tout rééquilibrage entre les nations qui composent l’Eurozone. D’où la question suivante :

Les soldes Target2, créances plus dettes, peuvent-ils monter indéfiniment, « quoiqu’il en coûte » ?

Qui cela dérange, et comment s’y opposer. Désindustrialisation, les entreprises s’en moquent.

Pour fixer les idées, nous allons nous limiter ici au cas des 6 pays qui ont formé le Marché Commun en 1957, à savoir France, Italie, RFA (ou Allemagne de l’Ouest) et Bénélux (Belgique, Hollande et Luxembourg). Le chroniqueur Eric Zemmour dirit que l’on retrouve ainsi plus ou moins les limites de l’empire de Charlemagne. Il est souvent dit que les habitants des pays du Sud, dont ceux de l’Italie – puisque nous ignorons ici le Portugal, l’Espagne et la Grèce, qui ne faisaient pas partie du marché commun initial – et dans une moindre mesure ceux de la France, tiraient parti du travail des pays du Nord, dont ceux de l’Allemagne, voire qu’ils vivaient à leurs dépens.

Ce que l’on peut dire, d’un point de vue global, macro-économique, financier est la chose suivante.

L’Italie, quoique ayant un solde commercial positif, a un « déficit Target2 » très important, alors que la France, en dépit d’un déficit commercial soutenu depuis 2005, a des soldes target2 assez faibles, et même positifs depuis quelques mois. Il est vrai que les dettes publiques de l’Italie sont encore nettement plus importantes que celles de la France, et que la situation de ses banques commerciales est bien plus préoccupante, les deux questions étant sans doute liées.

L’Italie, comme l’Espagne d’ailleurs, exportent plus qu’elles n’importent, mais les dettes, publiques ou privées de leurs entreprises ou de leur état, sont de plus en plus préoccupantes, ce qui se retrouve à la fois dans l’état de leur système bancaire, mais aussi dans le bilan de leurs banques nationale, banque d’Italie et Banque d’Espagne. De nombreux investissements ou placements financiers les ont quittés pour se retrouver dans des placements plus prometteurs ou d’apparence moins risquée, ce qui peut expliquer les créances Target que l’on retrouve au Luxembourg et en Irlande. Leurs banques centrales en payent le prix, au sens où une partie de la monnaie qu’elles créent part ailleurs, que ce soit en Allemagne, en Irlande ou au Luxembourg.

Plus précisément, la France, en 2018, avait pour principaux fournisseurs, l’Allemagne, pour 18% de ses achats extérieurs, la Belgique, pour 10%, et les Pays Bas pour 8%. En ce qui concerne son solde déficitaire, il était de 16 Milliards vis-à-vis de l’Allemagne, ce qui représente environ 25% des 60 milliards de son déficit commercial annuel moyen, déficit qui se réduit à la moitié si on intègre les services, dont 17 milliards pour le Tourisme. Notons cependant que plus de la moitié du déficit commercial, soit 34 milliards en 2018, est due à l’achat de produits manufacturés, bien plus important donc que nos importations d’hydrocarbures.

De fait, le 1/3 du déficit commercial de la France se fait avec la Chine, donc hors zone euro, même si la France reste déficitaire, en ce qui concerne sa balance des paiements intra-européens, de 5.5 milliards avec la Hollande. De fait, le déficit commercial de la France est pour moitié interne à l’Union Européenne même si cela ne se voit guère au niveau des soldes Target2, devenus légèrement positifs, sous formes de créances, depuis quelques mois. Apparemment on fait davantage confiance, sur les marchés interbancaires, aux banques commerciales françaises qu’aux banques italiennes, dont les « dettes Target2 », elles, atteignent un niveau plus qu’inquiétant, de l’ordre du 1/3 de son PIB, qui n’est dépassé, en valeurs relatives, que par les dettes Target2 de l’Espagne, si nous nous limitons aux pays les plus importants économiquement de l’Eurozone.

L’exemple de l’Italie : d’où vient donc son déficit Target2.

Venons-en donc maintenant au cas de l’Italie, qui en dépit d’une position commerciale bien meilleure que celle de la France est empêtrée dans sa dette publique, question que nous ne ferons qu’effleurer  ici, ce sujet étant traité ailleurs, et dans la mauvaise situation de ses banques commerciales et donc, par contagion, dans celle de sa banque centrale, la banque d’Italie.

 

En fait contrairement à la France, c’est surtout dans le domaine des services que l’Italie est faible, et plus encore dans l’attractivité qu’elle représente pour les investissements ou financements étrangers. De nombreux placements venus de l’étranger, ou même de l’Italie, ont quitté le pays depuis quelques années, pour aller s’investir dans des pays jugés plus prometteurs, comme l’Allemagne (pour les placements industriels) ou le Luxembourg (placements financiers ou évasion fiscale). Si les soldes Target2 de l’Italie, ses « dettes Target2 », sont si importantes, ce n’est donc pas ici, pas plus que pour l’Espagne, à cause d’une balance courante qui serait déficitaire, mais plutôt du fait de la fuite des capitaux.

Stigmatiser Italiens ou Espagnols, sous le prétexte qu’ils consommeraient sans travailler aux dépens des travailleurs allemands, plus courageux, n’est manifestement pas justifié, du moins si l’on se contente de regarder leur solde commercial, qui est positif, à l’inverse de celui de la France.

En revanche on peut s’interroger sur le fait que le coût du travail est, par rapport à celui de la France, de 30 à 40% plus faible en Espagne et en Italie, ce qui explique que les exportations de ces deux derniers pays soient plus importantes. Notons cependant que le nombre d’heures travaillées, en Italie comme en Espagne, est 10% plus important qu’en France, les « 35 heures » d’Aubry-Jospin n’y sont sans doute pas étrangères.

Quelques données statistiques sur le coût du travail et le nombre d’heures travaillées dans l’U.E

Données 2019 en euros ou % ou heures

Coût horaire Main d’Oeuvre

Salaire_traitement brut moyen

Part des salaires dans le coût du Travail

Cotisations à la charge de l’employeur

Moyenne d’heures travaillées par salarié

Bulgarie

6.0

5.0

83.3

1.0%

1742

Espagne

21.4

15.8

73.8

5.7%

1767

Royaume-Uni

27.3

22.8

83.5

4.5

1925

Italie

27.9

19.8

71.0

8.1

1725

Pays-Bas

35.3

27.2

77.1

8.1

1799

Allemagne

35.9

28.3

78.8

7.7

1678

France

37.3

25.5

68.4

11.7

1579

Suède

39.0

26.3

67.4

12.6%

1699

Belgique

40.8

29.9

73.3

10.9

1561

Remarquons aussi que, du fait de cotisations sociales beaucoup plus faibles en Italie, et surtout en Espagne, certains exportateurs français ont quelques arguments pour prétendre que les exportations de ces deux pays sont implicitement subventionnées.

Ainsi, au-delà d’une justification purement économique, qui serait donc inexacte, la question des subventions, avouées ou non, mais indirectes des banques italiennes ou espagnoles à leurs entreprises conduit à s’interroger sur le financement dont bénéficient les entreprises italiennes et espagnoles et, au-delà, du système social lui-même. Il faut bien en effet tenter d’expliquer l’importance des flux financiers qui quittent l’Italie (ou l’Espagne), ce que leurs déficits Target prouvent nettement. Cette fuite financière est confirmée, sinon causée, par le différentiel de rendement, le « spread », exigé sur les obligations d’Etat italiennes vis-à-vis des obligations allemandes ou même françaises, différentiel qui est de l’ordre de 2.5 à 3 % depuis 10 ans.

Quelques pistes pour expliquer le paradoxe italien

On dit souvent que les dépenses publiques de la France, si l’on ajoute à son budget stricto sensu ses dépenses sociales ainsi que les dépenses des collectivités territoriales, sont parmi les deux ou trois plus importantes du monde, au même niveau que celles du Danemark, et en moyenne  On arrive ainsi à 56% de dépenses publiques, pour des recettes de l’ordre de 53%, si l’on ajoute aux différents impôts, taxes et autres cotisations sociales ses recettes propres liées à des services publics particuliers.

L’Italie, aussi dépensière soit-elle, ne dépense « que » 50% de son PIB, ses dépenses sociales étant plus basses d’environ 2.5% que celles de la France relativement à son PIB, référentiel jugé indispensable aux comparaisons internationales, en dépit des réserves que nous lui avons apportées.

D’ailleurs, en ce qui concerne les déficits publics, notons que si l’Allemagne a un excédent budgétaire de 1.4% en 2019, l’Italie, avec un déficit de 1.6% s’en sort plutôt mieux que la France, dont le déficit avoisine les 3%. Ces différences Allemagne/Italie peuvent donc expliquer que les investisseurs font plus confiance à l’Allemagne qu’à l’Italie, ce qui est confirmé à la fois par les « spreads » entre les titres allemands et les titres italiens et par des soldes Target fort différents. Mais cela n’explique pas vraiment la différence de traitement, bien moins sensible, entre l’Allemagne et la France, à moins bien sûr que la situation politique de ces deux pays, France et Italie, leur semble moins sujette à caution, en sus du fait que l’Italie semble avoir davantage de velléités de quitter l’Eurozone.

De fait, si l’on pense que l’Italie peut quitter l’euro et retrouver sa monnaie nationale, les marchés financiers préfèrent placer leurs disponibilités financières dans l’euro allemand que dans l’euro italien, quitte à accepter un rendement 2 à 3% moins élevé. Et cette préférence « pro euro allemand » se concrétise sur les soldes Target de la façon suivante :  lorsque la Banque d'Italie rachète des titres italiens à un agent économique localisé en Allemagne, elle s'endette vis-à-vis de Target 2 et la Bundesbank obtient une créance.

(le graphique ci-dessus représente les taux d’intérêt sur les obligations d’Etat italiennes °/taux allemands et français au 01/02/2020, le graphique ci-dessous les données du 1/06/2019)

Rappelons encore que ces « spreads » ne semblent pas vraiment dus aux déficits publics comparés de la France et de l’Italie, la France s’avérant en moyenne plus dépensière depuis 2006 que l’Italie, même si sa dette publique est nettement moins élevée, à en juger par le graphique ci-dessous :

 

 

Conclusion provisoire, en partant du cas de l’Italie comparé à celui de la France

En conclusion, la comparaison des mouvements commerciaux et financiers ayant lieu entre les trois ou quatre plus grandes économies de l’Eurozone, si elle permet d’expliquer, pour partie, la situation fort préoccupante de l’Italie et de l’Espagne vis-à-vis de l’Allemagne, n’est pas suffisante pour expliquer que la France semble s’en tirer fort bien.

La logique des marchés financiers n’est donc pas uniquement celle des marchés purement commerciaux, à moins bien sûr de rechercher la cause profonde de ces divergences dans la situation préoccupante, pour ne pas dire catastrophique, des grandes banques italiennes (et espagnoles), très éloignée de celles des quatre ou cinq grandes banques françaises.

Un dossier fort intéressant de l’UPR, début 2018, a mis en valeur cette situation préoccupante en ciblant plus particulièrement les créances « douteuses », appelées aussi PNP, prêts non performants, ou « Non Performing Loan », créances sises à l’actif des banques italiennes, en calculant le ratio PNP/bilan, qi, d’après la BCE, est un bon indicateur du risque couru par les banques concernées.

On voit ainsi que même si ce ratio s’est amélioré en 3 ans pour l’Italie, en passant de 16.8 à 10%, il reste très largement supérieur à celui de la France, passé de 4 à 3% et à la moyenne de la zone UE, de 4% en mars 2018.

Le montant de ces créances douteuses est l’une des principales causes des difficultés qu’avaient à l’époque les banques italiennes pour accéder au marché inter-bancaire, bien plus en tout cas que leurs analogues françaises, question qui ne s’est guère améliorée depuis lors. Ce phénomène a pu exiger que les contreparties de la monnaie centrale, l’euro italien, cré par la banque centrale italienne soient de meilleure qualité. On a ainsi une monnaie italienne qui est créée moins vite, et qui s’échappe plus vite, que la monnaie créée par la Banque de France. C’est en tout cas ce qu’indiquent les derniers bilans comparés de la banque de France et de la banque d’Italie.

C’est ainsi que fin février 2021, le bilan de la Banque de France avait augmenté en 14 mois de près de 600 milliards, soit de 54%, celui de la banque centrale d’Italie de 340 milliards, c’est à dire 36%, tandis que les soldes target2, positifs, de la France avaient augmenté de plus de 47 milliards, les soldes Target2, négatifs, de l’Italie, s’aggravant encore de 95 milliards.

Quant aux réserves des banques commerciales figurant au passif des banques centrales respectives, là encore, pas de comparaison possible. Les bnques françaises disposent de réserves de 785 milliards d’euros, alors que les banques italiennnes se contentent  de 256 milliards. On comprend alors pourquoi la situation des banques commerciales françaises, aussi fragile soit-elle, est sans commune mesure avec le triste état des banques italiennes.

Ce dernier point montre pourquoi, même si le taux d’épargne des Français n’a guère que 2% de plus que le taux italien, le financement des investissements est beaucoup plus difficile en Italie qu’en France, et que le recours à la création monétaire, dès lors que l’épargne est insuffisante, ne peut pas non plus être une solution.

Mais nous reverrons cette question du financement ‘monétaire’ des  investissements, lorsque l’épargne ne suffit pas, dans un autre dossier. Quant à la sortie de l’euro, c’est un point qui reste ouvert, et qui dépend essentiellement des cargaisons de monnaie que la BCE est prête à déverser dans l’eurozone, et de la patience des marchés financiers face à l’abondance des euros « italiens » qui se retrouvent en Allemagne ou au Luxembourg, dès lors qu’il n’apparaîtrea pas plus rentable d’aller investir dans d’autres zones du monde.

 

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