Inflation, Stagflation, de grands mots pour ne pas traiter le problème et ses vraies causes?

Inflation, de quoi parle-t-on vraiment?

par Bruno Lemaire, économiste, ancien doyen associé d' HEC

Un peu de sémantique tout d’abord. Ce mot vient du mot latin « inflatio »  («enflure», « gonflement », « dilatation »), venant lui-même de inflatus, participe passé de inflo : « souffler dans » ou « insuffler ».

Le mot inflation signifie donc à l’origine « augmentation forte, voire excessive ». Il peut y avoir inflation du nombre de ministres, inflation du nombre de moustiques, inflation d’immigrés, l’inflation étant rarement synonyme d’un phénomène que l’on trouve agréable ou bénéfique. Certains physiciens ont aussi parlé de l’inflation de l’univers, et du nombre de ses galaxies, survenue après le « big bang ».

En économie, et dans le langage courant, on parle d’inflation, souvent sans qualificatif, pour parler de hausse des prix, sans nécessairement en comprendre, ni même en rechercher, les causes. On parle cependant parfois d’inflation monétaire (trop d’argent par rapport à l’offre de biens disponibles), d’inflation spéculative (par exemple dans le domaine de l’immobilier ou des actifs financiers), ou aussi d’inflation par les coûts. En cas de « hausse des prix », on en cherche le plus souvent  les causes parmi des causes extérieures, exogènes, ou on recherche encore, plus près de soi, des boucs émissaires : les patrons augmentent trop leurs marges, ou les salariés veulent gagner trop d’argent, ou, ou … En ce moment, c’est l’Ukraine et le méchant Poutine qui ont bon dos.

Et pourtant, dans la situation actuelle, rien de plus simple à expliquer, il suffit de faire appel à son bon sens.

Au cours de l’année 2020, la monnaie « centrale », la monnaie créée directement par la banque de France, sous l’égide de la BCE, a augmenté de 510 milliards, à partir d’un niveau initial, fin décembre 2019, de 658 milliards, soit une augmentation, une « inflation » de 77% (alors que les billets en circulation n’ont connu une augmentation que de 11%, à savoir 27 milliards). Les banques commerciales n’ont pas non plus été oubliées, puisque leurs réserves à la Banque de France ont augmenté de 349 milliards, soit une « inflation » de 65%. En fait, tout se passe comme si ces banques avaient pour une bonne part ‘refilé’ leurs créances douteuses à la banque de France, devenue par là même une « bad bank »

La hausse des prix que l’on constate actuellement, et qui ne peut que s’accentuer à l’avenir, est donc essentiellement due à une inflation monétaire, puisque alors que la masse monétaire, sous sa version ‘centrale’, a augmenté de 77%, la production disponible, elle, a baissé de près de 9%, d’après les chiffres mêmes de Bercy. Et ne parlons même pas ici du déficit commercial, lui aussi « inflaté ».

Le bon sens, si loin des théories fumeuses des experts, nous dit alors simplement que s’il y a hausse des prix, c’est en premier lieu parce qu’il y a eu trop d’argent relativement à la production disponible, ce qui est la caractéristique principale de l’inflation monétaire.

En revanche, d’autres hausses de prix peuvent aussi se produire, si on s’intéresse cette fois ci à des secteurs bien particulier, par exemple les actifs financiers ou les actifs immobiliers, on pourrait la qualifier d’inflation de demande, voire de spéculation. Ainsi, si on a l’impression que la situation va s’améliorer plus dans un pays que dans un autre,  les prix de l’immobilier peuvent s’envoler dans le pays jugé plus hospitalier.

Il peut aussi y avoir des achats spéculatifs de biens immobiliers à l’intérieur d’un seul pays, pour essayer de se prémunir contre la hausse des prix de l’ensemble des biens, sachant que l’argent ‘passif’ ne peut perdre que de la valeur (D’après mes propres calculs, au cours de l’année 2020, l’argent « courant », celui qui correspond aux comptes chèques et aux billets, s’est dévalorisé de 33%, dépréciation à laquelle il faut ajouter celle de 2021, proche de 15%)

L’inflation du cours des actifs financiers, quoique beaucoup plus aléatoire et volatile, pourrait aussi être signalée.

Pour en revenir à la seule hausse des prix , celle-ci se complique depuis deux ans d’une production très molle (nous n’avons toujours pas retrouvé en France, en juin 2022, le PIB de la fin de 2019, même s’il y aurait beaucoup à dire sur la cohérence des mesures du PIB). Les théoriciens adorant nommer ce qu’ils ne peuvent expliquer, ont trouvé un terme savant pour décrire la simultanéité de la hausse des prix (prix « inflatés ») et de la baisse de la production (stagnation ou récession), c’est la "stagflation".

Pour lutter contre « l’inflation » (comprenons ici la « hausse des prix ») certains proposent d’augmenter un prix, celui de l’argent, en augmentant le taux d’intérêt auquel on peut emprunter.

Certes, le « quoiqu’il en coûte » a créé trop d’argent magique, mais ce n’est pas en rendant le futur argent plus cher que l’on peut espérer lutter contre … la hausse des prix. S’il y a déjà trop d’argent en circulation, n’en émettons pas davantage (ce qui est de la première responsabilité de la Banque de France et de la BCE), tout en bloquant peut être, si nécessaire, tout prêt bancaire qui ne serait pas garanti par l’existant, et non gagé sur de futures perspectives de croissance éventuelle.

Revenons aux prêts sur gages, c’est-à-dire à des prêts accordés en contrepartie de valeurs réelles, existant réellement, et non des emprunts basés sur des anticipations d’un avenir toujours présenté comme radieux.

Par ailleurs, s’il y a trop d’argent par rapport aux biens et services offerts, augmentons cette production, de biens comme de services, en faisant travailler les inactifs, tout en refusant d’acheter à crédit des produits venant principalement de l’étranger. Ce n’est qu’en augmentant la production locale « domestique », tout en restreignant toute augmentation de masse monétaire (que ce soit la monnaie centrale M0, ou l’argent ‘bancaire’ M1) que la hausse des prix pourra être jugulée, même si l’on peut s’attendre, sur les 10 prochaines années, à une hausse de prix annuelle de 5 à 7%.

Relancer la production et limiter la masse monétaire semble beaucoup plus efficace que d’augmenter les taux d’intérêt : voilà ce que le simple bon sens suggère.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Déficit commercial et dettes, qui s’en soucie vraiment

Ce que nous dit l'évolution du bilan de la BdF sur le quoiqu'il en coûte

Des dettes indexées sur l’inflation!