Les soldes Target2 expliqués aux débutants et aux autres aussi

 Ou comment rendre transparentes les positions financières des états de la zone euro.

Les mouvements financiers entre états ne sont guère plus compliqués que les mouvements financiers entre banques, ni d’ailleurs entre simples particuliers dès lors que ce sont des mouvements qui se concrétisent par des modifications de comptes bancaires, tous numérisés ou « électroniques ». Ce ne sont que des « écritures » sur deux comptes. Quand il y a une vente, les  deux comptes sont celui de l’acheteur, qui augmente, celui du vendeur, qui diminue. Quand c’est une transaction purement financière, c’est un phénomène analogue.

Prenons un exemple franco-français. Monsieur Dupont a un compte et une carte de débit-crédit auprès de la BNP. Il a besoin d’espèces, il veut retirer 300 euros à un distributeur, c’est celui d’une autre banque, par exemple le Crédit Agricole. Après avoir retiré cet argent, il va y avoir une « compensation » entre la BNP et le Credit Agricole, cette compensation concernera en dernier recours les comptes de la BNP et du Crédit Agricole auprès de la Banque de France, la banque centrale nationale de la France (BCN de France, ou BdF) Le compte BNP aura diminué de 300 euros, le compte Crédit Agricole aura augmenté de 300 euros (si nous négligeons les frais de transaction, de l’ordre de 0.5%).

Si les comptes de la BNP se vident plus vite que ceux du Crédit Agricole, car les transferts dans l’autre sens peuvent aussi se produire, il peut arriver un moment où les comptes de la BNP auprès de la Banque de France soient presque réduits à zéro, alors que les comptes du Crédit Agricole seraient florissants. Ces deux banques peuvent s’arranger entre elles, par des prêts interbancaires. Mais, à terme, cette solution n’est pas viable, si les banques, comme aurait dit Keynes, n’avancent pas au même pas. Un tel déséquilibre peut être extrêmement dangereux pour le système bancaire français, ou tout autre système bancaire national.

En fait, même si ce n’est pas visible, les transactions financières internes à un même pays font intervenir deux pseudo-monnaies différentes. Dans le cas précédent, ce sont l’euro « Crédit Agricole » et l’euro « BNP », même si la parité de ces deux monnaies est de un pour un. D’où l’importance capitale, lors de la « compensation » des comptes, qu’une des deux banques ne prenne pas trop d’importance sur l’autre, la régulation passant toujours, en cas d’échanges inégaux entre les deux banques (plus de transferts d’une banque vers l’autre), par la Banque de France. Seule la Banque de France, d’ailleurs, a la possibilité de créer de l’argent , ce que ne peuvent faire ni le Crédit Agricole, ni la BNP.

Dans le cas de transferts financiers entre deux pays différents de la zone euro, le processus de « compensation » est presque identique. De même qu’il y a avait un « euro Crédit Agricole » et un « euro BNP », que seule la Banque de France pouvait compenser sur ses propres comptes, de même il y a un « euro français » et un « euro allemand », et toute vente d’un produit allemand à un acheteur français, ou à l’inverse d’un produit français à un acheteur allemand sera compensée, en définitive, par des mouvements affectant les comptes de la Banque de France et de la Banque d’Allemagne. Seule la terminologie changera, on parlera de soldes Target2, positifs ou négatifs, d’actifs ou d’obligations, d’’assets’ ou de ‘liabilities’, ces soldes se retrouvant sur les comptes de la Banque de France et de la « Deutsche Bundesbank »

Le tableau ci-dessous montre l’évolution de ces soldes Target sur les quatre dernières années, entre juin 2018 et juin 2022, les soldes négatifs ou « liabilities » étant en rouge, les soldes positifs ou « assets » étant en noir.


Dit sommairement, ces soldes traduisent la position financière des banques centrales de la zone euro, et donc leur plus ou moins grande faiblesse. C’est ainsi que l’Italie voulait avoir une position financière « épurée » vis-à-vis des autres pays de la zone euro, elle devrait s’acquitter d’une dette de plus de 627 milliards (en date de juin 2022), alors que l’Allemagne, au contraire, dispose d’un crédit de plus de 1216 milliards sur l’ensemble des pays de la zone euro. La France, elle, est en situation moins défavorable. Longtemps à l’équilibre, elle ne devrait « que » 104 milliards à ses « partenaires » de la zone euro. Notons cependant la position inconfortable de la BCE, dont le solde Target devrait être à zéro, si le système bancaire européen était à l’équilibre.

L’équilibre de la zone euro ne repose donc que sur un fil, et sur la volonté des pays la constituant d’accepter que ce château de cartes en équilibre instable ne s’écroule pas. Il est clair que si l’Italie était contrainte de payer ses « dettes Target2 », elle ne pourrait le faire sans mettre la banque d’Italie en faillite.

D’un point de vue purement financier, on comprend pourquoi, pour attirer des capitaux, l’Italie doit offrir des taux de rendement bien plus importants que ceux de l’Allemagne. Mais qui a envie d’investir financièrement en Italie avec une banque centrale italienne qui risque d’être en cessation de paiement assez facilement. On comprend que sans souveraineté monétaire, une nation endettée ne peut pas grand-chose. La situation de la France, elle, est bien moins préoccupante. Il lui suffirait d’avoir la volonté politique de décider de reprendre la main sur sa banque nationale, la Banque de France. Une dette financière de 134 milliards n’est pas énorme, si on la compare à d’autres pays « du sud de l’Union Européenne », ni même à la situation de la BCE elle-même.

Compléments et mise à jour au 12 octobre 2022

Compte tenu des nouvelles données de la BCE (ou ECB), la situation financière de la France s'est un peu améliorée, en passant d'un solde Target2 négatif de 104.6 milliards à 91.9 milliards, ce qui pourrait permettre à la France de retrouver plus aisément sa souveraineté monétaire, si elle en avait la volonté politique. Ce n'est malheureusement pas le cas de l'Italie, dont la situation financière, telle que traduite par les dettes Target2 de sa banque centrale, s'est encore détériorée en deux mois de plus de 31 milliards.

Bruno Lemaire, ancien doyen associé d’HEC, ancien responsable R&D d’IBM Conseil, essayiste et consultant Ce que tout politique doit savoir en économie




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Déficit commercial et dettes, qui s’en soucie vraiment

Des dettes indexées sur l’inflation!

Quand la France roule ses dettes!