La disparition progressive des chaînes de valeurs multinationales marque le début de la fin de la mondialisation heureuse

Une mondialisation sans entraves ou conditions a t-elle pu être heureuse. Ce n'est pas ce qu'imaginaient les rédacteurs de la Charte de la Havane en 1946. Quoi qu'il en soit, cette mondialisation prétendue heureuse est bien finie: place au protectionnisme intelligent.

 

Lors de mon passage chez IBM Conseil il y a une trentaine d’années, la mode de l’époque, dans le domaine du management était au « reengineering » (faire du passé table rase) pour favoriser et amplifier la tendance à l’internationalisation des chaines de valeur : c’est ainsi que, par exemple, les produits d’Apple recevaient des ‘puces’ made in Taiwan, avant d'être assemblés en Chine, après avoir été conçus aux USA, et vendus un peu partout dans le monde. N’oublions pas non plus comme constituants des minerais de terre rare venus de l’Asie du Sud Est.

 

C’était l’époque aussi à laquelle, à IBM ou dans d’autres grandes entreprises multinationales, on ne se méfiait pas encore de la Chine. On ne l’ignorait pas, bien sûr, mais l’on pensait qu’il « suffisait d’avoir une technologie d’avance » Comme si en laissant les industries de pointe en « Occident », et plus spécifiquement aux USA, cela permettrait de garder indéfiniment un coup, ou une technologie, d’avance.

 

La Russie était très affaiblie, aux mains d’oligarques corrompus et ne se remettait pas encore vraiment de la chute du mur de Berlin. L’avenir semblait radieux, au moins pour l’économie occidentale, au sens élargi, en y incluant le Japon et Taiwan.

 

Quelle erreur. L’entrée de la Chine dans l’OMC a tout changé, même si d’autres événements ultérieurs ont aussi contribué à ce changement. Citons ainsi l’Inde et ses centaines de milliers d’ingénieurs ‘produits’ chaque année, les sanctions stupides vis-à-vis de la Russie qui l’ont amenée à devenir de moins en moins dépendante de l’Occident tout en favorisant son rapprochement avec la Chine, la naissance des Brics.

 

Un nouveau mantra a commencé à émerger il y a une douzaine d’années : un mélange de libéralisme interne et de protectionnisme vis-à-vis d’autres pays susceptibles de fausser la prétendue « concurrence libre et non faussée entre nations ».

 

Sur ce point, je dois dire qu’aux alentours des années 2012à 2015, c’est sans doute le seul point économique sur lequel le Front National, en ce qui concerne du moins sa cellule de veille économique à laquelle je participais avec un collègue de Dauphine et avec Bernard Monot, de la Caisse des Dépôts et Consignations, n’était pas (encore) devenu socialiste. Il était même visionnaire, ce qu’il est resté jusqu’en 2017, après sa valse-hésitation sur l’Euro et au-delà sur son appartenance ou non à l’U.E.

 

Quoiqu’il en soit, chacun se rend compte maintenant, plus ou moins confusément, que le retour des Nations, et une méfiance accrue entre certaines d’entre elles, a marqué la fin de l’illusion d’une mondialisation heureuse. Le Brexit de 2016, et la première élection de Trump, suivis quelques années plus tard de la montée en Europe de mouvements ouvertement patriotes ou ‘populistes’ ont remis à l’honneur la « priorité nationale » .

 

Le slogan MAGA, Make America Great Again, peut maintenant être décliné un peu partout, en Argentine depuis quelques mois, en Hongrie aussi, en Italie sous une forme atténuée. Seule la France et l’Allemagne  semblent encore freiner des quatre fers, pour des raisons assez différentes, la France ne croyant plus à son avenir industriel, et l’Allemagne rêvant encore de sa splendeur passée, du temps où l’accès au gaz russe lui permettait d’essayer de dénigrer, de critiquer, voire de saboter le développement du nucléaire civil français.

 

Oui, il est grand temps pour la France d’abandonner ce faux dilemme entre libre échange et protectionnisme. Un État doit être au service de la Nation, et de son peuple, ce n’est pas l’inverse. Oui à un État protecteur vis-à-vis de ses administrés, de ses citoyens, en leur permettant d’être créatifs et entrepreneurs. Mais oui aussi à un État régalien assurant à son peuple sécurité et soins de santé, c’est sa mission, si mal assurée de nos jours en France.

 

Ce n’est que si notre État remplit parfaitement ces missions que le consentement à l’impôt pourra perdurer. Cela peut ne plus être le cas si nos impôts servent, entre autres, à financer 1200 agences plus ou moins connues qui nous coûtent 80 milliards par an, ou à assurer le minimum vieillesse à des étrangers qui n’ont jamais cotisé pour leur retraite et même parfois jamais travaillé pour des entreprises françaises.

 

Au cours de son émission hebdomadaire, celle du 7 février, Philippe de Villiers nous a bien dit que les chaînes de valeurs transnationales devaient être complètement ‘revisitées’, au sens où les empires étaient de nouveau d’actualité, les USA, la Chine, l’Inde, la Perse, la Russie, l’Empire Ottoman. Chacun de ces empires cherche à être souverain, et donc à ne pas dépendre de façon cruciale d’autres pays ou d’autres empires. Il serait temps que le conglomérat de pays constituant tant bien que mal l’Union Européenne sans vision commune, avec des pays ayant des intérêts divergents, s’en aperçoive. Les USA ont créé de toutes pièces l’U.E., ils veulent maintenant s’en débarrasser, tenons en compte. Un empire, qu’on l’appelle ou non Union Européenne, ne peut exister sans vision commune, sans valeurs  communes. Là encore il est temps de le comprendre, et de s’atteler d’abord à retrouver une certaine souveraineté et autonomie nationale, au lieu de diluer la France dans une pseudo union.

 

Cette absence de souveraineté, et donc le danger de chaines de valeurs économiques multinationales décevantes, comme on l’a vu pour les médicaments dans la gestion calamiteuse de la crise Covid et comme on le voit encore pour l’avance prise par la Chine sur les voitures électriques, doivent devenir des priorités à combattre. Le danger réel pour notre économie est là, bien plus qu’un danger d’une prétendue guerre qui fait davantage les affaires d’ambitions personnelles. Une autre guerre, bien plus importante, serait à livrer contre un islamisme conquérant, mais ceci est une toute autre histoire.


Sur le plan purement économique, la nécessité de changer de paradigme est donc évidente. Oui au libéralisme interne, mais en tâchant de produire en local tout ce qui est essentiel à notre développement, et parfois m^me à notre simple survie en tant que nation indépendante et souveraine. Ce peut être une définition d'un protectionnisme à la fois libéral et intelligent.

Bruno Lemaire, économiste et essayiste, ancien responsable R&D d'IBM Conseil, ancien doyen associé d'HEC, ancien conseiller économique de la présidente du Front National.

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