Confiance, crédit et monnaie
Comptabilité et monnaie dans une économie moderne ?
Bruno
Lemaire, mai 2020 (lesamoureuxdelafrance2020.fr)
Un
débat s’est ouvert récemment sur internet : la création monétaire repose-t-elle
nécessairement sur des dettes ? En allant plus loin encore dans cette direction,
pourquoi ne pas se poser la question suivante : à quoi sert réellement la
monnaie ?
Sans confiance, pas d'échanges possibles.
J’ai
défendu à maintes reprises que la monnaie était un "titre de créance accepté par ungroupe, et fonction du travail déjà réalisé et jugé utile par le groupe", expression dans laquelle trois termes
sont fondamentaux, créance, travail utile, et groupe.
Si un boulanger vend sa baguette 1.30€ alors
que dans sa zone de chalandise le même type de baguette est venu un euro, ce
montant de 1.30€ ne sera pas nécessairement validé par le groupe, l’utilité de
son travail étant jugée inférieure au montant demandé.
L'échange bien contre monnaie peut être différé, pas la mémorisation de l'échange.
En revanche, dès lors qu’il
vendra l’ensemble des baguettes à un certain prix unitaire ‘acceptable’, ce
prix, par exemple 1.10€ pourra être
considéré comme un titre de créance, soit parce qu’il aura effectivement perçu
ce montant par un simple échange monétaire, physique ou numérique (carte
bancaire), soit parce qu’il aura inscrit sur un registre la somme
correspondante. Ce « titre de créance » n’est donc pas
nécessairement transformé en monnaie dès son émission.
Une 'compensation' périodique à définir.
Dans la vie de tous les jours, si la monnaie
concrète, réelle, est indispensable dans un certain nombre de cas, on constate
donc que si tous les achats et les ventes qui ne soient pas au comptant étaient
inscrites sur un registre, le besoin de ‘compensation’, de ‘solde’, de
rééquilibrage comptable des achats vs. dépenses pourrait être reporté plus
tard, à la fin de la journée, de la semaine ou du mois, suivant les règles ou
les accords prévalant dans le groupe.
C’est évidemment ainsi que les banques compensent
entre elles les chèques émis par leurs clients passant d’une banque à une
autre, compensation qui a lieu en principe chaque soir, la compensation n’impliquant
que la différence de solde et faisant intervenir la monnaie centrale, c’est-à-dire
des modifications des comptes que chaque banque commerciale doit
posséder à la Banque de France.
Si la même procédure avait lieu entre agents
économiques ‘privés’, non bancaires, on pourrait très bien imaginer – ce qui se
faisait dans nos campagnes naguère – que la compensation individuelle n’ait
lieu qu’au terme d’une certaine période, par exemple hebdomadaire ou mensuelle.
Le « solde de tout compte » ferait intervenir, au choix, une monnaie
locale, ou la monnaie centrale, sans que les banques commerciales n’interviennent
réellement, autrement peut être qu’en tant que gestionnaires des comptes
individuels de nos divers agents économiques, et éventuellement en tant que
tiers de confiance.
Quelle que soit la procédure retenue, on
constate que les besoins réels de monnaie ne correspondent qu’à la nécessité
de compenser périodiquement les différences entre rémunérations et
dépenses, ce qui se ramène, en fait, à évaluer les différences entre les
différents travaux évalués en unité de compte, le boulanger ayant fourni pour
2500 euros à la collectivité pain et gâteaux
pendant une certaine période, pendant que tel ou tel autre artisan aura lui
fourni plus ou moins de travail
rémunéré. C’est la comptabilité de tous les différents agents économiques qu’il
faudra ainsi recenser. Ce qui est indispensable est donc l’outil de
comptabilité, associé à la quantité de monnaie juste nécessaire pour apurer les
comptes, c’est-à-dire pour compenser débits et crédits.
On retrouve bien là que la monnaie est « titre
de créance accepté par le groupe » tout en précisant, dans notre procédure, qu’elle
pourrait ne servir que d’appoint pour rééquilibrer les échanges.
Monnaie, comptabilité, mémoire et confiance sont inséparables.
Il ne s'agit pas ici de se pencher sur l'historicité de la notion de monnaie, mais de reconnaître tout simplement que la monnaie est intrinsèquement liée à la comptabilité qui "mémorise" les échanges et le travail sous jacent, que cette mémorisation soit individualisée dans un billet de banque ou inscrite sur un livre, traditionnel ou numérique, en précisant que cette "comptabilité" doit être gérée par une entité en laquelle le groupe concerné (ici la France) ait une confiance totale
Dans le contexte actuel, différents experts ont
estimé que le trou prévisionnel du PIB 2020, c’est-à-dire le manque d’activités
dus à la pandémie covid19, pouvait avoisiner 300 milliards d’euros.
La solution retenue a été de demander à la BCE,
par l’intermédiaire de la Banque de France, d’émettre 300 milliards
supplémentaires, en gageant ce montant sur des créances, des dettes, publiques.
Une autre méthode aurait pu être de mettre
un moratoire sur toutes les recettes et dépenses non pertinentes, en
particulier tous les taxes et impôts et TVA perçues par l’Etat ou les
administrations publiques, ce qui correspond grosso modo à 50% du PIB. L’état
et les administrations publiques auraient ainsi à vivre « à crédit »
pendant tout le temps de la pandémie, il aurait simplement suffi d’enregistrer
tout cela sur un « grand livre de comptabilité publique », par
exemple dans un service dépendant de la Banque de France. Nul besoin de créer
de la monnaie pour cela
Mais cela nécessiterait que la politique
monétaire et budgétaire de la France soient souveraines, ce qu’elles ne sont
pas. Il aurait aussi fallu que les échanges de la France avec l’extérieur
soient équilibrés, ce qui n’est pas non plus le cas, il s’en faudrait de 60
milliards, soit d’environ 5 milliards par mois, mais ce montant ne semblerait
pas impossible à emprunter.
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