Des dettes indexées sur l’inflation!

 

Des dettes indexées sur l’inflation : à quoi jouent Bercy et France Trésor.

Incompétence ou roulette russe: notre ministre de l'économie croirait-il à ses propres fables sur une inflation qui serait bientôt à la baisse? Pour ma part, j’avais évalué en juin 2021 que l’inflation sur la décennie 2022-2032 atteindrait 100% en cumulé, soit environ 7.2% en rythme annuel. Avec un rythme annuel de 8%, il ne faudrait que 9 ans pour que les prix ne doublent, et avec une inflation annuelle d 9%, les prix doubleraient en huit ans.

Quand on constate que, sur les 18 derniers mois les prix de l’alimentaire ont augmenté de 20%, ces prévisions, corroborées par d’autres économistes ou financiers comme Charles Sannat, Charles Gave, Olivier Delamarche ou Philippe Béchade, ces deux derniers de l’équipe des « Econoclastes », correspondent à un pari très risqué.

De fait, il faut savoir que les 3000 milliards de dettes publiques ne sont pas faites pour être remboursées, sinon partiellement, mais pour être essentiellement « roulées », au sens où de nouvelles « obligations souveraines » sont émises périodiquement, presque chaque semaine, pour rembourser le capital restant dû, tout en repoussant un montant équivalent du nombre d’années correspondant à la maturité des obligations, qui sont généralement de 10 ans. En d’autres termes, pour rembourser, ou mieux pour faire rouler, le stock de dettes actuel, soit 3000 milliards (et même un peu plus), on va, chaque année, émettre pour 280 milliards de nouvelles obligations, à un certain taux. En fait, il faudra émettre plus encore, puisque, h élas, le déficit budgétaire continue à augmenter, et l’on peut prévoir d’ores et déjà qu’il faudra émettre 140 milliards d’obligations de plus en 2023, soit 5% du PIB si ce dernier est évalué, en euros courants, en euros 2023, c’est-à-dire en euros déjà dépréciés, à 2800 milliards.

Tablons donc sur 420 milliards de nouvelles obligations. Supposons maintenant qu’elles soient toutes indexées sur l’inflation, officielle de 7.2%, et officieuse nettement plus, au moins pour l’inflation « ressentie » par 60% de nos compatriotes, ceux dont la fin du mois est souvent problématique.

Cela signifie que, sur 10 ans, si l’inflation reste stable, on aura remboursé, en intérêts, 420 milliards d’euros, à 7.2% d’intérêts par an, sans avoir diminué d’un iota le montant des dettes à rembourser. Par ailleurs, si le déficit reste à 5% du PIB, les dettes elles-mêmes auront augmenté de 140 milliards par an, en euros constants. Si on tient compte de l’inflation, ces 140 milliards représenteraient, dans 10 ans, 280 milliards.

Certes, on peut espérer que notre déficit budgétaire finira par diminuer, et qu’au lieu de 5% du PIB actuel, on arrive à revenir aux fameux 3% prévus dans le traité de Maastricht. Mais même ainsi, notre dette publique continuera à augmenter, surtout si nos obligations publiques, nos « OAT » (Obligations Assimilées du Trésor), restent indexées sur un taux d’inflation qui ne me semble pas devoir se réduire significativement sur la prochaine décennie.

Supposons cependant que, par miracle, l’inflation se conforme aux prévisions du ministre de l’économie, même si ce dernier s’est toujours trompé jusqu’à maintenant dans toutes ses prévisions ou pronostics. Le fait que la hausse des prix soit ramenée, par exemple, à 2%, d’ici 2 ou 3 ans mettrait les finances publiques à rude épreuve. De fait, actuellement, les recettes de l’Etat, en particulier les recettes liées aux prix de l’énergie, sont artificiellement gonflées par l’inflation.

De fait, le dilemme est là. Faut-il, ou non, combattre l’inflation, qui se traduit par une hausse des prix qui nous rappelle celle que nous avions connue dans les années 1970, tout en rappelant que jusqu’en 1973, la France n’avait quasiment pas de dettes publiques, et que son budget était quasiment équilibré, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui.

Pour combattre cette hausse des prix, essentiellement causée par l’augmentation de la masse monétaire au cours des années 2020 et 2021, au moins dans sa partie M0, à savoir la monnaie crée par la Banque de France, on ne peut procéder que de 3 façons, si possible simultanées.

Rendre l’argent plus cher à acquérir, donc en augmentant le taux d’intérêt des différents emprunts, tout en s’efforçant de diminuer la masse monétaire, ou en la gelant, et enfin en s’efforçant par ailleurs de relancer l’économie, c’est-à-dire en produisant et en exportant davantage, et en important moins.

Le seul problème, si l’on peut dire, c’est que le seul fait de rendre les obligations d’Etat plus « rentables », rend les obligations émises précédemment, avec un taux de rendement nul ou presque nul, beaucoup moins attractives, ce qui explique en grande partie les faillites de plusieurs banques régionales aux Etats Unis. L’euthanasie des rentiers, dont parlait Keynes au sujet de l’Inflation, peut avoir un sens si les taux d’intérêt excessifs ne rendent pas aussi les investissements nécessaires pour relancer l’économie presque impossibles à réaliser.

Dans le contexte de désindustrialisation croissante de la France, aggravé au niveau budgétaire par les sanctions contre la Russie qui frappent davantage notre économie que l’économie russe, les mesures prises par le ministre de l’économie semblent au mieux dérisoires, et au pire contre-productives. L’inflation de la fin des années 1960 avait pu être facilement absorbée par une économie florissante et une industrie très compétitive. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Que faudrait-il donc faire, si tant est que la situation puisse être inversée. Les pistes sont connues, même si elles sont difficiles à suivre, pistes que j’avais déjà esquissées dès l’été 2021 dans Imaginons le programme économique d'Eric Zemmour (monnaiepublique.blogspot.com).

Retrouver notre souveraineté monétaire, en commençant par remettre la Banque de France dans le giron de la France, sous un conseil de surveillance qui ne serait pas composé que de hauts fonctionnaires choisis par l’exécutif, mais qui représentent réellement la Nation. Comme le disait le regretté prix Nobel Maurice Allais, la croissance de notre Monnaie ne peut dépasser durablement le taux de croissance de notre économie, à un ou deux % près, alors qu’en 2020 la masse monétaire a cru de 66% tandis que notre PIB diminuait de 9%. Là encore les mesures « anti-covid » ont eu bon dos, alors qu’elles étaient pour une bonne part inutiles et qu’elles ont détruit pour une bonne part, de plus, le sens profond de la valeur travail en rendant l’assistance plus attractive que l’emploi.

Instaurer un protectionnisme intelligent et raisonné, tout en développant dès que possible des circuits courts, afin de s’attaquer au plus grand fléau de notre économie, qui n’a fait que s’aggraver depuis 2005, à savoir notre déficit commercial. Aucun pays ne peut se prétendre économiquement souverain, lorsque ses importations dépassent durablement, pendant des années, et maintenant des décennies, ses exportations. Il est donc temps de mettre fin au mythe du libre-échange, qui ne profite qu’aux puissants ou aux pays qui ne respectent aucune norme écologique ou humaniste dans leurs différents process de production.

Le dernier point, enfin, concerne le déficit budgétaire. Là encore, aucun pays ne peut durablement supporter que ses pouvoirs publics et administrations ne dépensent plus qu’elles ne perçoivent de divers impôts ou taxes, surtout lorsque ce surplus de dépenses correspond essentiellement à des dépenses de fonctionnement et non à des investissements. On peut concevoir que dans le cadre d’un réel aménagement du territoire, la France s’endette pour financer de grands travaux d’infrastructure, par exemple pour relancer le programme de centrales nucléaires ou pour désenclaver certaines communes ou bassins d’emploi de la France rurale. Mais l’endettement pour simplement pouvoir payer ses fonctionnaires devrait être prohibé.

Mais il est douteux qu’avec le pouvoir actuel, tout entièrement soumis à une vision mondialiste périmée et dépassée, de telles mesures soient entreprises. Notre roi républicain est nu, mais il ne semble pas vouloir s’en apercevoir, la tragi-comédie des Champs Elysées entièrement vidés lors de la cérémonie du 8 mai en apporte une preuve de plus.

(Bruno Lemaire, économiste et essayiste, ancien doyen associé d'HEC, ancien responsable R&D d'IBM Conseil)

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