Argent, dettes et création monétaire. Simple, étrange et ambigu!
Les
ambiguïtés de la monnaie, de l’argent, du « fric », de la
« thune »
Par Bruno Lemaire,
économiste
Préambule : chacun croit
savoir ce qu’est l’argent, puisque beaucoup rêvent d’en avoir, ne fut-ce que
pour survivre, d’autres, d’en avoir toujours plus, l’accumulation effrénée
étant l’un des ressorts du capitalisme, comme l’affirmait Karl Marx. Et
pourtant …
Q. Et malgré cette soif, ou cette envie, d’argent, vous parlez
d’ambiguïté ? Comment est-ce
possible !
Nous sommes là dans une situation
assez bizarre, dans laquelle le bon sens populaire semble plus acéré que
l’analyse des experts, au sens où il y a sans doute moins d’ambiguïtés sur le
sens du mot populaire « fric » ou « thune » que sur le mot
plus noble de « monnaie »
Q. Que voulez-vous dire ?
Si vous parlez à quelqu’un de
« fric », il saura, au moins dans les grandes lignes, ce que cela
signifie. Mais essayez de demander à quelqu’un la définition de
« monnaie ».
Q. Heu, la monnaie, ou plutôt l’argent, c’est ce qui permet d’acheter
quelque chose, non ?
Si vous voulez, mais pour aboutir
à cette définition, qui n’en est pas véritablement une, vous avez eu besoin
d’employer un autre mot, qui peut lui sembler synonyme, le mot argent, mais qui
ne l’est pas dans d’autres contextes. L’argent peut représenter un minéral, et
la monnaie peut aussi être compris dans le sens de « petite
monnaie », voire d’appoint à une somme plus importante.
Q. Revenons à la monnaie-argent, au fric si vous voulez. En quoi ma
définition : c’est ce qui « permet d’acheter quelque chose »,
voire n’importe quoi, est-elle insuffisante ?
Si je prends votre définition à
la lettre, j’y vois deux imprécisions ou imperfections, voire insuffisances.
Elle ne dit pas vraiment ce qu’est la monnaie, mais seulement ce qu’elle permet
de faire, à savoir acheter des biens ou des services.
Q. C’est déjà pas mal, non ? Et quel serait le deuxième défaut de ma
définition ?
C’est une définition très
générale, trop générale peut-être, et ne dit pas vraiment ce qui est monnaie et
ce qui ne l’est pas. Est-ce quelque chose de concret, d’abstrait, est-ce un
signe, un symbole, une institution, un produit ou une marchandise, la
concrétisation d’un service ?
Q. Peut-être est-ce tout cela à la fois ?
Dans ce cas, on voit bien que
votre définition est insuffisante, ce qui signifie qu’il va falloir creuser
davantage pour tenter de mieux comprendre ce qu’est cette monnaie, et peut être
aussi ce qu’elle n’est pas. Pour cela nous allons tout d’abord revenir aux
sources, à Aristote, qui est l’un des premiers à avoir parlé d’argent (au sens
de monnaie, de fric), avant de voir ce qu’elle semble être devenue de nos
jours.
Q. Aristote ? Est-il utile de remonter si loin, voire au
déluge ?
Aristote a mis en valeur une
propriété intéressante de l’argent, à savoir que l’argent est tout d’abord une
convention, certains diraient une institution.
Je le cite : « C'est qu'on place souvent l'opulence dans l'abondance de l'argent,
parce que c'est sur l'argent que roulent l'acquisition et la vente ; et
cependant cet argent n'est en lui-même qu'une chose absolument vaine, n'ayant
de valeur que par la loi et non par la nature, puisqu'un changement de convention parmi ceux qui en font usage peut le
déprécier complètement, et le rendre tout à fait incapable de satisfaire
aucun de nos besoins. En effet, un homme, malgré tout son argent, ne pourra-t-il
pas manquer des objets de première nécessité ? Et n'est-ce pas une plaisante
richesse que celle dont l'abondance n'empêche pas de mourir de faim ? C'est
comme ce Midas de la mythologie, dont le vœu cupide faisait changer en or tous
les mets de sa table »
Q. Et plus concrètement ?
Un signe
monétaire, que ce soit un billet, une pièce, un chèque, une simple écriture,
physique ou virtuelle sur un compte bancaire, n’a de la valeur, du
« pouvoir d’achat » que dans un contexte géographique déterminé.
Robinson Crusoé sur son île, s’il avait eu une caisse remplie de billets de
banque, ou même de pièces d’argent ou d’or, n’aurait pas été plus
« riche » s’il avait rencontré des peuplades ignorant tout de ces
signes, réels ou non, de richesse.
Q. Si je comprends bien, ce que nous
appelons ‘monnaie’ n’a un pouvoir d’achat réel que dans certaines
circonstances, et ce pouvoir d’achat peut être fluctuant…
C’est tout à fait cela. L’une des
propriétés de base de toute monnaie est celle d’être un moyen d’échange, que
l’on aimerait être aussi stable et universel que possible, mais … qui ne l’est
pas.
Q. Qu’appelez-vous « universel »
Prenons le cas d’une monnaie
actuelle, par exemple l’euro. Son pouvoir d’achat est reconnu – au sens où vous
pourrez acheter avec des biens ou services – à l’intérieur d’une zone
géographique, disons l’euro-zone, ou au-delà l’Union européenne, voire l’Europe
toute entière. Vous pourrez même utiliser vos ressources en euro presque
partout dans le monde, mais …
Q. Mais ?
On peut imaginer que certaines
peuplades refusent de vendre leur production en échange de ces euros dont elles
ignoreraient tout. L’universalité a donc ses limites, même celle d’une monnaie
relativement connue. En prenant un exemple plus restreint, on peut aussi
suggérer que l’universalité du « birr » (nom de la monnaie
éthiopienne) ou de l’ « ariary » (nom de la monnaie de
Madagascar ) se restreint quasiment au pays dans lesquels ces monnaies
existent.
Q. En fait l’universalité d’une monnaie se limiterait à la zone
géographique dans laquelle elle peut réellement servir directement en tant que
pouvoir d’achat ?
Effectivement. C’est bien ce que
suggérait Aristote en écrivant que la « valeur » de la monnaie venait
de « par la loi
et non par la nature »
Toute ‘universalité’ monétaire est
relative, en sachant que certaines monnaies sont convertibles, c’est-à-dire
échangeables contre d’autres monnaies plus ou moins aisément. Il est clair que
le dollar américain est ‘presque’ universel, même si on peut mettre en doute sa
stabilité, c’est-à-dire le fait que son pouvoir d’achat soit fixe dans l’espace
et dans le temps.
Q. Pour résumer ce qui précède, toute monnaie aurait une portée limitée
dans l’espace et dans le temps, au sens où son pouvoir d’achat serait plus ou
moins variable ?
C’est un peu lapidaire, mais
c’est à peu près cela. Disons que tout signe monétaire est un étalon plus ou
moins élastique, à la fois dans une zone géographique donnée et au cours du
temps, avec une tendance historique, celle qu’une même somme monétaire perd
systématiquement du pouvoir d’achat. Cela a été vrai pour le dollar, cela a été
encore plus vrai pour le franc français, et cela l’est aussi, même si c’est
moins visible, pour l’euro actuel ? C’est ce qui est validé par ce que
l’on désigne par la « hausse des prix », plus ou moins marquée, et
plus ou moins masquée par des progrès de productivité qui devraient conduire à
ce qu’une même marchandise soit moins coûteuse à produire au cours du temps.
Q. Mais ne pourrait-on pas trouver un ‘étalon’ monétaire
« absolu », qui ne soit pas élastique, et qui soit accepté
partout ?
Cet étalon, les Etats Unis ont
cru pouvoir l’imposer, entre 1945 et 1971, c’était l’étalon dollar, qui se
« justifiait » par le fait qu’il était censé être accroché à quelque
chose de très concret, et considéré comme précieux, à savoir l’or.
Q. Le fameux étalon-or ? Cela semblait une bonne idée. Qu’est-il
arrivé ?
On retrouve là encore le fait « aristotélicien’
que toute référence monétaire, qu’on l’appelle étalon monétaire ou système
monétaire, repose sur une convention, qui doit être acceptée, et pour être
acceptée, ou imposée, elle doit correspondre à une double réalité, à la fois
politique et économique.
Les Etats-Unis ont perdu, peu à
peu, à la fois leur hégémonie politique, et, par-dessus-tout, leur hégémonie
économique, même s’ils bénéficient encore d’un avantage considérable.
Q. Quel avantage ? Leur or ?
Pas du tout, puisque leurs
réserves en or, qui sont secrètes, ne doivent sûrement pas permettre de servir
de garantie aux monceaux de dettes qu’ils ont engrangées, et au monceau de dollars
qu’ils ont « fabriqués ».
Leur seul avantage, certes
indiscutable mais qui s’atténue inexorablement, reste dans le fait que leur
monnaie, le dollar, demeure LA monnaie de référence, sinon utilisée du moins
utilisable, dans tout échange international. Mais cela n’en fait pas pour
autant LE système monétaire absolu et universel que certains réclament, mais
qui semble bien utopique.
Q. Pourquoi utopique ?
Les interrogations sur l’euro,
récurrentes depuis une dizaine d’années, ont eu au moins un mérite, celui de
démontrer qu’une monnaie unique devait correspondre à un consensus, et que ce
consensus était nécessairement lié à un gouvernement unique, un pouvoir capable
d’imposer cette universalité.
Q. Si je vous comprends bien, il ne pourra y avoir une monnaie unique,
ou plus précisément un étalon unique, au niveau du monde entier que s’il y
avait un pouvoir politique unique, un « ordre mondial » bien établi.
On peut dire cela. Mais,
inversement, cela signifie aussi que chaque nation, chaque pays
« indépendant », doit avoir son propre étalon monétaire, SA monnaie,
quitte à ce que l’on construise des systèmes monétaires plus larges, des
« monnaies communes » permettant à des pays ou des nations
différentes d’échanger et de commercer entre eux.
Q. Et l’on revient à Aristote et à sa critique des illusions de Midas,
qui derrière tout bien ou service voyait le spectre de l’or.
Certes. Cela étant, il nous faut
aussi tenter de comprendre d’où vient la monnaie, après avoir rappelé que toute
monnaie correspond, en fait, à une convention plus ou moins bien acceptée ou
imposée par un pouvoir dans un cadre géographique et géopolitique déterminé.
Pour illustrer ce point, nous
prendrons l’exemple de la France actuelle, qui, du point de vue de l’euro,
n’est pas vraiment « LE » pouvoir qui a la responsabilité de cette
monnaie, puisque son champ d’application dépasse de très loin le seul cadre de
l’hexagone (et des territoires et départements d’Outre-mer).
Q. L’euro est pourtant la monnaie « légale » en France ?
Oui, et l’euro possède donc, pour
le moment, ce caractère de « pouvoir d’achat » universel, au moins
dans l’eurozone, au sens où tous les prix sont exprimés en euros et qu’il n’y a
nulle restriction pour payer en euros, même si ce pouvoir d’achat fluctue par
rapport à d’autres monnaies, et même si ce pouvoir d’achat n’est pas stable au
cours du temps.
Q. On dit pourquoi que l’inflation, au sens de la hausse des prix, est
vaincue dans cette euro-zone ?
C’est vrai pour certains biens et
services, du fait de l’invasion de produits à bas coût, et souvent de basse
qualité, fabriqués dans des conditions écologiques et humaines parfois
déplorables. Mais ce n’est pas vrai pour nombre d’actifs particuliers, comme
les actions d’entreprises et les biens immobiliers, tout ce qui est spéculatif
en fait. Mais revenons à l’euro, et aux mécanismes qui le mettent en
circulation.
Q. Je suppose que c’est la banque centrale qui émet des euros
supplémentaires, quand c’est nécessaire ?
C’est justement sur cette
« nécessité » que l’on peut s’interroger. Je vais pour cela commencer
par l’exemple des besoins de l’Etat français, dont les ressources financières
propres ne lui permettent même pas de payer ses fonctionnaires.
Q. Comment cela ?
Mi-novembre 2016,
l’administration a révélé qu’elle ne pourrait plus payer ses agents, les agents
de L’État, si elle ne trouvait pas d’autres ressources. Si la France était une
entreprise, elle serait en cessation de paiement depuis le 8 novembre
Q. Cela veut-il dire que les caisses de L’État seraient vides ?
L’État n’a pas vraiment de
caisses, qui auraient été remplies précédemment d’espèces sonnantes et
trébuchantes, ou de billets, et qui se seraient vidées, mais c’est effectivement
l’idée.
Le déficit public, y compris le
déficit budgétaire, qui concerne les seuls agents de l’État, sera voisin de 75
à 80 milliards en 2016, et on peut donc considérer que début novembre l’État
n’a plus de ressources à lui, et qu’il lui faut trouver « ailleurs »
de l’argent.
Q. Comment va-t-il procéder : 80 milliards, ce n’est pas
rien ?
C’est effectivement une somme
colossale qui correspond approximativement à 7% de ses ressources propres, et à
plus de 3% du PIB
Q. Ou encore à 30% de ses dépenses de personnel !
Effectivement, les dépenses de
personnel dans la fonction publique ont atteint 278 milliards d’euros en 2014,
un peu plus encore en 2015 et en 2016.
Mais revenons aux 75 milliards à
« trouver »
Q. Je suppose qu’une partie de cette somme a déjà été trouvée, et que l’État, aussi inefficace soit-il, avait déjà prévu ce déficit ?
Chaque semaine, ou chaque mois,
l’administration française émet des reconnaissances de dette pour combler peu à
peu, au moins provisoirement, ses « trous » de trésorerie. Mais
supposons, pour simplifier, que cette somme de 75 milliards soit à
« trouver » en une seule fois.
Q. Je suppose que la France va emprunter ?
Plutôt que de répondre par oui ou
par non, essayons de suivre le processus, au moins sur le plan théorique.
Q. OK
La France a besoin de 75
milliards « pour finir l’année ». Cela signifie qu’elle a besoin, par
l’intermédiaire du « Trésor », d’avoir dans son compte bancaire 75
milliards de plus.
Q. Quel compte ?
Considérons, pour simplifier, que
ce compte est comme celui d’une entreprise, à une restriction près, compte qui
peut donc être ouvert auprès d’une banque « normale » ou auprès de la
Banque de France (succursale de la BCE).
Q. Et alors ?
Au niveau écritures comptables,
tout se passe comme si le Trésor, qui représente l’Etat, avait à son passif une
dette de 75 milliards, mais à son actif (à droite de son bilan), des ressources
monétaires nouvelles, de la « thune », pour un montant égal.
Bien entendu la valeur totale du
patrimoine de l’Etat n’a pas augmenté, 75 milliards d’un côté équilibrant les
75 milliards de l’autre.
Q. Mais d’où vient cette « thune », cet argent ?
C’est là tout le miracle, ou la
magie, ou la manipulation, de la création monétaire. En fait cet argent
n’existe pas vraiment, mais tout va se passer comme s’il existait vraiment.
Une banque, ou un consortium de
banques, va accepter l’opération quasi symétrique.
Q. C’est-à-dire
A son passif, en tant
qu’obligation à payer, elle inscrira sur le compte bancaire de l’État Français,
ici un compte du Trésor, la somme de 75 milliards d’euros. A son actif, donc à
droite de son bilan, elle inscrira une reconnaissance de dettes de la France,
un actif financier que l’on qualifie parfois de « dette souveraine »,
pour le même montant. Passons sur d’autres détails, comme l’inscription des
intérêts éventuels, et de la durée, ou de la maturité, de cette dette, mais
l’essentiel est là.
En résumé, on a un couple, ou
vecteur, « comptablo-monétaire » de (-75, +75) pour le Trésor et un
vecteur symétrique de (+75,-75) pour la banque, ou le consortium de banques
« créatrice de monnaie »
Q. Deux questions. Pourquoi ces signes + et -, et comment la France
va-t-elle pouvoir utiliser cet argent, virtuel ou réel ?
Les signes + et -, que j’ai
repris de l’économiste Jean Rémy, ont pour but de montrer qu’aucun patrimoine
n’a réellement été modifié, 75 moins 75 cela fait bien zéro, même si la
composition du patrimoine de l’état et des banques a évidemment changé. Par
ailleurs le ‘moins’ signifie, pour l’Etat, que c’est ce qu’il doit (c’est donc
à son « passif »)
Par ailleurs, la création
monétaire de 75 milliards n’est pas virtuelle, au sens où l’argent
correspondant, même si ce n’est qu’une écriture comptable, va pouvoir être
utilisé comme tout autre marque monétaire.
Q. Hum, cela paraît formidable. On se demande où est l’astuce, le
‘truc’. Sinon, les dettes ou les déficits, on s’en ficherait, si on pouvait
créer de la monnaie aussi facilement, non ?
Vous avez raison, mettons un
bémol à cet enthousiasme créationniste. Nous avons vu que le patrimoine des
agents économiques concernés ne changeait pas, que le patrimoine, la
« richesse » de l’État, n’avait donc pas changé.
Q. Et alors ?
Si nous regardons la situation
dans un contexte annuel, on va donc avoir une masse monétaire plus importante
que prévue
Q. De 75 milliards !
Oui, de 75 milliards, à comparer
à la fois à la masse monétaire initiale (qui, selon les agrégats retenus, varie
entre 900 et 2000 milliards) et au PIB 2016, qui sera de l’ordre de 2230
milliards (2181 pour 2015).
Q. Pouvons-nous revenir à cette création monétaire, quel que soit son
montant exact ?
En fait, avec notre terminologie,
l’échange de vecteurs (-75,75) (du bilan du Trésor Public) vers (75, - 75) (au
bilan de la Banque) peut ne pas s’arrêter là. Pour deux raisons.
Q. Lesquelles ?
La banque qui a procédé ‘scripturalement’,
par un simple jeu d’écritures (électroniques), à cet échange de « vecteurs
monétaires », et à cette création monétaire, peut avoir besoin de
liquidités, c’est-à-dire d’espèces (ce que l’on appelle du « cash »
dans les pays anglo-saxons)
Q. Et la seule banque qui peut créer ce « cash », c’est la
Banque Centrale !
Oui. Supposons donc que la banque
concernée veuille disposer de 12 milliards d’argent liquide, disons en billets
– l’importance des pièces étant assez marginale (de l’ordre de 1% de la valeur
des billets) et ne changeant pas vraiment le principe.
Deux cas sont possibles à ce
niveau.
Soit la banque possède un compte
à la Banque Centrale bien « garni », et son compte
« scriptural » sera diminué de 12 milliards, son compte en espèces
sera augmenté de 12 milliards.
Q. Dans ce cas, il n’y a donc pas de création monétaire ?
Tout à fait. Le bilan de la
banque centrale a changé de composition, ainsi que celui de la banque
commerciale concernée dont une partie des actifs financiers va être remplacée,
pour un montant équivalent, par ces 12 milliards de liquidités, de
« billets ». Mais les totaux
de leurs bilans respectifs n’ont pas changé.
Q. Et le deuxième cas ?
Il se produit quand la banque
commerciale ne dispose pas d’un compte suffisamment important à la banque
centrale, pour diverses raisons que nous n’aborderons pas ici. Supposons donc
qu’elle ait besoin de se « recapitaliser » de 12 milliards, peu
importe que ce soit en billets ou simplement en « monnaie
scripturale » - ou encore par une combinaison des deux. (auprès d’autres
banques ?)
Ce cas est très voisin du premier
cas, pour lequel l’État avait emprunté 75 milliards contre une reconnaissance
de dettes de 75milliards, au montant près. La banque commerciale va en effet emprunter
12 milliards à la banque centrale, son passif va augmenter de 12 milliards, de
même que son actif. Il y a effectivement là aussi création monétaire.
Q. Mais, dans ce cas, la nouvelle monnaie sera de la monnaie
‘centrale’, pas de la monnaie ‘bancaire’ ?
Vous avez raison. Vu de
l’extérieur, cela ne change pas grand-chose, sinon bien sûr que la banque
centrale est la seule à pouvoir créer ce type de monnaie, que ce soit sous
forme de billets ou sous forme scripturale, monnaie qui fait partie de ce que
l’on appelle M0 (et qui en Juin 2015 se montait à 267 milliards) alors que les
comptes à vue (qui font partie de M1) se montaient à 711 milliards (le montant
de M1 valant, lui, 902 milliards, et M3, autre agrégat monétaire, à 1930
milliards)
Q. Comment alors savoir quand il y a réellement création monétaire ?
Il y a une règle très simple. Si
l’on regarde l’ensemble du système bancaire d’un pays donné, si le total des
bilans a changé, c’est qu’il y a eu création ou destruction monétaire. Si c’est
le seul total du bilan de la banque centrale qui a été modifié, il s’agit de
monnaie ‘centrale’. Dans le cas symétrique, (total de la banque centrale
inchangé), il s’agit de monnaie ‘bancaire’.
Q. Y a-t-il un lien entre monnaie bancaire et monnaie centrale ?
Oui, bien sûr, mais ce lien est
relativement élastique. Le rapport entre M1 et M0 a varié au cours des 15
dernières années entre 2.5 et 4, il valait en juin 2015 3.38, en mars 2016
était tombé à 2.534. Et les fluctuations entre M0 et M3 (qui contient pour sa
part, en plus de M1, les différents comptes à terme et autres créances, à
l’exception de l’épargne de l’assurance vie) sont elles aussi fort importantes.
Q. Une autre question si vous voulez bien, concernant la création de
monnaie centrale.
Oui.
Q. Pourquoi faut-il passer par des banques intermédiaires, les banques
commerciales, pour financer l’État lorsque ce dernier en a besoin ?
Les traités européens nous l’interdisent
formellement depuis Maastricht (article 104) et Lisbonne (article 123), et
cette interdiction était déjà en germe dans la loi de janvier 1973, dite aussi
loi Pompidou-Giscard.
L’État doit emprunter, soit sur
les marchés financiers, soit auprès de banques, en payant des intérêts parfois
importants, puisque l’on estime que sur les 2200 milliards de la dette publique
actuelle, près des ¾ n’existeraient pas si cette interdiction n’avait pas
existé.
Il est vrai qu’avec les taux d’intérêt
actuels, proches de zéro, l’endettement de l’état est moins pénalisant.
Q. Mais si jamais les taux remontaient …
Oui, avec nos emprunts actuels,
75 milliards de « nouvelle dette » et 150 milliards pour « faire
rouler » la dette, c’est-à-dire rembourser d’anciennes dettes que nous ne
pouvons pas rembourser directement, 1% d’intérêt de plus ce serait 2.25
milliards à trouver en supplément chaque année.
Q. Dernière question, que nous n’avons qu’esquissée. Pourquoi est-il
inquiétant de voir la dette publique augmenter chaque année ? Après tout,
en quoi est-ce dangereux de « faire rouler » la dette indéfiniment ?
Les créanciers, banques
commerciales, marchés financiers et autres agents économiques peuvent vouloir
rentrer un jour dans leur argent (même si, très souvent, cet argent a été créé
de toutes pièces). Tant que ces dettes perdurent, c’est une pression qui pèse
sur nous, sur la France, sur les contribuables, et donc sur notre avenir et celui
des générations à venir. Nous ne maîtrisons pas non plus, depuis 1973 et
surtout depuis Maastricht, les taux d’intérêt peuvent monter, et aggraver ainsi
la situation financière de la France.
Mais il y a plus grave encore,
car cela concerne la confiance que l’on peut accorder à notre monnaie,
confiance à la fois interne et externe. Une monnaie trop abondante, au sens où
elle ne correspond plus à une situation économique concrète, au travail réalisé
effectivement dans notre pays, à une production potentielle qui ne serait pas
réalisée ou qui ne trouverait pas d’acquéreurs, ne peut plus engendrer la même
confiance, celle dont parlait Aristote il y a 25 siècles, même si cette monnaie
a cours légal, donc forcé.
Sans confiance basée sur du
concret, aucune monnaie ne peut jouer pleinement son rôle, à savoir participer
au bien commun en tant qu’institution.
Q. Ce n’est donc pas la solidité du système bancaire qui compte le plus
dans ces questions monétaires ?
C’est ce que l’on essaye de nous
faire croire, mais la confiance dans la monnaie n’est qu’indirectement liée aux
banques. Ses fondements sont beaucoup plus subtils, et reposent, en dernière
analyse, sur le bien commun, alors que les banques, elles n’ont pas cet
objectif en tête, au moins prioritairement.
Le mécanisme de création
monétaire repose implicitement sur la solidité des « créances »
apportées en contrepartie des « liquidités » ou de la monnaie émise,
qu’elle soit bancaire ou centrale. Si ces créances perdent de leur valeur, la
monnaie suivra le même sort.
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