Le protectionnisme, vous n'y pensez pas!

 

Le protectionnisme serait contre-productif du fait de mesures de rétorsion!

(Bruno Lemaire, 25.08.2022, reprise et mise à jour d’un billet d’avril 2017)

En 2017, lors de la campagne présidentielle, les défenseurs d’un certain protectionnisme étaient traités d’inconscients, voire de stupides. Le libre-échange n’aurait que des avantages, et vouloir proposer certaines mesures protectionnistes serait la preuve d’une incompétence notoire en Economie. Cinq ans plus tard, la compétence de notre indéboulonnable ministre de l’économie ne nous semble pourtant pas évidente. Le même mantra demeure pourtant : «  hors du libre échange (qu’il ne faudrait sans douter appliquer qu’à la France) il n’y aurait point de salut », et vouloir se défendre raisonnablement, non seulement serait interdit, mais serait contre-productif, vu les mesures de rétorsion que d’autres pays mettraient en œuvre.

Cela étant, partons des faits.

En 2021, la zone euro a enregistré un excédent commercial de 128,4 milliards d’euros, d’après l’institut européen de statistiques Eurostat. Les pays présentant le plus fort excédent sont l’Irlande (60.3 milliards d’euros), les Pays-Bas (66.5 milliards) et l’Allemagne (179 milliards). La France, au contraire, présente le plus important déficit commercial de la zone euro, à savoir 84.7 milliards, que l’on peut juger comparable, vu l’inflation sur 10 ans, au déficit commercial de 2011.

En ce qui concerne l’évolution du déficit commercial français, résumée par un tableau élaboré par l’IFRAP, on ne peut pas dire que la pente qu’elle suit soit enthousiasmante.

Et il faudrait ne pas réagir, comme si,  dans l’union Européenne, l’ADN économique de certains pays les conduirait à avoir un commerce extérieur florissant, l’ADN d’autres pays, comme la France, serait de mauvaise qualité, ou la France aurait un mauvais karma, et ce , bizarrement, depuis 2003 ou 2004, quelques mois après la véritable prise en compte de l’euro comme monnaie ‘unique’ (en fait c’est une monnaie commune, mais peu importe ici)

En fait, les mêmes arguments anti-protectionnisme, ou plutôt la même absence d’arguments, ressortent systématiquement. Le libre-échange, ce serait le progrès (sauf pour la France, apparemment, qui est passée de deuxième puissance exportatrice européenne à la cinquième, et qui n’est plus la première nation européenne en termes de production agricole, devancée par les Pays bas, à la superficie onze fois plus petite) . On prévoit d’ailleurs, toujours au sujet de la filière agro-alimentaire, que la France sera bientôt déficitaire dans cette branche

Oui, vraiment :  de qui se moque t-on ?

Je ne vais pas revenir, ici, sur le fait qu’il est de bon ton de confondre, une réalité historique, géographique, politique, avec une institution, l’Union Européenne, ou une zone monétaire, l’Eurozone. C’est sans doute les mêmes, vendus à la ‘cause républicaine’ « droits de l’hommiste »,  qui feignent de confondre la république française avec la France, alors que la République n’est qu’une forme, sans doute très louable, d’institution, et que la France ne peut être réduite à la république.

Mais il y a encore plus gros, encore plus manipulatoire : prétendre que le protectionnisme serait interdit sous prétexte qu’il y aurait des mesures de rétorsion qui seraient encore plus dommageables pour le pays qui se risquerait à tenter d’équilibrer ses échanges avec l’extérieur par des droits de douane ou des droits à importer.

Dès lors que la France, hélas, importe plus qu’elle n’exporte, le déficit de son solde commercial, valant en moyenne 55 milliards, en  oscillant depuis plus de 15 ans entre 30 et 85 milliards d’euros (alors que ce solde était excédentaire au lancement de l’euro), on voit mal qui a le plus intérêt à adopter des mesures de rétorsion, le « vendeur », assimilé ici au monde extérieur, ou le client, c’est-à-dire la France.

Raisonnons en effet par l’absurde, en feignant d’imaginer une France coupée du monde, alors que notre proposition serait seulement de  contrôler les frontières, comme la Suisse ou de nombreux autres pays, pas les fermer. C’est évidemment le reste du monde qui perdrait cette moyenne de 55 milliards (près de 86 en 2021), pas la France.

Plus précisément encore, quand la Suisse, tout petit pays par sa superficie et sa population, comparé à la France, met des droits de douane, personne ne s’insurge en disant qu’il faut la punir. Même chose quand Trump incitait ses industriels à ne pas délocaliser. Mais, pour la France, ce serait une catastrophe de chercher à se protéger, alors qu’elle ne ferait que respecter l’esprit de la charte de l’ONU de 1948, la charte dite de la Havane, qui affirmait que pour prévenir les guerres économiques, qui finissent souvent, hélas, par déboucher en guerre véritable, plus ou moins larvée, il fallait tout faire pour équilibrer les échanges entre nations indépendantes.

Et c’est justement ce qu’il conviendrait de faire, ce que j’ai rappelé dans le premier chapitre de Ce que tout politique doit connaître - Bruno LEMAIRE (thebookedition.com) Utiliser des mesures de protectionnisme raisonné comme la création de droits à importer ou encore la récupération différenciée de la la TVA entre importateurs et producteurs locaux. Le localisme, c’est-à-dire produire le plus près du consommateur, cela peut aussi permettre cela, à savoir réduire la dépendance de la France envers l’extérieur de son territoire, tout en diminuant ses importations.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Déficit commercial et dettes, qui s’en soucie vraiment

Ce que nous dit l'évolution du bilan de la BdF sur le quoiqu'il en coûte

Des dettes indexées sur l’inflation!