Une création monétaire débridée au service des banques et ... des plus riches, mais pas à celui de l'économie
Les statistiques monétaires en disent parfois beaucoup, si l’on prend la peine de les analyser !
Par Bruno Lemaire, ancien doyen associé d’HEC, conseiller communautaire
FN à Perpignan
Mon intérêt pour les chiffres, en
tant que ci-devant matheux, ne m’a jamais vraiment quitté, même si la politique
et l’économie m’en avaient parfois éloigné. Il est vrai aussi que quantité d’experts économistes négligent
totalement les données - n’est pas Maurice Allais qui veut - surtout lorsqu’il
s’agit de données monétaires. Comme si les théoriciens orthodoxes, à la suite
peut être de Friedman, avaient décidé que les questions monétaires étaient sans
intérêt, un simple voile (ou un
édredon) cachant les réalités profondes de l’économie physique
Quelle erreur ! La monnaie n’aurait
peut-être aucun intérêt (dans tous les sens du mot) si l’économie se comportait
comme les théoriciens orthodoxes – qui représentent 90% de la profession - le
voudraient : à savoir suivant le
modèle néo ou néo-néo-classique, un modèle d’équilibre général
éventuellement mâtiné d’anticipations « rationnelles », dans lequel l’avenir serait écrit,
comme dans la vision laplacienne du monde. Mais, sans même faire référence à l’imprévisibilité
« irrationnelle » de Trump, ou aux innovations numériques, par
essence imprévisibles, comment croire que l’avenir est déjà en germe dans le
présent, et qu’il suffirait de le décoder.
Comment peut-on penser que les
décisions, bonnes ou mauvaises, d’un Mario Draghi, d’un Trump, d’un Poutine,
voire d’un Macron, n’auront aucune
influence sur l’avenir !
Il en est ainsi des décisions
monétaires, dont l’impact sur la
Bourse, sur la situation des banques, et aussi, hélas, sur l’économie réelle
est très loin d’être négligeable.
Pour illustrer cet impact, et ses
conséquences, pas toujours anticipées, nous allons prendre ici deux statistiques,
portant l’une sur l’évolution de la « monnaie
centrale » (l’argent que crée directement la banque de France, dans le
cas de la France, ce serait la BCE pour l’Union Monétaire européenne, ou « zone
euro ») l’autre sur les billets (en euros) mis à la disposition des « agents
économiques » français. Bien entendu, les billets font partie de la
monnaie centrale, mais la partie purement scripturale, de plus en plus
numérisée ou numérique, est devenue de plus en plus importante au cours des
années.
Venons en donc aux chiffres. En
mars 2014, la monnaie centrale, ou base monétaire, que nous noterons M0, était
de 221.6 milliards d’euros, les
billets en circulation en représentant 180
milliards, pour une différence relativement faible de 41,6 milliards.
En mars 2015, M0 n’avait pas augmenté
démesurément, et se montait à 235.2
milliards, contre 188.1
milliards pour les billets, pour une différence de 47.1 milliards.
En mars 2016, la base monétaire
commence à exploser, alors que la masse des billets augment assez peu. 384.4 milliards pour M0, 192.9
milliards seulement pour les billets, soit une différence passée de 47.1
milliards à 191.5 milliards (presque un quadruplement). Mario Draghi et ses « mesures non conventionnelles »
étaient passés par là, Macron étant ministre de l’économie, par ailleurs.
Cet argent « central »
n’est pas perdu pour tout le monde. Le bilan
des banques commerciales se regonfle (les chiffres du bilan de la banque de
France l’indiquent clairement) et la Bourse suit le mouvement, au moment même
où l’on explique au « petit peuple » qu’il faudra bientôt se passer d’argent
liquide.
La dernière année du mandat de
Hollande ne modifie pas la donne (il est vrai que l’influence de la France sur
les décisions de la BCE est plus que limitée, hélas). M0 va atteindre en mars
2017 le niveau de 540.2 milliards,
soit une augmentation supplémentaire de 156 milliards, la masse des billets se
montant à 209.8 milliards, correspondant à une augmentation de 18.3 milliards, 17 fois plus faible que celle de M0.
Les banques commerciales, dites
de second rang, en sont fort aises, le « petit peuple » et les PME ne
voient pourtant pas la couleur de cette masse d’argent frais. Tout cela pour
une stagnation de l’emploi et pour une croissance du PIB inférieure à 2%. Mais où donc est passée cette manne monétaire ?
Aucun expert médiatisé ne se pose vraiment la question. Il est vrai que pendant
la campagne présidentielle, aller au fond des choses n’est pas la priorité (et
ne l’est toujours pas en 2018)
Les derniers chiffres en ma
possession, ceux de mars 2018, ne changent pas la tendance, Macron ou pas
Macron. M0 a encore augmenté énormément, de 144.2 milliards d’euros (trois fois
la dette annoncée pour la SNCF) pour atteindre 684.4 milliards, soit plus de trois
fois son niveau d’il y a quatre ans, celui de mars 2014. La masse des
billets, elle, reste relativement modeste, en atteignant 215.6 milliards, ce qui correspond à une augmentation de 20% en 4 ans.(Rajout de septembre 2019: les billets représentaient 77% de la base monétaire début 2015, et n'en représentent plus que 32% en juillet 2019, 4 ans et demi après)
Nos experts auto-proclamés en
tireront peut-être des conclusions très différentes. Pour ma part, en utilisant
du simple bon sens, comment ne pas en déduire que l’argent créé par la Banque
de France, conformément aux souhaits de la BCE et de l’U.E., a servi essentiellement
à recapitaliser les banques et à rendre
plus riches encore les déjà très riches et les spéculateurs, alors que les
travailleurs pauvres et « ceux qui ne sont rien » n’ont pas vu grand-chose
de ces « largesses ». Va-t-on laisser
le monde aller ainsi, au moment même où un commissaire européen vient de
dire que c’était au marché de dire aux italiens, et plus généralement aux
peuples européens, comment il fallait voter ?
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