Echanges commerciaux avec une monnaie commune

 

Les échanges commerciaux dans une zone ayant une monnaie commune, comme l’euro.  (par Bruno Lemaire, économiste, ancien doyen associé d'HEC)

L’euro, monnaie commune de l’union européenne monétaire, a une particularité. Les échanges internes à un même pays de l’U.E.M. sont libellés en euros, ainsi que les échanges entre deux pays différents, dès lors qu’ils appartiennent à l’union européenne monétaire. Et, pourtant, cette monnaie n’est pas une monnaie unique, mais une monnaie commune. De fait chaque pays de cette U.E.M. a sa propre banque centrale, pour la France c’est la Banque de France, pour l’Allemagne c’est la Bundesbank, pour l’Espagne c’est Banco de España, etc.  Si l’euro était une monnaie unique, et pas une monnaie commune, il n’y aurait qu’une unique banque centrale pour l’ensemble des pays de l’U.E.M., ce qui n’est pas le cas.

Alors, certes, on peut ne pas voir de différence entre l’euro français et l’euro allemand. Et pourtant, c’est bien le cas. C’est cette distinction qui implique que les échanges entre une banque commerciale française et une banque commerciale allemande soient d’abord filtrés par les banques centrales respectives, celle de la France et celle de l’Allemagne, avant qu’il y ait « compensation » de ces échanges par l’intermédiaire de la BCE, Banque Centrale Européenne.

C’est ainsi que, de la même façon que l’euro français n’est pas identique à l’euro allemand, il ne viendrait à l’idée de personne de penser que la monnaie gérée par le Crédit Agricole, que l’on pourrait appeler « monnaie C.A. » est la même  que la monnaie gérée par la BNP, ou « monnaie BNP ». Lorsqu’il y a des échanges « domestiques » entre un client CA et un client BNP, les échanges monétaires sont compensés par la Banque Centrale française, la Banque de France.

La « monnaie CA »  a certes le même nom que la « monnaie BNP », et semble avoir la même parité. Il y a bien un mécanisme de compensation au niveau de la banque de France. Les comptes « monnaie centrale en euro français » diminuent pour le CA et augmentent pour la BNP (s’il y a plus d’échanges vers la BNP que vers le C.A.).

Si ce déséquilibre persiste, la situation du Crédit Agricole peut se détériorer vis-à-vis de celle de la BNP. Dans ce cas, le Crédit Agricole peut avoir plus de mal à emprunter, et donc payer plus chers les éventuels crédits qu’elle solliciterait, soit auprès de la Banque de France, soit auprès des marchés financiers. De ce fait, les taux d’intérêt accordés par le Crédit Agricole risquent eux aussi de devenir plus élevés que ceux accordés par la BNP.

Ce peut être le début d’un mécanisme inquiétant pour le Crédit Agricole. De fait, lorsque dans le cadre du système bancaire français, l’ensemble des banques, comme aurait dit Keynes, ne marche pas au même pas, la situation peut se détériorer rapidement. D’où l’importance pour le Crédit Agricole, dans l’exemple présent, de s’efforcer d’attirer de nouveaux clients, afin que les échanges avec la banque concurrente, ici la BNP, restent équilibrés.

A un niveau international, c’est aussi ce qui se passe, cette fois-ci à l’intérieur du système bancaire européen, le SEBC, ou Système Européen de Banques Centrales.

Tant que les échanges monétaires, les « paiements scripturaux », ont lieu à l’intérieur d’un même pays, la compensation entre banques commerciales d’un même pays ne se voit qu’au niveau des comptes que chaque banque commerciale a auprès de sa propre banque centrale nationale, sa BCN ; la banque de France en France, la Banco de España en Espagne, etc.

En revanche, quand les flux monétaires sont transfrontières, par exemple de la France vers l’Allemagne (ce qui est plus fréquent que dans l’autre sens), les banques centrales des deux pays concernés, Banque de France et Bundesbank sont impliquées, et la compensation se fait aussi à un autre niveau, cette fois au niveau de la banque centrale européenne.

Le mécanisme, dont le principe est le même, fonctionne cependant légèrement différemment. On va parler ici du mécanisme TARGET2, qui se concrétise par le fait que les « liabilities TARGET», ou les « obligations TARGET » de la Banque de France vont augmenter sur les comptes de la BCE, tandis que les « assets » ou « actifs » TARGET de la Bundesbank vont eux augmenter du même montant.

Au niveau du SEBC, la somme algébrique des Assets et des Liabilitiés devrait être nulle, tout est fait pour cela, ce qui implique d’ailleurs, les comptables ayant toujours le dernier mot, que le solde TARGET de la BCE, au lieu d’être nul, comme il devrait l’être, et ce qu’il était au début des de la décennie précédente, est maintenant assez sérieusement négatif.

Il est vrai que les positions de certains pays évoluent assez vite, c’est le cas de la France, sont le solde était positif au printemps 2020, et dont la situation s’est fortement détériorée depuis, alors que l’Allemagne t le Luxembourg continuent à caracoler en tête. La situation du Luxembourg est encore plus remarquable quand on compare son solde Target, fortement positif, au bilan de sa banque (et aussi à son PIB, mais ceci est une autre histoire) : Les 9/10 du bilan de la banque centrale du Luxembourg sont constitués de ce que les autres banques centrales de la zone euro lui devraient (à quelques bémols près)

Pour la France, dont le solde était très faiblement positif en juin 2020, il en va tout autrement. L’année 2022 l’a entrainée dans un cycle de plus en plus malsain, contrairement à deux autres pays, comme l’Irlande ou les Pays-Bas, avant de se redresser, très curieusement, en décembre 2022:


Si on regarde maintenant les dernières données en provenance, cette fois-ci, de la banque de France, on constate que la Banque de France, pour diminuer son « déficit Target » de 60 milliards fin 2022, a abaissé son bilan de 96 milliards en décembre 2022. Cette diminution a d’ailleurs été principalement obtenue, à son passif, en diminuant de 38 milliards la masse monétaire, tout  en diminuant, à son actif, la ligne de crédits octroyée aux IFM de plus de 115 milliards.

Cette restriction drastique de la masse monétaire et plus encore des crédits octroyés explique pour une bonne part la tension sur le marché immobilier, la plupart des crédits espérés étant maintenant refusés aux potentiels emprunteurs.

Bien entendu, ce ne sont pas ces mesures qui vont relancer l’économie française, même si l’on peut espérer que les tensions inflationnistes vont sans doute diminuer. Notons cependant que vu l’état de l’industrie française et du déficit commercial de la France, il est peu vraisemblable que le résultat soit autre qu’une stagflation. Et ce d’autant plus que l’exécutif français se refuse à sortir du marché européen de l’Energie, tout cela au nom d’une prétendue solidarité dans le cadre de l’Union Européenne, qui ne profite qu’aux Allemands, empêtrés eux-mêmes dans leur idéologie anti-nucléaire. Il est vrai que cette idéologie a permis aux Allemands de réduire à néant, par contagion, l’avantage concurrentiel que possédait la France grâce à son énergie électrique peu coûteuse à produire !

 Quoiqu’il en soit, vu le relatif faible « déficit Target », il semble évident que si la France le voulait vraiment, il serait assez simple de sortir de la monnaie commune, et d’avoir notre propre monnaie, sans conséquences néfastes pour notre économie. Mais en aurons-nous la volonté politique ?

Ecrit le 05/02/2023, par Bruno Lemaire, Ce que tout politique doit savoir en économie

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