CriseEuroPourLesNuls

La crise de l’Euro pour les nuls, par Bruno Lemaire, club Idées Nation

Q. Une monnaie unique, l’Euro, ce n’est pas si mal, pourquoi l’abandonner ?
Toute monnaie, par définition même, se veut ‘unique’ dans une zone donnée : le dollar US pour les USA, le dollar canadien pour le Canada, le yen pour le Japon, sont des monnaies uniques pour la zone ou le pays considéré. Le problème porte plus sur la zone elle-même que sur l’unicité de la monnaie.

Q. Que voulez-vous dire ?
Il n’existe pas une monnaie ‘unique’ pour la terre entière, même si le dollar a longtemps joué le rôle de monnaie dominante, et le joue encore. Et il est peu vraisemblable qu’à l’horizon d’une ou plusieurs générations on puisse avoir une même monnaie – autre dénomination d’une monnaie unique – pour notre planète.

Q. Si nous revenions à l’Europe. Une même monnaie en Europe, cela sonne bien, du moins beaucoup le pensent …
Attention, ne confondons pas : l’Euro, ce n’est pas l’Europe. L’Europe peut exister, a existé, et existera sans doute sans une monnaie unique, surtout lorsque celle-ci a été plus ou moins imposée, sinon complètement par idéologie, du moins avec un certain nombre d’arrière-pensées ne respectant pas nécessairement le bien commun et l’intérêt général.

Mais revenons à l’Euro, dont la construction, présentée parfois comme technique, est éminemment politique, puisque ses initiateurs avaient la vision d’une Europe super fédérale ouverte à tous les vents de la mondialisation, dans laquelle les différentes nations disparaîtraient, voire seraient broyées, dans ce super Etat.

Q. Et vous rejetez cette vision fédéraliste ?
Ce qu’il faut rejeter, c’est le manque de transparence dans cette tentative de mettre les peuples européens devant le fait accompli, sous prétexte qu’il faut gérer dans l’urgence une succession de crises, dont bon nombre ont d’ailleurs été causées par le super pouvoir des banques, et le manque de souveraineté monétaire des pays de cette union.

Bâtir une union monétaire sur des pays trop différents, sur le plan culturel, social, économique, voire politique est un rêve fou, qui s’est transformé en cauchemar pour la plupart des habitants de la zone Euro.

Certains ont pu croire que cela pouvait marcher, mais les faits sont là : cela a échoué, et a déjà coûté à la France – et donc à nos compatriotes - des centaines de milliards d’euros, sans compter les différentes mesures d’austérité qui ont été prises pour tenter de lutter contre les conséquences directes d’une « monnaie unique » inadaptée.

Q. Que faudrait-il faire alors ?
Etre pragmatique, et comprendre pourquoi l’instauration de l’Euro n’a pas marché, et repartir sur d’autres bases.

Q. Très bien. Mais, avant de voir ces nouvelles bases, pourquoi, d’après vous, l’Euro n’a pas fonctionné?
Les raisons en sont extrêmement simples, c’est du simple bon sens, seul l’aveuglement de nos élites et la pensée quasiment unique qu’elles s’efforcent de véhiculer ont tenté de camoufler plus ou moins bien ces raisons.
Pour l’expliquer, je vais prendre une comparaison avec une copropriété, en renvoyant le lecteur, s’il le souhaite, à des explications plus sophistiquées, telles qu’elles sont contenues, par exemple, dans l’excellent petit ouvrage du Professeur Vesperini, plutôt marqué à droite, ou encore de Jacques Sapir, censé être de gauche.

Q. La zone Euro, une copropriété ? Cela mérite quelques explications …
Prenons la situation fin 2001 : onze pays (plus la Grèce arrivée en dernier) vont constituer la zone Euro en 2002 : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal plus la Grèce.

Cette ‘eurozone’ comporte maintenant 17 pays, mais nous allons rester sur les 12 premiers « copropriétaires ». Imaginons donc une copropriété, composée de 12 maisons de taille différente, de standing différent, d’habitants – propriétaires ou locataires – différents, d’ensoleillement différent.

Le syndic unique, tricéphale, c’est la BCE, la Commission de Bruxelles, et, dans certains cas, le FMI. Bien entendu, le propriétaire le plus riche - il possède près de 30% de la copropriété - est le plus puissant, c’est l’Allemagne. Assez loin derrière, c’est la France, avec environ 21% de la copropriété.

Q. D’où viennent ces chiffres ?
Ils correspondent plus ou moins à l’importance respective des économies, telles qu’elles peuvent être mesurées par leur PIB respectif (la production de chaque pays) et par le pourcentage de capitaux mis dans la Banque Centrale Européenne. Disons que c’est un ordre de grandeur relativement réaliste.

Q. Et comment intervient cette monnaie unique dans ce contexte ?
Là encore, c’est très simple. Les prix au m2, qui étaient initialement estimés en monnaie nationale, ont été convertis dans un étalon commun, l’Euro.

Q. Pourquoi pas. Cela permet de comparer facilement les prix.
Vous avez raison. Cet étalonnage aurait pu – et avait été d’ailleurs – fait en utilisant simplement une « monnaie commune », l’ECU, mort en 1999 quand cet ECU a été remplacé par l’Euro, d’abord dans les transactions internationales puis, début 2002, dans les transactions courantes, avec l’apparition des pièces et billets. Mais l’essentiel n’est pas là.

Q. Et où est-il, alors ?
Si nous reprenons l’image de la copropriété, et en supposant que les prix initiaux au m2 aient été bien calculés (alors que l’on sait maintenant que certains pays, comme la Grèce, ont ‘trafiqué’ leurs comptes,…)

Q. « Aidés » en cela par une banque comme la Goldman Sachs, dont l’un des représentants dirige maintenant la BCE …
Effectivement. Mais en dehors même de ces comptes truqués, c’est la suite qui importe. Le fait d’avoir créé l’Euro implique que le prix au m2 évolue de la même façon dans chacune de ces 12 propriétés (17 maintenant).

Dit autrement, si le prix de la propriété allemande représentait 30% de l’ensemble, une monnaie unique exige que ce soit encore le cas onze ans après. Et ce, quelque soient les efforts réalisés, ou non réalisés, par chaque propriétaire pour embellir ou rénover ses propres biens.

Q. Et quels que soient aussi les locataires éventuels et le prix d’hébergement consenti aux éventuels locataires…
C’est évidemment cela le problème. La valeur de chaque copropriété va évoluer, et ce n’est pas en le niant que l’on va gérer le problème.
Certains copropriétaires consciencieux – ou chanceux – vont améliorer la valeur de son patrimoine, d’autres vont le laisser à l’abandon, alors que le syndic tricéphale – la troïka – va continuer à considérer que le prix décidé initialement doit rester le même, à l’inflation près, inflation considérée elle aussi comme identique pour chaque propriété, chaque pays.

Q. Je pense avoir compris. Mais si nous revenions à la situation réelle de la zone Euro …
Vous avez raison, comparaison n’est pas raison. Mais la métaphore de la copropriété a l’avantage de montrer que si des pays, initialement différents, ne « marchent pas au même pas », l’instauration d’une monnaie unique ne peut que se transformer en carcan insupportable. Et les chiffres le prouvent.

Q. Lesquels ?
Deux chiffres sont particulièrement éclairants, celui du solde commercial et celui de la croissance du PIB - très correlé avec celui du chômage.

Tout d’abord, le chiffre des échanges intra-zone euro. La plupart des pays de cette eurozone ont des échanges déficitaires, non seulement avec d’autres pays de la zone, mais aussi avec l’extérieur. Ainsi la France, dont le solde commercial avait toujours été positif pendant la décennie précédant l’instauration de l’euro, a vu son déficit commercial atteindre 70 milliards d’euros 10 ans après.

Son chômage, par ailleurs, a littéralement explosé, pour atteindre officiellement près de 11% en 2013, et sans doute beaucoup plus si on prend en compte les emplois à temps partiel et les emplois aidés.

Q. L’Allemagne, qui est pourtant dans la zone Euro, a vu ses excédents atteindre près de 170 milliards … Effectivement, l’instauration de la zone euro a profité à l’Allemagne, au détriment de ses voisins. Pour l’Allemagne, un Euro cher est plutôt une bénédiction, alors que c’est une malédiction pour la majorité de ses voisins. Les déficits accumulés à son égard par ses voisins risquent cependant de lui coûter cher un jour …

Q. Pourquoi cela ?
Une entreprise ne peut être prospère si ses clients s’appauvrissent continuellement et si les crédits qu’elle leur consent s’accumulent de plus en plus. Même si un pays n’est pas une entreprise, les dettes accumulées des pays importateurs vis-à-vis des pays exportateurs nets finiront par être insupportables, à la fois pour les créanciers et les débiteurs, pour des raisons différentes.

Q. On dit pourtant que l’Euro est une monnaie ‘forte’, sa valeur contre dollar, initialement de 1.17, fluctue actuellement largement au-dessus de 1.32 dollar.
Oui, après avoir baissé à un moment en dessous de 0,9 dollar. Mais un euro « cher » n’est pas nécessairement un euro « fort ». L’euro serait « fort » si le pouvoir d’achat des habitants de la zone euro avait beaucoup progressé. Ce n’est absolument pas le cas, puisque le pouvoir d’achat ‘interne’ des français a décliné les 6 dernières années.

On peut certes acheter plus de dollars actuellement qu’avec un euro ‘faible’, mais cela a peu de répercussion positive sur le panier de la ménagère française. Un euro dit fort, alors qu’il n’est que cher, rend plus difficile les exportations, et plus facile les importations, quand les prix des biens et services correspondant sont très sensibles aux prix.

Q. Mais quelles sont les raisons de cet euro ’cher’, ou ‘fort’ ?
J'en vois deux raisons principales, la politique monétaire de certains pays ou zones monétaires, et la puissance économique de l’Allemagne, le copropriétaire qui continue à améliorer sa compétitivité par rapport aux autres copropriétaires.

La valeur d’une monnaie étant relative, si la réserve fédérale des USA émet proportionnellement plus de monnaie que la BCE – qui ne s’en prive pourtant pas – la valeur du dollar va baisser contre l’euro, même chose si le Japon en fait autant : c’est que l’on appelle une politique monétaire accommodante, ou non conventionnelle, appelée aussi Q E (Quantitative Easing).

La Chine, elle, modifie arbitrairement et artificiellement la valeur de sa monnaie – plus ou moins inconvertible - pour pouvoir exporter plus facilement. Cet euro ‘cher’ ne gêne pas non plus l’Allemagne, bien au contraire, qui utilise ses « satellites » de l’Europe de l’Est pour pouvoir assembler à moindre coûts des biens marqués « made in Germany », qualité et organisation allemandes, coûts bulgares…

Ceci, joint à une demande intérieure assez faible, fait que les exportations allemandes n’ont jamais été aussi florissantes, et permet aux échanges entre l’eurozone, dominée par l’Allemagne, et le reste du monde d’être équilibrés, même avec un euro cher, ou ‘fort’.

L’avenir nous dira si cette eurozone, improbable et complètement instable, implosera ou explosera, ou sera maintenue sous perfusion quelques années encore à la fois par les méthodes ‘non conventionnelles’ (et fort douteuses même eu égard aux traités européens actuels) de la BCE.

En cas d’implosion ou d’explosion, faudra-t-il attendre que certains copropriétaires ruinés soient expulsés, ou que le plus puissant de ces copropriétaires vide ses collègues malheureux de leur force vitale, comme l’appel d’air fait actuellement par nombre d’entreprises allemandes en direction de jeunes diplômés espagnols semble l’indiquer?

Face aux pompes aspirantes d’une immigration sociale non choisie, l’Allemagne semble utiliser les pompes aspirantes économiques d’une immigration choisie. On peut donc comprendre que la copropriété allemande soit prospère et qu’elle n’ait pas spécialement envie de participer aux dépenses de ses collègues, plus malchanceux, plus accueillants ou moins regardants.

Commentaires

  1. Vendredi 18 octobre 2013 :

    Etats-Unis : la dette publique a dépassé son précédent plafond : 17 027 milliards de dollars.

    La dette publique des Etats-Unis a dépassé l'ancien plafond légal que le Congrès a accepté de suspendre mercredi au terme d'une intense crise politique, selon des données publiées vendredi par le Trésor américain.

    La dette accumulée par l'Etat fédéral américain atteignait jeudi 17.027 milliards de dollars, alors que la limite légale était précédemment fixée à près de 16.700 milliards de dollars, selon le dernier décompte publié sur le site du ministère.

    http://www.boursorama.com/actualites/etats-unis-la-dette-publique-a-depasse-son-precedent-plafond-fb3f9bfa14906b96da907c0a8d569259

    Le FMI vient de donner ses prévisions pour l'année 2014. Nous pouvons voir quels sont les dix premiers Etats qui vont se déclarer en défaut de paiement :

    1- Japon : dette publique de 242,3 % du PIB.

    2- Grèce : dette publique de 174 % du PIB.

    3- Italie : dette publique de 133,1 % du PIB.

    4- Portugal : dette publique de 125,3 % du PIB.

    5- Irlande : dette publique de 121 % du PIB.

    6- Etats-Unis : 107,3 % du PIB.

    7- Espagne : 99,1 % du PIB.

    8- Royaume-Uni : 95,3 % du PIB.

    9- France : 94,8 % du PIB.

    Le FMI ne parle pas de la Belgique. En mars 2013, la dette publique de la Belgique était de 104,5 % du PIB.

    http://www.imf.org/external/pubs/ft/fm/2013/02/pdf/fm1302.pdf

    RépondreSupprimer
  2. Mercredi 23 octobre 2013 : Eurostat publie les chiffres de la dette publique du deuxième trimestre 2013.

    La Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Irlande, la Belgique, Chypre, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni sont en faillite.

    La dette publique de ces Etats atteint des sommes inimaginables.

    La question est donc :

    « QUAND vont avoir lieu ces défauts de paiement ? »

    1- Médaille d’or : Grèce. Dette publique de 316,969 milliards d’euros, soit 169,1 % du PIB.

    2- Médaille d’argent : Italie. Dette publique de 2076,182 milliards d’euros, soit 133,3 % du PIB.

    3- Médaille de bronze : Portugal. Dette publique de 214,801 milliards d’euros, soit 131,3 % du PIB.

    4- Irlande : dette publique de 204,495 milliards d’euros, soit 125,7 % du PIB.

    5- Belgique : dette publique de 397,851 milliards d’euros, soit 105 % du PIB.

    6- Chypre : dette publique de 16,906 milliards d’euros, soit 98,3 % du PIB.

    7- France : dette publique de 1912,205 milliards d’euros, soit 93,5 % du PIB.

    8- Espagne : dette publique de 943,410 milliards d’euros, soit 92,3 % du PIB.

    9- Royaume-Uni : dette publique de 1422,213 milliards de livres sterling, soit 89,6 % du PIB.

    http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/2-23102013-AP/FR/2-23102013-AP-FR.PDF

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Déficit commercial et dettes, qui s’en soucie vraiment

Des dettes indexées sur l’inflation!

Quand la France roule ses dettes!