D'après le Monde, le retour au franc ne serait pas synonyme d’une souveraineté monétaire retrouvée. Quelle erreur!
En réponse à un chat entre abonnés du Monde et Marie
Charrel, journaliste.
B.Lemaire : Je me suis
permis de commenter ces échanges, vu les affirmations fallacieuses, et souvent ‘balancées’
sans véritable argumentaire, de Madame Charrel.
entretien-nymo : Lorsqu’on dit qu’un Frexit [la
sortie de la France de l’Union européenne] aurait des conséquences
incalculables, je comprends qu’on ne peut pas calculer. Car… combien ça vaut un
franc ? Qui le sait ? Cette monnaie a totalement disparu du marché des
changes. Comment Marine Le Pen parviendra-t-elle à « pricer » le
franc nouveau ? Sans parler des conséquences sur les taux, évidemment. Les
marchés nous attendent au tournant sur ce chapitre.
Marie Charrel : Le coût d’un retour au franc est en effet difficile à
estimer. Il est à peu près sûr que le nouveau franc se déprécierait face à
l’euro. Mais il est difficile de prédire de combien. Par ailleurs, il est
certain qu’une telle manœuvre inquiéterait les investisseurs étrangers, qui
détiennent plus de 60 % de notre dette publique. Même s’ils ne paniquaient
pas - ce qui serait tout de même probable -, ils réclameraient des taux plus
élevés pour acheter notre dette, ne serait-ce que pour compenser le risque que
représente l’adoption d’une nouvelle monnaie. En outre, les conséquences et la
contagion potentielle aux pays voisins sont difficiles à estimer.
Bruno Lemaire : Le passage à un franc nouveau se fera à parité 1 pour 1. La parité « normale »
du franc nouveau est à évaluer par rapport à un autre euro que l’actuel, l’euro
germain, ou germanique, que le FMI, l’OCDE et d’autres experts évaluent à 21%.
La dette resterait au même niveau exprimé en francNouveau
qu’en euro ancien (puisque 98% des contrats de dettes sont en droit français,
et donc libellés juridiquement en monnaie nationale, qui sera le francNouveau ).
Les créanciers étrangers ne seront sans doute pas contents, mais lorsque l’euro
contre dollar est passé de 1.5 à 1.07 la situation était encore pire. Pour les
créanciers « domestiques », aucun changement, sauf pour ceux qui
veulent aller faire du tourisme en Allemagne avec leurs économies.
En ce qui concerne l’éventuelle
contagion, tout le monde sait que la zone euro va éclater si la France la
quitte, ce qui donne d’autant plus de poids à la France « mariniste »
pour discuter d’égal à égal avec Bruxelles et l’Union Européenne.
-mouton irlandais : Une sortie de l’euro avec une
dévaluation du « franc » n’aurait-elle pas pour conséquence
l’augmentation de tous les produits importés comme l’essence, le textile,
l’informatique ? Si oui, n’est-ce pas les plus petits revenus qui seraient
le plus touchés ?
Marie Charrel : Oui. Une dévaluation entraînerait l’augmentation du
prix des produits importés, mais aussi de tous les composants entrant dans la
fabrication des biens produits en France (le coton pour les vêtements, par
exemple). Les ménages à bas revenu seraient les plus affectés. En outre,
l’inflation sera plus forte encore si le FN impose également, dans le cadre de
son programme protectionniste, des taxes à l’importation.
Bruno Lemaire : Le passage à un franc nouveau a justement pour but de rendre les
importations venues d’Allemagne plus chères, et de renverser en notre faveur
notre solde commercial, qui passerait vis-à-vis de l’Allemagne d’un déficit de
20 milliards à un excédent de 20 milliards. (Voir les travaux de Jacques Sapir ainsi
que mon billet sur la question)
Les produits allemands reviendront
donc plus cher, ce qui pourra donc permettre à nos propres fabricants de
relever la tête et de redevenir compétitifs. Quant aux produits venus de
certains pays d’avis, des mesures protectionnistes ciblées, correspondant à ce
que Marine Le Pen avait appelé des écluses commerciales, lutteront contre la
concurrence déloyale que nous dénonçons depuis des années On peut estimer une
conséquence inflationniste à 2 ou 3%, mais largement compensée par une
augmentation de notre production intérieure nationale, et donc à une hausse de
l’emploi national, et donc à une baisse des mesures destinées aux chômeurs.
-vesuvio : Le FN prévoit de permettre à la Banque de France de
prêter à l’État à taux zéro, donc en imprimant de la monnaie avec une inflation
galopante alimentée également par la baisse du franc. Là aussi, personne n’en
parle… Pourquoi ?
Marie Charrel : Oui. Le FN explique que pour se passer des emprunts
sur les marchés, il suffirait que la Banque de France fasse tourner la planche
à billets pour prêter directement à l’État. Mais cette augmentation de la
quantité de monnaie en circulation générerait mécaniquement de l’inflation. Là
aussi, le FN explique que, face aux tensions déflationnistes, une hausse des
prix ne serait pas si dramatique. Peut-être. L’ennui, expliquent par exemple
les économistes du Centre d’études prospectives et d’informations
internationales, c’est qu’une fois que l’inflation s’emballe, elle est très
difficile à maîtriser.
Bruno Lemaire : La France des Trente Glorieuses a très bien résisté à une forte inflation,
dépassant souvent 10%, puisque cette France-là avait presque rattrapé l’Allemagne,
et dépassé le Royaume Uni. Il s’agit ici, pour Marine Le Pen, de permettre une
inflation modérée, de l’ordre de 3 à 4%. Et permettre à la Banque de France de
financer notre économie et donc d’émettre de la nouvelle monnaie ne signifie
absolument pas que cela va conduire à une gigantesque inflation. Sinon,
pourquoi la « planche à billets » de la BCE utilisée sans restriction
par Mario Draghi n’aurait pas conduit au même résultat pour l’U.E. toute
entière. C’est donc un bien mauvais procès que l’on fait là encore à Marine Le
Pen sur ce point.
-Adrien : Le Royaume-uni a franchi le pas sans que son économie
s’effondre (pour l’instant). Ne dramatise-t-on pas un peu trop les dangers
d’une éventuelle sortie de l’euro ?
Marie Charrel : Il est d’abord important de
souligner que le Royaume-uni projette de quitter l’Union européenne, et non la
zone euro. Le pays n’a pas adopté l’euro et le Brexit n’impliquera donc pas un
changement de devise : c’est très différent, et peu comparable. L’argument
de l’exagération des coûts d’une sortie de l’euro est souvent avancé. Il faut
être très clair sur ce point : personne n’est capable de chiffrer
clairement ces coûts. Mais personne n’est capable non plus de chiffrer
clairement les gains d’un retour au franc. Les deux sont probablement
surestimés. Mais une chose est sûre : le retour au franc ne serait pas
synonyme d’une souveraineté monétaire retrouvée. La Banque de France devrait
consacrer beaucoup de temps et d’énergie à protéger le franc contre les
attaques spéculatives. Ce n’est pas exactement la liberté promise par le FN.
Bruno Lemaire : Cette affirmation, agitée aussi dans le titre « le retour au franc ne serait pas
synonyme d’une souveraineté monétaire retrouvée » n’est absolument pas argumentée, et complètement fallacieuse. Une souveraineté
monétaire existe, dès lors que le pays concerné a sa propre monnaie. Madame
Charrel confond (à son insu de son plein gré) deux choses différentes, souveraineté monétaire et souveraineté
économique. Oui, il faudra aussi se battre pour que la France ait sa
souveraineté économique, mais qui n’est pas possible sans souveraineté
monétaire.
-Frederichlist : Nombre d’économistes s’accordent
aujourd’hui sur le fait que l’euro est un échec cuisant qui conduit à une
faible croissance et à une concentration de la richesse et de l’industrie
autour de la zone allemande de l’Europe : des Prix Nobel, Joseph Stiglitz,
des souverainistes comme Jacques Sapir, des modérés comme Patrick Artus dans
son dernier livre ou des libéraux comme Christian Saint-Etienne. Le plus simple
ne serait-il pas d’admettre qu’on ne peut continuer ainsi, qu’il faut bel et
bien sortir de l’euro en échafaudant un plan de sortie avec contrôle des
capitaux et négociations entre Etats, plutôt que de persister dans l’erreur en
expliquant aux gens que l’apocalypse nous attend et qu’ils se trompent en
souhaitant le retour au franc ?
Marie Charrel : C’est toute la difficulté de ce sujet. Il y a en effet
consensus pour dire que la zone euro présente d’importantes failles
institutionnelles. Mais la solution est-elle de quitter l’euro, ou de
travailler à améliorer enfin l’union monétaire, en mettant en place les
mécanismes de solidarité qui lui manquent ? Les points de vue divergent
sur le sujet, mais il est important de comprendre que revenir au franc ne
réglerait pas tous nos problèmes d’un coup de baguette magique. Nos principaux
partenaires commerciaux sont nos voisins. Revenir au franc signifierait que
nous ré-engagerions une guerre des monnaies avec eux. Le franc serait une
petite devise qu’il faudrait défendre face au dollar, au yen ou au yuan…
L’autre option est de se retrousser les manches et de bâtir enfin une zone euro
solide et solidaire. C’est d’ailleurs ce qu’explique Joseph Stiglitz dans son
ouvrage sur l’euro. Il ne préconise une sortie de l’euro qu’en cas d’échec de
ce travail.
Bruno Lemaire : Argumentation bien faible qui se résume à celle-ci. L’euro est sans (aucun ?) doute
un échec, mais on ne sait pas comment en
sortir dignement, donc il faut continuer. On est dans un schéma reconnu perdant,
qui n’aurait fonctionné que si les économies européennes avaient convergé. Elles
ont au contraire divergé. Alors il faut continuer avec l’euro, à la schlague s’il
le faut, car en sortir présente des risques ! Lesquels, on ne sait pas.
-Bonjour : Est-ce que l’euro et l’UE pourraient résister à une
sortie de la France ?
Marie Charrel : On peut en douter. La France et l’Allemagne
sont le couple fondateur de l’UE et de la zone euro. L’édifice tiendrait-il si
la France claquait la porte ? Peu probable. L’euro perdrait en crédibilité
et en attrait. Les investisseurs s’en détourneraient. Les taux d’emprunt grimperaient.
Les pays membres auraient-ils envie de rester dans le navire, ou de reprendre
eux aussi leur propre devise ? Face à la spéculation, auraient-ils le
choix ?
Bruno Lemaire : Enfin une vérité absolue. Oui, si la France quitte l’Eurozone, cette zone n’y survivrait sans doute
pas. Et alors ? Cela montre qu’avec un véritable volonté politique, la France
de Marine Le Pen et du peuple français peut obtenir beaucoup de concessions de
l’Union européenne, et c’est cela qui inquiète « nos » technocrates
non élus de Bruxelles et de Francfort.
-Gregory : Si le Front national emporte l’élection, n’avons-nous
pas intérêt à cacher de l’euro en liquide sous nos matelas ?
Marie Charrel : Il est en effet probable qu’en cas de victoire de
Marine Le Pen à la présidentielle, et avant même de connaître le résultat des
législatives, les épargnants et les entreprises commencent à s’inquiéter à
l’idée d’un retour au franc. Au printemps 2015, lorsqu’une possibilité de
sortie de la Grèce de la zone euro existait, beaucoup de Grecs (particuliers et
entreprises) ont placé leurs économies à l’étranger pour en protéger la valeur.
D’autres ont également retiré un maximum d’euros en liquide, conscients qu’en
cas de retour à la drachme, leur épargne perdrait de sa valeur. Cette
« fuite des dépôts » fut si massive qu’elle a contraint le
gouvernement grec à instaurer un contrôle des capitaux, afin de stopper
l’hémorragie.
Bruno Lemaire : Marine Le Pen, dès 2011, avait comparé la situation de la Grèce à celle,
future, de la France, au moins au niveau de l’accroissement des dettes
publiques. Mais, heureusement, la puissance économique de la France n’a rien à
voir avec celle de la Grèce, et la volonté politique de Marine Le Pen n’a non plus rien
à voir avec celle de Tsipras. Marine Le Pen voudra et pourra imposer sa vision
à l’Union européenne, avec l’aide de ses alliés dans nombre de pays européens,
ce que n’a pu ni voulu faire Tsipras.
-Clément : Le problème ne vient-il pas plutôt des politiques
monétaires ? Pourquoi ne pas proposer de les changer plutôt que de mettre
fin à la monnaie unique ?
Marie Charrel : Les principales critiques sur la zone euro portent
sur les politiques de rigueur imposées ces dernières années aux pays membres
fragilisés. Cela relève donc des politiques budgétaires. La politique monétaire
de la Banque centrale européenne (BCE), elle, est très accommodante depuis
2015 : elle rachète 80 milliards d’euros de dettes essentiellement
publiques tous les mois. Grâce à cela, les Etats membres se financent à très
bas coût. S’il y a des améliorations à apporter à la zone euro, c’est donc
plutôt du côté du budgétaire, avec plus d’investissements d’avenir, mais aussi,
du côté de ses institutions. Beaucoup de procédures sont trop complexes en zone
euro, et c’est regrettable. Les simplifier, renforcer la solidarité… Tous ces
chantiers ne sont pas inaccessibles. Il ne tient qu’aux gouvernements de
s’asseoir autour de la table pour les entamer. Le seul ingrédient indispensable
est la volonté politique. Mais souvent, il paraît bien plus facile aux
dirigeants de blâmer l’Europe et Bruxelles, plutôt que de prendre leur
responsabilité.
Bruno Lemaire : Là encore Madame Charrel répond à côté, et idéologiquement, en laissant
cependant apparaitre une vérité, à savoir celle de la nécessité d’une souveraineté
budgétaire, si l’on veut vraiment être indépendant. Oui une France indépendante,
comme tout état-nation, a besoin de ses
quatre souverainetés : monétaire, budgétaire, territoriale et
législative. C’est justement le projet de Marine le Pen pour la France, soutenue par le Front
National et tous les patriotes.
-Hugo Bellenger : Rejeter la faute sur l’euro
concernant nos problèmes économiques n’est-il pas facile lorsque l’on a des
ambitions électorales ?
Marie Charrel : Oui. En période de campagne (mais
pas seulement), il est toujours plus facile de pointer du doigt une monnaie et
des institutions désincarnées, comme celles de Bruxelles. Cela ne veut pas dire
que tout va bien dans la zone euro, loin de là. Mais prenons l’un des problèmes
clés de notre économie, à savoir, le taux de chômage élevé des jeunes sortant
sans qualification du système scolaire. Cela n’a rien à voir avec l’euro. Tout
comme les dysfonctionnements de notre système de formation professionnelle, ou
la trop grande dualité de notre marché du travail, opposant emplois précaires
aux CDI…
Bruno Lemaire : Tous les défauts de l’U.E. actuelle ne reposent certes pas sur l’Euro. C’est
bien pour cela que nos trois piliers
économiques sont : monnaie nationale, produire français et protectionnisme
intelligent, trois piliers refusés par l’U.E. actuelle, car ils exigent que la France
retrouve les quatre souverainetés
évoquées plus haut.
-Frederichlist : Vous expliquez qu’une solution pour
sauver l’euro consisterait à mettre en place des politiques
« solidaires » de type fédéraliste. Celles-ci nécessiteront des
transferts budgétaires massifs entre Etats. Les Etats rhénans ne l’accepteront
jamais, de l’avis de presque tous les observateurs. En attendant, les autres
pays se désindustrialisent et nourrissent logiquement de la rancœur envers
l’Europe. En outre, les citoyens de la majorité des Etats sont fondamentalement
opposés à tout approfondissement du projet européen. Faudrait-il alors prendre
des décisions qui iraient contre l’avis des électeurs ?
Marie Charrel : Il y a énormément de travaux et propositions sur le
sujet. Ils suggèrent d’abord que solidaire ne veut pas forcément dire « transferts
massifs entre Etats ». On pourrait imaginer, par exemple, que l’UE ait
un budget propre un peu plus conséquent, par exemple lié à la taxe carbone,
permettant de financer des investissements d’avenir dont tout le monde
profiterait, et qui permettrait à l’UE d’être à la pointe sur les technologies
porteuses (transition énergétique, etc.). Par ailleurs, il ne faut pas
caricaturer la position des Allemands. Si les règles sont claires, ils ne sont
pas opposés à plus de solidarité. Surtout : il est bien sûr inimaginable
que cela se fasse contre l’avis des peuples. Cela suppose donc plus de
transparence, plus d’implication des parlements nationaux, plus de pédagogie…
Bruno Lemaire : À une bonne
question, Madame Charrel répond fallacieusement. Oui, pour sauver l’euro (mais
pourquoi faudrait-il le faire) il faudrait que l’Allemagne y consacre 7 à 8% de
son PIB – et donc plus que son excédent commercial- pendant des années. C’est d’ailleurs
ce qu’avait anticipé les rédacteurs de la Charte de la Havane, dans le cadre de
l’ONU originelle, en 1946-48, avant que cette charte ne soit mise aux
oubliettes. Ce n’est pas ce chemin que l’on envisage à Bruxelles, à Francfort
ou à Berlin.
-Adrien - Etudiant en… : La sortie de l’euro pourrait-elle
nous permettre de renégocier notre dette envers la BCE ?
Marie Charrel : Le sujet de la dette est important,
mais la BCE n’est pas, ici, le sujet clé. Imaginons que nous convertissions
notre dette en franc. C’est possible. Elle est aujourd’hui détenue à 60 %
par des investisseurs étrangers. Que feraient-ils ? Accepteraient-ils que
nous renégocions notre dette pour en rembourser moins ? Peu probable - ils
auraient beaucoup à perdre. Dans le plus optimiste des scénarios, ils
exigeraient des taux plus élevés pour prêter à nouveau à l’Etat français. Par
ailleurs, il ne faut pas oublier que l’épargne des Français est pour bonne
partie composée de titres de dette française. Si celle-ci est renégociée,
l’épargne serait donc pénalisée elle aussi.
Bruno Lemaire : Madame Charrel répond là encore à côté. La question d’Adrien est pourtant
subtile – mais c’est peut-être pour cela qu’elle n’y répond pas. Si la France de
Marine Le Pen montre qu’elle est en position de force, bien des portes s’ouvriront,
car les financiers ne pensent qu’à une chose, assez naturelle hélas, à leur
profit, de court moyen terme. Ils ont donc intérêt à ce que la France se porte
bien, si elle a décidé qu’elle se porterait mieux hors de l’U.E.
(B.L. Fin de mes commentaires de ce chat)
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