Euro et monnaie commune: la désinformation en plein délire



Une monnaie commune est-elle une monnaie : oui et non, cela dépend !
(mais il n'y a , quoiqu'il en soit, qu'une seule monnaie dans un pays donné)
 
Par Bruno Lemaire, économiste, club Idées Nation

J’ai été assez surpris par l'humble position du professeur Agnès Benassy, qui avoue ce soir sur BFM Business qu’elle ne sait pas ce qu’est une monnaie commune.

Au lieu de la renvoyer à mon billet précédent, je vais prendre deux cas, celui de la Turquie qui échange avec l’Inde, et le cas de la France qui échange avec l’Allemagne.

Dans ces deux cas, chacun (et chacune dirait l’ineffable Macron) paye avec sa propre monnaie, qu’il achète un bien fabriqué localement ou à l’étranger. En Inde c’est la roupie, en Turquie, la « Türk lirası » (merci Google), en France et en Allemagne, pour le moment, c’est l’euro, monnaie de la zone euro, comme si la France et l’Allemagne étaient, sur ce point, le même pays.

Traitons d'abord le cas Turquie-Inde, le plus 'complexe'. Même si chacun paye en sa propre monnaie, pour tous les échanges internationaux, il faut bien que le turc supposé exportateur soit payé en sa propre monnaie, l’importateur indien doit alors se procurer de la "lira" contre des « roupies ». Il faut donc une conversion, qui se traduira in fine par le fait que l’exportateur turc se sera enrichi de liras, ou plutôt de roupies converties, et que l’importateur indien se sera appauvri en roupies ou plutôt en liras converties.

L’accord de change peut se passer de diverses manières, soit par l’intermédiaire d’un marché des changes, alimenté et alimentant en dernier ressort les banques nationales de Turquie et d’Inde, soit en utilisant éventuellement une monnaie intermédiaire, une ‘vraie’ monnaie, qui pouvait être le dollar même si deux pays semblent avoir décidé de ne plus l’utiliser.

Il n’y a donc pas nécessairement une monnaie commune existant réellement pour que deux pays puissent échanger, il faut simplement qu’il y ait des accords internationaux. On pourrait imaginer une banque centrale intermédiaire, une banque de compensation, qui gère les flux financiers, mais cette banque peut même n’être que virtuelle, et correspondre à un simple système informatique de type Target. De fait, une « monnaie commune » peut ne pas être une véritable monnaie, elle peut n’être qu’un étalon, une unité de compte. Appelons là, par exemple, une roupie-lira.

Les deux pays concernés, Turquie et Inde, peuvent décider que cet étalon sera basé sur un taux de change fixe sur une certaine période, mais ajustable tous les ans, par exemple, en fonction de l’évolution des échanges commerciaux entre eux.

Cette roupie-lira, si elle est simplement fondée sur une convention politique et technique, n’a aucune raison d’être disponible sur un marché quelconque. Dans ce cas, aucune spéculation ne pourra se produire sur le marché de la roupie-lira, puisque ce marché n’existera pas. La monnaie commune, qui n’est pas une monnaie, la roupie-lira, ne sera qu’un artifice de calcul.

Un autre choix aurait pu être décidé : se passer de monnaie commune, et laisser fluctuer librement à la fois la roupie, et la lira, ou éventuellement, passer par l’intermédiaire d’une autre monnaie, le dollar, ou le yen. Dans ce dernier cas la monnaie commune serait une monnaie.

Mais, redisons-le encore une fois, dans chacun de ces deux pays, il n’y a qu’une seule monnaie en circulation, même si, parfois, certains commerçants peuvent accepter, illégalement, d’être payés en une monnaie étrangère.

Prenons maintenant le cas de la France et de l’Allemagne, chacun ayant actuellement la même monnaie nationale, l’euro.

Si l’on décide, du jour au lendemain, que chaque pays doit avoir une monnaie différente, disons le franc 2017 et le mark 2017, il n’y aura toujours qu’une seule monnaie circulant dans chaque pays, le franc en France, le mark en Allemagne.

Et nous serons ramenés au problème précédent, comme l’on dit, à savoir le cas de la Turquie et de l’Inde.

Le français paiera en francs en France, l’allemand paiera en marks en Allemagne, et il faudra simplement trouver un accord technique, automatique ou non, pour les échanges internationaux.

On peut reprendre l’exemple de la lira-roupe, qu’on appellera plutôt l’euro, ou l’écu, avec un taux de change que la plupart des économistes évaluent à 1 mark pour 1.20 francs (à peu près le ratio du déficit commercial français par rapport aux échanges commerciaux franco-allemands).

Le système target2 permet d’intégrer ce taux de change, fixe mais ajustable, par exemple tous les ans, dans sa gestion des flux financiers. Cela ne prendrait qu’un petit week end pour cela. Bien entendu, cela ne peut se faire que si l’on en a la volonté politique.

Si on retient ce système, la monnaie commune ne serait pas une monnaie, mais simplement un dispositif automatique pour gérer les échanges entre la France et l’Allemagne.

Bien entendu, si d’autres pays sont concernés, la monnaie commune, toujours pas une monnaie, devra être ajustée pour correspondre aux différences de compétitivité entrer les pays concernés, ce qui est impossible à faire dans le cadre d’une zone monétaire ayant une monnaie unique. Plus il y a de pays, plus la négociation peut être longue, mais le calcul de la monnaie commune n’est qu’un simple calcul technique, le calcul d’un barycentre du niveau d’un élève de collège.

Et, avec cette monnaie commune, qui n’est encore et toujours pas une vraie monnaie, chacun – et chacune, n’utilise toujours qu’une seule monnaie, sa monnaie nationale.

En espérant que ce billet un peu long aura permis aux apprentis experts, ou aux experts confirmés, de ne pas se fier à toutes les bêtises entendues ces jours-ci depuis que Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan ont décidé de faire un programme commun patriote et d’avancer lentement, mais sûrement, vers une monnaie nationale, le franc 2017 ou franc 2018, la dite monnaie commune n’étant qu’un artifice technique, mais utile dès lors que l’on commerce avec d’autres pays.

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