L'arbre du PIB cache la forĂȘt des dĂ©ficits commerciaux et des soldes Target

 PIB, totem des Ă©conomistes, mais peu pertinent pour juger de la prospĂ©ritĂ© d’un pays

L’acronyme ‘PIB’, ou Produit IntĂ©rieur Brut, est sans doute l’acronyme le plus connu de tous, et pas seulement des Ă©conomistes, dĂ©butants ou experts. De plus, presque personne ne semble remettre en cause le mantra affirmant qu’il est l’indice le meilleur, ou le moins mauvais, de la richesse ou de la prospĂ©ritĂ© d’un pays, alors que nous montrerons qu’il en est un indicateur peu fiable et trĂšs insuffisant, et qu’il faudrait adopter une approche fort diffĂ©rente. Cette approche, au-delĂ  de tout indice rĂ©ducteur, voire inappropriĂ©, est liĂ©e Ă  la puissance industrielle d’un pays, Ă  sa dĂ©pendance envers les autres pays, au niveau de vie de ses travailleurs, Ă  son niveau d’emploi. Sans oublier ses dettes, privĂ©es ou publiques, plus ou moins importantes, et parfois vertigineuses, qui ne profitent dans ce cas qu’aux ultra-riches qui ne se soucient guĂšre de l’Ă©tat rĂ©el de leur pays, surtout lorsqu’ils ont placĂ© leurs gains dans des paradis fiscaux, comme le Luxembourg ou l’Irlande en Europe.

Le Produit Intérieur Brut a été inventé et défini par Kuznets aux USA en 1922, puis généralisé en 1948, peu aprÚs les accords de Bretton Woods, en remplaçant peu à peu la notion de Produit National Brut, lui aussi inventé simultanément.

La France ne s’est plus intĂ©ressĂ© qu’au PIB aprĂšs 1993, suivant l’exemple, comme souvent, des Etats Unis, qui avaient laissĂ© tomber le concept de PNB dĂšs 1991. Il est vrai que le PIB sert depuis 30 ans, Ă  tort ou Ă  raison, de comparaison internationale entre les Ă©conomies des pays, dĂ©veloppĂ©s ou Ă©mergents, et qu’avoir une locution commune Ă©tait Ă©videmment intĂ©ressant.

Mon propos initial n’est pas de revenir sur le fait de savoir si le PIB est, ou non, un bon indicateur de la prospĂ©ritĂ© ou du bien ĂȘtre d’une nation, mais plutĂŽt de montrer que les modes de calcul proposĂ©s (trois d’aprĂšs l’INSEE) sont parfois peu lisibles, voire incohĂ©rentes, mĂȘme si nos comptables nationaux font tout pour le cacher.

Nous parlerons ensuite d’un des plus grands problĂšmes pour la France, Ă  savoir son dĂ©ficit commercial trĂšd insuffisant pour couvrir ses excĂ©dents dans les services. Ce dĂ©ficit commercial, permanent depuis 2004/2005, implique que les achats faits Ă  crĂ©dit sont en train d’appauvrir encore davantage ceux dont le revenu est plus ou moins fixe, dans une pĂ©riode pendant laquelle la monnaie se dĂ©prĂ©cie de plus en plus du fait des sommes considĂ©rables injectĂ©es par les diverses banques centrales de la zone euro. Nous verrons aussi que la question des dettes, publiques et privĂ©es,peut aussi conduire certains pays, en dĂ©pit d’un solde commercial positif, comme l’Italie et l’Espagne, Ă  des situations Ă©conomiques fort difficiles, dont l’un des indices en sera le dĂ©ficit de leur « balance Target2 », cet acronyme traduisant les flux financiers se produisant entre les diffĂ©rents pays de l’Eurozone. L’Ă©tude ultĂ©rieure de ces « balances Target2 nous permettra de rendre compte de la fracturation, pour ne pas dire la dĂ©sintĂ©gration financiĂšre, de l’Eurozone, zone qui apparaĂźt de plus en plus divisĂ©e entre les pays du Nord et du Sud.

A l’appui de cette thĂšse, notons simplement, pour le moment, que dans les pays qui suscitent la dĂ©fiance des investisseurs, les « dettes TARGET2 » ont fortement augmentĂ©. Les investisseurs Ă©trangers ont fui, et ce sont alors leurs banques commerciales, sous couvert de leurs banques centrales nationales, qui supportent la partie non financĂ©e de l'endettement extĂ©rieur. Dans les pays qui bĂ©nĂ©ficient des rapatriements de capitaux, le phĂ©nomĂšne est opposĂ©, ce sont les « crĂ©ances Target2 » qui explosent, en particulier celles de l’Allemagne.

En ce qui concerne la valeur « intrinsĂšque » de la monnaie Ă©mise par les banques centrales europĂ©ennes, la monnaie « centrale », notons dĂ©jĂ  que la masse de cette monnaie [celle qui dĂ©pend directement du SystĂšme EuropĂ©en de Banques Centrales, le SEBC, et plus prĂ©cisĂ©ment de l’EurosystĂšme ] , que cette masse monĂ©taire a Ă©tĂ© multipliĂ©e par prĂšs de 3 en 5 ans en France, et par 50% en 2020.

La BCE, Ă  la tĂȘte de l’EurosystĂšme, s’efforce d’ailleurs dĂ©sespĂ©rĂ©ment de cacher les dĂ©sĂ©quilibres internes de la zone euro en Ă©tant elle-mĂȘme de plus en plus dĂ©bitrice sur ces encore peu Ă©tudiĂ©s, mais si importants, soldes TARGET2. De fait les « dettes Target2» de la BCE, qui en toute logique devraient ĂȘtre proches de zĂ©ro, comme avant 2012, ont triplĂ© les 8 derniers mois, sans doute pour racheter principalement des dettes italiennes ou espagnoles, privĂ©es et surtout publiques pour tenter de dissimuler la situation dramatique, sur le plan de la balance des paiements intra-UE, de ces deux derniers pays, dont le systĂšme bancaire est lui aussi en trĂšs mauvaise position.

Comment mesure-t-on le PIB

Mais pour en revenir Ă  la question du PIB lui-mĂȘme, et de son mode de calcul parfois Ă©trange, je vais prendre quelques exemples Ă  partir de la dĂ©finition la plus commune, Ă  savoir le PIB considĂ©rĂ© sous l’angle des dĂ©penses, c’est Ă  dire (d’aprĂšs l’INSEE) Ă©quivalent Ă  la SOMME de la consommation finale, de la formation brute de capital fixe et de la variation algĂ©brique des stocks, somme Ă  laquelle il faudrait, toujours d’aprĂšs l’INSEE, AJOUTER les exportations et SOUSTRAIRE les importations.

A ce sujet nous montrerons l’erreur de procĂ©der ainsi, certains termes Ă©tant comptĂ©s deux fois, mais laissons cela pour le moment.

Prenons un exemple chiffrĂ© pour Ă©clairer cette formulation, avec une consommation (finale) Ă©gale Ă  160, une formation de capital (= investissements) de 30, une variation de stocks (positive) de 20, sans parler pour le moment d’exportations et d’importations (importations qui font partie des dĂ©penses, comme le simple bon sens devrait l’indiquer)

Pour l’INSEE, nous aurions alors un PIB Ă©gal Ă  210, ce qui est Ă  la fois exact, facile Ă  obtenir et comprĂ©hensible. Notons Ă  nouveau que l’on a choisi ici une formulation de type « dĂ©penses », ce qui est le cas de la consommation, de l’investissement, et, si l’on veut, de la variation de stocks (mĂȘme si cette variation positive de stocks est plutĂŽt une anticipation de recettes Ă  venir qu’une vĂ©ritable recette). LE PIB correspond donc Ă  un Ă©change, un Ă©quilibre, entre les ressources et les emplois, entre les revenus et la consommation. On ne peut faire plus simple. On retrouve mĂȘme ici la si dĂ©criĂ©e loi de Say, dite des dĂ©bouchĂ©s, dont Keynes s’est tant moquĂ©.

D’un cĂŽtĂ© des Ă©changes, en prenant le cĂŽtĂ© « ressources », on aurait ainsi une formulation sous forme de valeur ajoutĂ©e, le PIB Ă©tant alors Ă©gal Ă  la somme des valeurs ajoutĂ©es, augmentĂ©e des taxes ou impĂŽts Ă  la production. De l’autre cĂŽtĂ©, celui des Ă©changes, on aurait bien sĂ»r les dĂ©penses (Ă  condition de ne pas les compter deux fois).

On pourrait aussi s’interroger sur la dĂ©composition des dĂ©penses, des achats « finaux », par catĂ©gorie d’agents Ă©conomiques, privĂ©s ou publics, ou par type de dĂ©penses, consommation finale ou investissements (la fameuse FBCF, ou formation brute de capital fixe, ou, en termes plus simples, les dĂ©penses en biens durables et biens de production, bĂątiments, machines, etc.). Nous reverrons cela par ailleurs, pour ne pas alourdir ce billet.

Si nous parlions d’import-export ?

Revenons pour le moment Ă  notre approche dĂ©penses, consommation plus investissements, sans mĂȘme parler de variation de stocks.

LĂ  encore on va commencer par des cas particuliers pour montrer que cette dĂ©finition peut interroger sur la comprĂ©hension que l’on peut en avoir (et que cette dĂ©finition est plus difficile Ă  apprĂ©hender quand on utilise d’autres modes de calcul, parmi les autres modes proposĂ©s par l’INSEE, comme nous le verrons plus tard)

Raisonnons par l’absurde, comme tout mathĂ©maticien, dĂ©butant ou non, voire tout scientifique, procĂ©derait, en prenant donc un cas trĂšs particulier et en montrant que mĂȘme dans ce cas le mode de calcul envisagĂ© peut conduire Ă  quelques surprises. J’en ai d’ailleurs fait l’expĂ©rience en soumettant ce type d’exemple Ă  plusieurs « experts » sur Internet, aucun ne m’a rĂ©pondu, comme s’ils doutaient eux-mĂȘmes de leur comprĂ©hension.

PrĂ©cisons tout de suite que l’exemple choisi n’a pas pour objectif d’ĂȘtre rĂ©aliste, ni mĂȘme crĂ©dible, mais il nous permettra par la suite d’introduire le concept de dĂ©ficit commercial et des moyens de le financer.

Supposons ici que la consommation (plus la FBCF) soit uniquement faite Ă  partir de produits importĂ©s, et que toute la production aille Ă  l’extĂ©rieur. En termes savants, et avec les notations classiques des Ă©conomistes, la consommation CF (plus la FBCF) serait Ă©gale Ă  M, l’importation, et la production serait Ă©gale Ă  X, puisqu’elle est uniquement ici destinĂ©e Ă  l’exportation.

Dans ce cas, Ă  quoi serait Ă©gal le PIB ?

Si nous revenons à la définition, les importations font partie de la consommation, donc le PIB, dans ce cas particulier, est égal aux importations. Ici PIB = M = CF plus FBCF.

Quid du financement d’un dĂ©ficit commercial ?

Bien entendu, et ce indĂ©pendamment du contexte, les dĂ©penses doivent ĂȘtre financĂ©es. Dans le cas prĂ©sent le financement des dĂ©penses, qui sont ici Ă©gales aux importations, devrait correspondre aux rentrĂ©es d’argent extĂ©rieur au pays considĂ©rĂ©. Si les exportations sont Ă©gales aux importations, pas de problĂšme, on aura X = M = PIB = CF plus FBCF, le financement sera opĂ©rĂ© entiĂšrement par l’Ă©quivalent des ventes Ă  l’Ă©tranger.

Si X plus grand que M, lĂ  encore tout semble bien aller, puisque l’on a un solde commercial positif, avec des possibilitĂ©s de financement plus importantes que le niveau des importations. On peut cependant dĂ©jĂ  se demander, en inversant le rĂŽle des deux pays concernĂ©s, si on opĂšre entre deux pays ayant la mĂȘme monnaie, comment ce solde commercial positif va ĂȘtre soldĂ©. Evidemment ( !?), si les deux pays n’ont pas la mĂȘme monnaie, la question sera plus dĂ©licate encore, puisque d’une maniĂšre ou d’une autre, ils devront travailler et financer leurs Ă©changes avec une unitĂ© de compte commune.

Plus gĂ©nĂ©ralement, dĂšs que l’on parle de PIB, il faut Ă©videmment avoir une unitĂ© de rĂ©fĂ©rence, des prix traduits dans la mĂȘme unitĂ© de compte, pour pouvoir comparer des produits exportĂ©s (dans un autre pays) Ă  des produits importĂ©s (exprimĂ©e Ă©ventuellement dans une autre unitĂ© de compte). Nous reviendrons ailleurs sur ce ‘menu’ problĂšme (qui, de fait, est source de vĂ©ritables difficultĂ©s, rarement traitĂ©es proprement par les ‘experts’, de l’INSEE ou d’ailleurs).

Revenons cependant au cas oĂč les pays qui Ă©changent entre eux ont, sinon une monnaie unique, ni mĂȘme une monnaie commune comme en zone euro, mais du moins une unitĂ© de compte, toujours dans l’hypothĂšse oĂč la production du premier pays est entiĂšrement exportĂ©e, et sa consommation entiĂšrement importĂ©e. Le cas plus gĂ©nĂ©ral n’apporterait d’ailleurs aucun changement, il ne ferait que compliquer inutilement l’analyse.

Nous aurons ainsi PIBpays1 = DĂ©pensespays1 avec RessourcesPays1 = ExportationPays1

Si Exportation1 >= Importation1, l’autre pays devra la diffĂ©rence au Pays1, dans le cas inverse c’est le Pays1 qui devra cette diffĂ©rence. Mais sous quelle forme ? Bien entendu l’expert des Target2 aura reconnu que le pays1 aura une « dette Target2 » du montant Ă©gal Ă  son dĂ©ficit de sa balance des paiements (et au solde de sa balance commerciale s’il n’y a pas d’autres transferts financiers entre pays1 et pays2), tandis que le pays2 aura une « crĂ©ance Target2 ») du mĂȘme montant, mais n’allons pas trop vite.

Que ce soient des dettes ou des crĂ©dits, l’Ă©quilibre va ĂȘtre rompu, ce qui se compliquerait bien sĂ»r, avons-nous dit, si l’autre pays, ou le reste du monde, n’avait pas la mĂȘme monnaie. Non seulement il aurait fallu adopter une unitĂ© de compte commune, mais il faudrait encore mettre en Ɠuvre des procĂ©dĂ©s de compensation.

Le cas d’un dĂ©ficit permanent :

Si les dĂ©ficits ou les excĂ©dents finissent par se compenser sur la durĂ©e, par exemple sur quelques annĂ©es, on aura un pays qui fera crĂ©dit Ă  un autre quelque temps. Mais si ce dĂ©sĂ©quilibre est pĂ©renne il en va tout autrement. Et c’est malheureusement le cas de la France de 2020 vis-Ă -vis du reste du monde depuis une bonne quinzaine d’annĂ©es, avec un dĂ©ficit commercial moyen annuel de 1.5 Ă  2% du PIB, soit en euros actuels de l’ordre de 50 milliards d’euros – chiffres de la Banque Mondiale confirmĂ©s par ceux de l’INSEE. Les derniers chiffres de l’INSEE sont d’ailleurs de 62,8 milliards pour 2018 et 56,9 pour 2019, soit de l’ordre de 2.5% du PIB, qui valait 2427 milliards d’euros en 2019.

De fait, si un pays est durablement en dĂ©ficit commercial vis-Ă -vis du reste du monde, c’est-Ă -dire si ses exportations ne suffisent pas Ă  financer ses importations, il lui faudra bien trouver une solution autre que simplement commerciale, pour couvrir ce dĂ©ficit de façon pĂ©renne. Directement ou non, il faudra que le « reste du monde » lui fasse crĂ©dit.

Prenons le cas le plus simple, celui oĂč le « reste du monde » a la mĂȘme monnaie que le pays dĂ©ficitaire. Il peut lui prĂȘter de l’argent, c’est-Ă -dire que ce pays, disons Pays1, va emprunter de l’argent au reste du monde. Mais le « reste du monde » peut aussi convertir tout ou partie du solde commercial en investissements financiers ou matĂ©riels dans les entreprises de Pays1, voire dans ses infrastructures comme l’achat (ou la location longue durĂ©e) du port du PirĂ©e par l’entreprise de transport chinoise, Cosco.

Il peut aussi se faire que certains habitants du pays « le plus riche », ici le pays2, viennent s’acheter des palaces, ou simplement passer des vacances luxueuses dans le pays1, la balance des services pouvant ainsi combler, pour partie ou en totalitĂ©, le dĂ©ficit commercial du pays1. Il est vrai qu’en pĂ©riode de pandĂ©mie, comme en 2020, ou en cas de mauvais climat social, comme pendant la crise dite des « gilets jaunes », les flux financiers liĂ©s au tourisme sont extrĂȘmement rĂ©duits.

L’impact des marchĂ©s financiers pour ‘soutenir’ les dĂ©ficits

Toujours dans l’objectif du financement de ces dĂ©ficits commerciaux (ou plus gĂ©nĂ©ralement le dĂ©ficit des biens ET services) d’autres possibilitĂ©s peuvent subvenir. C’est ainsi quand ce ne sont plus les pays, par l’intermĂ©diaire de leurs banques centrales respectives, ou les entreprises concernĂ©es, qui vont prĂȘter directement des fonds, ou investir dans le pays dĂ©ficitaire, mais lorsque ce sont les marchĂ©s financiers ou des financiers privĂ©s qui font office de bailleurs de fonds.

Cela peut aussi se produire se faire par l’intermĂ©diaires de banques commerciales, qui peuvent prĂȘter de l’argent dont elles disposent, mais plus souvent en prĂȘtant de l’argent qu’elles n’ont pas, en comptant sur la ‘gĂ©nĂ©rositĂ©’ de leur banque centrale pour valider cette crĂ©ation monĂ©taire bancaire, et pour se renflouer le cas Ă©chĂ©ant. Les 500 milliards crĂ©Ă©s par la BdF en 2020 en sont une preuve Ă©loquente (en fait le bilan de la Banque de France a augmentĂ© de 598 milliards en 2020, soit de prĂšs de 52%). Nous reverrons ce point quand nous parlerons de l’APP, « assets purchase programme », l’assouplissement quantitatif Ă  la mode de l’U.E., programme consistant Ă  permettre aux banques centrales nationales, les BCN, de l’Eurozone, de racheter sur le marchĂ© secondaire des actifs de valeur parfois trĂšs douteuse.

Dans ce cas aussi les marchĂ©s financiers interviennent, mais sur le marchĂ© dit primaire, puisque ce sont eux qui vont acheter les dettes des États, dettes mises en vente, dans le cas de la France, par l’Agence France TrĂ©sor. Les marchĂ©s financiers peuvent aussi acheter des obligations qui seraient Ă©mises par des entreprises privĂ©es voulant assurer un complĂ©ment de financement, mĂȘme si ces obligations peuvent aussi ĂȘtre rachetĂ©es directement par les banques centrales, toujours dans le cadre de l’APP.

 

L’exemple simplissime prĂ©sentĂ© ci-dessus, Ă  savoir des dĂ©penses effectuĂ©es uniquement sur des biens importĂ©s, et une production destinĂ©e uniquement Ă  l’exportation, est Ă©videmment complĂštement irrĂ©aliste, mais a pour but de mettre en Ă©vidence deux points :

1.      Que les importations font partie des dĂ©penses, et donc du PIB, alors que les exportations vont servir Ă  financer, partiellement ou en totalitĂ©, les importations. Un pays exportateur net est Ă©videmment en meilleure posture financiĂšre qu’un pays importateur net, mais cela ne change rien au fait que l’Ă©tude du solde commercial est Ă©minemment un problĂšme de financement, pas directement un problĂšme de bien-ĂȘtre du pays.

2.      Que l’une des deux formules classiques de calcul du PIB par l’Ă©quation :
PIB = CF + FBCF + Export – Import est manifestement erronĂ©e, puisque les importations n’ont pas Ă  ĂȘtre comptĂ©es deux fois, puisqu’elles sont dĂ©jĂ  contenues dans CF + FBCF. En revanche, la formule PIB = Valeur ajoutĂ©e Plus taxes ou impĂŽts de production reste Ă©videmment valable, les exportations faisant elles-mĂȘmes partie de cette valeur ajoutĂ©e.

Nous verrons cependant, en prenant l’exemple de l’Italie, qu’un pays peut ĂȘtre en excĂ©dent commercial, en partie grĂące Ă  un coĂ»t du travail trĂšs infĂ©rieur Ă  celui de la France, et ĂȘtre en bonne position financiĂšre, les dettes publiques y jouant pour leur part un rĂŽle prĂ©occupant significatif.

Echanges internationaux et libre-Ă©change

Revenons cependant sur le point plus direct des dĂ©penses de la vie Ă©conomique « rĂ©elle », puisque tel Ă©tait notre point de dĂ©part : le financement des dĂ©penses, qui constituent le PIB. Plus prĂ©cisĂ©ment, sur quelles ressources peut-on compter, lorsque ressources et dĂ©penses ne sont pas au mĂȘme niveau, lorsque import et export ne sont pas Ă©quivalents, sans revenir une fois de plus sur la question de simple bon sens : puisque l’exportation fait partie de la valeur ajoutĂ©e, comment le PIB peut-il ĂȘtre Ă  la fois Ă©gal aux dĂ©penses et Ă  la valeur ajoutĂ©e, lorsque la valeur ajoutĂ©e est infĂ©rieure aux dĂ©penses.

Là encore, on va passer progressivement de cas trÚs particuliers à des exemples de plus en plus généraux.

Supposons que le monde, le « systĂšme Ă©conomique », soit composĂ© de deux seuls pays, ayant pour le moment une mĂȘme monnaie, sans nĂ©cessairement que les exportations du pays1 soient Ă©gales Ă  ses exportations vers le payx2. Nous ne supposons pas non plus, ici que le pays1 importe tout ce qu’il achĂšte en biens de consommation (=CF) ou en biens durables (FBCF). Il peut donc y avoir, dans le pays1, une production qui puisse partiellement ĂȘtre destinĂ©e aux habitants du pays1, les habitants1.

Dans ce contexte, le cas le plus gĂ©nĂ©ral sera que l’on ait importations1 diffĂ©rent de exportation1, avec, par construction (deux seuls pays) : importations1 = exportations2. Dit autrement, simple bon sens arithmĂ©tique, le bĂ©nĂ©fice commercial de l’un des pays est Ă©gal au dĂ©ficit commercial de l’autre, et, plus gĂ©nĂ©ralement, si on inclut les services dans la balance des biens et services, le dĂ©ficit du pays1 sera Ă©gal au bĂ©nĂ©fice du pays2 (dans le cas de la France et de l’Allemagne, on a ainsi, en moyenne, environ 20 milliards de dĂ©ficit de la France vis-Ă -vis de l’Allemagne, sur les 55 millions du dĂ©ficit global moyen sur les 15 derniĂšres annĂ©es de la France vis-Ă -vis d’autres pays)

Bien entendu, si on considĂ©rait au lieu de seulement deux pays, un pays et le reste du monde (qu’on l’appelle ou non pays2) on aurait le mĂȘme rĂ©sultat, tout Ă  fait banal, mĂȘme si on voulait le vĂ©rifier par des calculs qui se complexifieraient dans le cas de monnaies diffĂ©rentes.

Mais revenons au cas de deux pays, ayant la mĂȘme unitĂ© monĂ©taire. Que le lecteur soit d’accord ou non avec le fait que le solde commercial fasse, ou non, partie du PIB (alors que, d’aprĂšs moi, les importations sont dĂ©jĂ  comptĂ©es dans les dĂ©penses, donc dans le PIB), il va bien falloir rĂ©soudre ce dĂ©sĂ©quilibre, dont la valeur, nĂ©gative ou positive, sera Exportation1 moins Importation1.

Supposons que le solde soit en dĂ©faveur du Pays1, et que l’on ait donc : Import1 > Export1. La seule question qui se pose est : comment va-t-on payer le pays2 (ou, dans le cas plus gĂ©nĂ©ral, le reste du monde). Notons, pour Ă©viter toute ambiguĂŻtĂ©, que cette question ne se pose pas directement en ces termes, entre pays et pays, puisque, dans un systĂšme libĂ©ral, les achats et les ventes concernent directement les acteurs Ă©conomiques, mĂ©nages, entreprises, et que ce n’est qu’au moment des paiements que les banques centrales peuvent Ă©ventuellement intervenir, en cas de problĂšmes de financement entre banques commerciales des pays mis en cause. C’est Ă  ce niveau, difficultĂ© de crĂ©dits non « garantis » entre les deux banques commerciales concernĂ©es, la banque de l’importateur et la banque de l’exportateur, que les Ă©changes Target2 joueront pleinement leurs rĂŽles, comme nous le reverrons.

PĂ©rennitĂ©, ou non, d’Ă©changes inĂ©gaux

Revenons donc Ă  cette question d’Ă©changes inĂ©gaux de biens et services entre deux pays, le pays1 Ă©tant importateur net, c’est-Ă -dire ayant une balance dĂ©ficitaire de ses Ă©changes de biens et services. Il n’y a, Ă©videmment, qu’une solution. Le pays dĂ©ficitaire finit, d’une maniĂšre ou d’une autre, Ă  payer, directement ou pas. Quelque soit le procĂ©dĂ© de rĂ©Ă©quilibrage des Ă©changes, cela ne concerne pas directement l’acheteur, dĂšs lors qu’il a suffisamment de moyens de paiement, avec ses propres ressources ou par un emprunt auprĂšs de sa banque, ni le vendeur, dĂšs lors que sa banque transfĂšre sur son compte bancaire le paiement. Nous reverrons ce point un peu plus tard, en abordant la question des Ă©ventuels « profiteurs » d’un tel dĂ©sĂ©quilibre.

Comme premiĂšre solution partielle, celle du crĂ©dit, on pourrait envisager que l’entreprise exportatrice du pays2 puisse accepter d’ĂȘtre payĂ©e « plus tard », ce qui ne peut se concevoir que si la situation globale du pays1 ne correspond qu’Ă  un dĂ©sĂ©quilibre temporaire, ce qui n’est pas le cas si on prend l’exemple de la France comme pays1. Notons Ă  ce propos que le dĂ©ficit (en biens et services) cumulĂ© par la France sur les 18 derniĂšres annĂ©es (depuis 2003, derniĂšre annĂ©e excĂ©dentaire) avoisine 1000 milliards d’euros, ce qui reprĂ©sente de l’ordre de 40% de son PIB2019 : vis-Ă -vis de l’Allemagne seule, on aurait plutĂŽt un dĂ©ficit cumulĂ© de 350 milliards.

Mais la « solution » de remettre Ă  plus tard le paiement n’est pas crĂ©dible lorsque le dĂ©sĂ©quilibre s’avĂšre pĂ©renne. Aucun pays exportateur, par l’intermĂ©diaire de ses banques commerciales puis par sa banque centrale, ne peut faire crĂ©dit Ă©ternellement Ă  un autre pays, et aucun pays importateur ne peut obtenir Ă©ternellement, directement ou pour ses banques commerciales, un crĂ©dit, Ă  moins peut ĂȘtre de s’appeler les USA et de disposer de la possibilitĂ© de crĂ©er la monnaie mondiale, le dollar, utilisĂ© dans 70% des Ă©changes internationaux. Dans le cas de l’eurozone, nous verrons les solutions, temporaires ou permanentes, qui ont Ă©tĂ© inventĂ©es, et c’est lĂ  qu’interviendront les processus Target2.

En dehors de pays ‘gĂ©nĂ©reux’, extrĂȘmement rares, qui acceptent d’abandonner, pour tout ou partie, les dettes d’un autre pays, et ce pour des dettes somme toutes dĂ©risoires, le pays exportateur net va devoir, directement ou indirectement, se faire « payer ». Ce peut ĂȘtre en rachetant [ ou en permettant Ă  ses entreprises, « gavĂ©es » d’argent venant du pays importateur net, ici le pays1] - de racheter, des installations industrielles Ă  bon compte ; quitte Ă  les dĂ©truire en les vendant par morceaux tout en rachetant leurs brevets. Ces rachats ne feront d’ailleurs qu’accentuer le problĂšme du pays importateur, qui sera de plus en plus dĂ©pendant du pays exportateur, ce dont se moquent trĂšs souvent les entreprises domestiques, si elles peuvent dĂ©localiser dans le pays exportateur.

Le cas de l’ex PSA, qui dĂ©localise en Chine la production de sa future berline de luxe, la CitroĂ«n C5X, en est l’un des derniers exemples. Les finances de « PSA Chine » s’en porteront sans doute fort bien, mĂȘme si ce n’est pas le cas de celles de la France, ne fut-ce que par les allocations chĂŽmage qu’il va bien falloir financer, en plus des impĂŽts sur les sociĂ©tĂ©s qui risquent de diminuer, surtout si PSA dĂ©localise son siĂšge social dans un « paradis fiscal », par exemple au Luxembourg.

C’est bien pour lutter contre cela, contre ce dĂ©peçage Ă©conomique, que la charte de la Havane avait Ă©tĂ© votĂ©e par l’ONU en 1948, mais jamais ratifiĂ©e par le SĂ©nat des USA ; elle voulait en effet sinon pĂ©naliser du moins rĂ©frĂ©ner l’expansionnisme Ă©conomique des pays trop exportateurs. Cette charte suggĂ©rait en effet que les pays rĂ©guliĂšrement excĂ©dentaires devraient aider les pays importateurs net Ă  exporter davantage, et/ou Ă  importer moins, par une sorte de rĂ©Ă©quilibrage « coopĂ©ratif » que j’ai moi-mĂȘme tentĂ© de suggĂ©rer sans grand succĂšs, dĂšs 2014, aux leaders du mouvement politique dont je faisais partie Ă  l’Ă©poque.

Toujours dans le cadre de cette « solution » : faire payer le pays importateur net, d’autres mĂ©canismes de rĂ©gulation ont pu se mettre en route, mĂ©canisme faisant appel, comme dans le cas trĂšs particulier des USA, Ă  une sorte de deus ex machina supra-national, je veux parler ici, pour la zone euro, de la Banque Centrale europĂ©enne et du SEBC (systĂšme europĂ©en de banques centrales), dont trois banques centrales, la Banque d’Allemagne, la Banque de France et la Banque d’Italie, en sont les principaux acteurs, en tant que reprĂ©sentant les Ă©conomies les plus ‘fortes’ de la zone Euro.

L’invention du systĂšme TARGET par le SEBC, systĂšme europĂ©en de banques centrales

De fait, le principal mĂ©canisme de rĂ©gulation est devenu dans la zone Euro, depuis 2009 et la crise financiĂšre de 2008, le mĂ©canisme dit « TARGET2 », que nous allons ici dĂ©crire assez longuement, en commençant par quelques exemples, de plus en plus dĂ©taillĂ©s et rĂ©alistes. Nous n’aborderons ce mĂ©canisme que dans le cas d’Ă©changes commerciaux, mais ils se produisent aussi dans le contexte de transfert « purement financiers », lorsque les capitaux changent de main et de pays, comme lorsqu’un riche investisseur allemand transfĂšre ses fonds investis en Espagne en un placement au Luxembourg.

Mais restons ici dans le domaine d’un contrat purement commercial, et prenons tout d’abord l’exemple d’une petite entreprise, dont le nom serait Potter, voulant acheter une machine Ă  l’entreprise Voldemort, d’une valeur de 10000 unitĂ©s de compte, disons 10000 euros.

Si ces deux entreprises sont situĂ©es dans le mĂȘme pays, le processus d’achat et de vente est simple. Sur le bilan de l’entreprise Potter, Ă  son actif sa trĂ©sorerie diminuera de 10000 € (donc son compte sur la banque P aussi) son actif immobilisĂ© augmentera de 10000. De façon automatique, les dĂ©pĂŽts de Potter sur la banque P vont diminuer de 10000. Pour Ă©quilibrer son bilan, la banque P devra soit vendre un actif du mĂȘme montant Ă  la banque V, si Voldemort n’a pas la mĂȘme banque que Potter, actif qui peut ĂȘtre une crĂ©ance sur leur banque centrale commune, ou tout autre actif que la banque V accepterait. Dans le cas le plus simple, le compte de P serait diminuĂ© de 10000 Ă  la Banque Centrale, le compte de la banque V serait crĂ©ditĂ© de 10000, le bilan de P aura (Ă  l’actif comme au passif) diminuĂ© de 10000, les actifs financiers de V auront augmentĂ© de 10000, ses stocks, eux, auront diminuĂ© de 10000. Les Ă©quilibres comptables de chaque acteur Ă©conomique non financier, Potter et Voldemort, resteront Ă©quilibrĂ©s, mĂȘme si leur composition a changĂ©. En revanche, le bilan de la banque P aura diminuĂ© de 10000, Ă  l’actif sa trĂ©sorerie, au passif le dĂ©pĂŽt de Potter, celui de la banque V aura augmentĂ©, lui, de 10000. Ce changement de situation bancaire se verra aussi qualitativement, mais pas quantitativement, au niveau de la Banque Centrale commune aux banques P et V, si elles opĂšrent dans le mĂȘme pays.

Dans le cas, plus simple encore, oĂč Potter et Voldemort auraient la mĂȘme banque, la banque P-V, l’intervention de la Banque Centrale n’aurait mĂȘme pas eu besoin d’avoir lieu, puisque l’actif de la banque P-V n’aurait pas changĂ©, et au passif de la banque P-V le compte de Potter aurait simplement diminuĂ© de 10000, et celui de Voldemort augmentĂ© de la mĂȘme somme, 10000.

Nous aurions eu ainsi un simple jeu comptable, Ă  l’intĂ©rieur d’un mĂȘme pays. De fait, dans tous les cas « domestiques », mĂȘme pays et banque commune ou deux banques diffĂ©rentes, Potter se serait appauvri financiĂšrement de 10000, et enrichi matĂ©riellement de 10000, l’inverse Ă©tant vrai pour Voldemort, qui se serait enrichi financiĂšrement, et appauvri matĂ©riellement. Le lecteur pourra penser que c’est Ă©vident, et que nous insistons inutilement sur ce processus, nous verrons plus tard qu’il n’en est peut-ĂȘtre pas ainsi.

Venons-en maintenant au cas le plus complexe, celui de deux entreprises, ou de deux agents Ă©conomiques (entreprises ou mĂ©nages) qui n’interviennent pas dans le mĂȘme pays, ces deux pays faisant cependant partie de la mĂȘme zone monĂ©taire, disons la zone euro.

Le processus Target2 dans une zone Ă  monnaie commune, mais pas unique.

Si ces deux pays avaient la mĂȘme banque centrale, et si les banques commerciales avaient toutes un compte Ă  cette mĂȘme banque centrale, cette situation ne serait pas nouvelle, et l’on pourrait procĂ©der de la mĂȘme façon que prĂ©cĂ©demment. La banque commerciale de Potter, diffĂ©rente certes de celle de Voldemort, aurait aussi un compte sur la mĂȘme banque centrale, au passif de cette banque centrale le dĂ©pĂŽt de la banque de Potter diminuerait de 10000, celui de la banque de Voldemort augmenterait de 10000, le bilan de cette banque centrale n’aurait ni augmentĂ©, ni diminuĂ©, mĂȘme si la composition de son passif aurait changĂ©. Le fait que Potter et Voldemort agissent dans deux pays diffĂ©rents n’aurait eu aucun impact dĂšs lors que les deux banques commerciales en rĂ©fĂšreraient Ă  la mĂȘme banque centrale.

Il se trouve, malheureusement pour la simplicitĂ© des Ă©changes, que cela ne se passe pas ainsi, ce que semblaient ignorer les deux derniers prĂ©tendants Ă  la prĂ©sidence française, lors de leur dĂ©bat de 2017. Les banques commerciales de la France ont leurs comptes Ă  la Banque de France, la BdF, pas Ă  la Banque Centrale EuropĂ©enne, les banques commerciales allemandes ont leurs comptes Ă  la Banque d’Allemagne, la Bundesbank ou ‘Buba’, pas Ă  la BCE.

La raison en est simple, la crĂ©ation monĂ©taire de la monnaie dite « centrale » n’est pas l’apanage de la BCE, mais des diverses banques centrales de la zone Euro. L’euro « français », crĂ©Ă© par la Banque de France, s’il a la mĂȘme valeur dans toute la zone euro, n’est pas un euro « allemand », euro allemand qui est, lui, crĂ©Ă© par la banque allemande, la Bundesbank.

Nous ne reviendrons pas ici sur la création monétaire par les banques centrales, sujet traité par ailleurs.

Il est suffisant de dire ici que dans le systĂšme bancaire français, c’est de « l’euro français » qui circule entre les banques commerciales, et que lorsque « l’euro français » change de pays pour aller rĂ©gler un achat fait par exemple en Allemagne, il faut que le systĂšme bancaire allemand, composĂ© par les banques commerciales allemandes, ait une possibilitĂ© de ‘transformer’ cet euro ‘français’ en euro ‘allemand’, transformation qui n’aurait pas lieu d’ĂȘtre si toutes les banques commerciales de la zone euro Ă©taient reliĂ©es directement Ă  la BCE.

Comme le dit fort justement François Asselineau, Ă  la suite du regrettĂ© Vincent Brousseau, le fait qu’il y ait 19 banques centrales en zone euro, une pour chaque pays, est Ă  la fois la preuve et l’explication que l’euro n’est pas une monnaie unique, mais une monnaie commune, ce qui Ă©tait manifestement inconnu de la plupart des candidats Ă  la prĂ©sidentielle française de 2017, dont Marine Le Pen et Emmanuel Macron ; et, oserai-je le dire, ce qui est soigneusement cachĂ© non seulement au « petit peuple » mais aussi aux prĂ©tendus ‘experts’ par les dirigeants de la Banque Centrale EuropĂ©enne, la BCE.

La belle affaire, penseront certains. Si la valeur d’un euro « français » est la mĂȘme que celle d’un euro « allemand », peu importe que tel ou tel euro ait Ă©tĂ© crĂ©Ă© par telle ou telle banque centrale nationale, n’est-ce pas ?

Les comptes Target dans la zone euro.

C’est justement lĂ  oĂč le bĂąt blesse. En cas de dĂ©ficit de la balance des paiements entre la France et l’Allemagne, et si les banques commerciales allemandes ne font plus confiance, ne font plus ‘crĂ©dit’, Ă  leurs homologues françaises pour combler ce dĂ©ficit, le seul recours est de faire intervenir les banques centrales nationales, sous l’Ă©gide de la BCE.

Il va y avoir davantage d’euros ‘français’ qui passent de la France vers l’Allemagne que d’euros ‘allemands’ qui passent dans l’autre sens. Les Allemands se retrouvent avec plus d’euros, et souvent beaucoup plus, que ceux que la banque d’Allemagne a crĂ©Ă©s, et les Français se retrouvent avec moins d’euros que ceux qui ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s par la banque de France. Et ce dĂ©sĂ©quilibre s’avĂšre plus grand encore, au moins historiquement, entre l’Italie et l’Allemagne, mĂȘme si la balance des paiements italiens a connu une embellie en 2019, avant de replonger, en dĂ©pit d’un solde positif de leur balance commerciale. C’est le but du systĂšme Target2 d’essayer de gĂ©rer ce type de questions.

Pour l’illustrer, prenons cette fois un exemple bi-national, faisant rĂ©fĂ©rence ici Ă  de vraies banques (mĂȘme si l’exemple est lui aussi fictif), mettant en cause une entreprise espagnole et une entreprise allemande. On va de plus supposer que le montant de la transaction est suffisamment important pour que l’entreprise espagnole ait besoin d’emprunts auprĂšs de sa banque commerciale, par exemple la banque de Santander, qui elle-mĂȘme pourrait avoir besoin de faire valider les prĂȘts accordĂ©s par la banque nationale d’Espagne, la BoS.

Imaginons donc qu'un constructeur de matériel agricole allemand (bancarisé chez Deutsche Bank) et qu'une corporation d'exploitants espagnols (bancarisée chez Banco Santander) fassent affaire et signent un contrat d'un milliard d'euros. En échange de la livraison de machines, les exploitants devront donc régler cette somme à l'entreprise allemande.

Pour cela, Banco Santander emprunte – si elle ne dispose pas d’un dĂ©pĂŽt ‘central’ suffisant en « euros espagnols » - Ă  la banque centrale espagnole (BoS), qui transfĂšre, via la BCE, le montant Ă  rĂ©gler Ă  la banque centrale allemande (Bundesbank), qui crĂ©dite la Deutsche Bank. Nous dĂ©taillerons un peu plus loin la façon, schĂ©matique, dont ce « transfert financier » fait appel au processus appelĂ© TARGET2.

Disons dĂ©jĂ  en quelques mots, empruntĂ©s Ă  un document de la Banque de France que : Le systĂšme de paiement TARGET2 joue un rĂŽle majeur dans le bon fonctionnement du marchĂ© financier et monĂ©taire de l’euro car il assure non seulement le rĂšglement des opĂ©rations des banques centrales de l’EurosystĂšme (opĂ©rations de refinancement des banques, achats de titres) mais Ă©galement l’exĂ©cution des paiements entre banques commerciales en temps rĂ©el et en monnaie de banque centrale, c’est-Ă -dire avec des espĂšces sur des comptes ouverts auprĂšs de leur banque centrale nationale (BCN). En outre, les systĂšmes de paiement et de rĂšglement gĂ©rĂ©s par le secteur privĂ© sont reliĂ©s Ă  TARGET2 afin de permettre le rĂšglement en monnaie de banque centrale des soldes entre leurs participants. ConcrĂštement, les ordres de paiement sont envoyĂ©s dans TARGET2 et rĂ©glĂ©s en monnaie de banque centrale.  Quand des rĂšglements sont effectuĂ©s entre des banques qui ont des comptes ouverts dans des BCN diffĂ©rentes, le solde net est enregistrĂ© dans des comptes que les banques centrales concernĂ©es ont ouverts dans les livres de la Banque centrale europĂ©enne (BCE) pour comptabiliser les Ă©changes «transfrontiĂšres» de monnaie de banque centrale. Pour chaque BCN, le solde de ces Ă©changes constitue son « solde TARGET2 ». Ce solde peut ĂȘtre crĂ©diteur ou dĂ©biteur. Lorsque le solde TARGET2 d’une BCN est crĂ©diteur (respectivement dĂ©biteur), cela signifie que les banques qui ont leur compte ouvert sur ses livres ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un flux net positif (respectivement nĂ©gatif) de paiements en provenance de banques qui ont leur compte ouvert auprĂšs d’autres BCN. En contrepartie, cette banque centrale dĂ©tient une crĂ©ance (respectivement une dette) sur la BCE.

Le processus qui a permis, dans l’exemple fictif prĂ©cĂ©dent, au constructeur allemand de rĂ©cupĂ©rer le montant de sa vente a donc impactĂ© les bilans de plusieurs acteurs : la Deutsche Bank possĂšde dĂ©sormais une crĂ©ance, en « euros allemands », sur la Bundesbank, ou « Buba ». La Buba possĂšde elle une crĂ©ance sur la BCE, qui Ă  son tout possĂšde une crĂ©ance sur la BoS, qui possĂšde une crĂ©ance, en « euros espagnols », sur Banco Santander, crĂ©ance complĂ©ment du prĂȘt accordĂ© Ă  la coopĂ©rative agricole espagnole.

D’un point de vue global, aprĂšs cet Ă©change, l’Espagne, ou du moins sa banque centrale, la BoS, dispose d’un milliard d’euros (espagnols) en moins : ce qui signifie que les « dettes Target2 » auront augmentĂ© de 1 milliard Ă  la banque centrale espagnole, la BoS. L’Allemagne, au contraire, disposera d’un milliard de plus, au sens oĂč sa banque centrale, la Buba, aura une « crĂ©ance Target2 » d’un milliard de plus qu’avant la transaction entre l’entreprise espagnole et allemande. Pour la banque commerciale allemande, la Deutsche Bank, peu importe les « credits Target2 », ses dĂ©pĂŽts Ă  la Buba auront augmentĂ©s, eux, en « euros allemands »

Mais du point de vue individuel, nous retrouvons bien le mĂȘme rĂ©sultat que prĂ©cĂ©demment. Notre entreprise espagnole s’est appauvrie d’un milliard (d’euros espagnols), mais s’est enrichie matĂ©riellement de machines agricoles. Du cĂŽtĂ© allemand, l’entreprise s’est enrichie d’un milliard d’euros (allemands), et s’est appauvrie de ses machines agricoles. Le fait qu’il y ait eu un ‘transfert’ « d’euros espagnols » vers des « euros allemands » ne les concerne pas vraiment. Cela ne concerne ni la coopĂ©rative agricole, dĂšs lors que la banque de Santander a acceptĂ© de lui prĂȘter de l’argent, en respectant les rĂšgles « de rĂ©serve » de la BoS – ce que nous supposons ĂȘtre le cas ici. Cela ne concerne pas non plus l’entreprise allemande, dont le compte bancaire – son dĂ©pĂŽt Ă  la Deutsche Bank – s’est enrichi d’un milliard en « euros allemands », peu importe sa provenance.

Prenons maintenant un autre exemple, tirĂ© du document dĂ©jĂ  citĂ© de la Banque de France, qui dĂ©crit cette fois graphiquement le schĂ©ma du mĂ©canisme Target2. Il est supposĂ© ici qu’une entreprise française a commandĂ© des Ă©quipements d’une valeur de 50 millions Ă  une entreprise allemande, la banque de l’entreprise française Ă©tant par exemple la BNP, notĂ©e Ba1 sur le schĂ©ma, et que l’entreprise allemande est ’bancarisĂ©e’ Ă  la Deutsch Bank, notĂ©e Ba2 sur le schĂ©ma.

Nous allons ici nous intĂ©resser uniquement au suivi du flux financier accompagnant cette commande, qui va donc mouvementer le compte de l’entreprise française auprĂšs de la BNP, dont le bilan va lui-mĂȘme ĂȘtre modifiĂ© au niveau de la banque centrale française, la BdF.

La Banque de France va pour sa part (en supposant que la BNP et la Deutsch Bank n’aient pas elles-mĂȘmes contractĂ© directement un prĂȘt entre elles sur le « marchĂ© interbancaire ») prendre un engagement (une « liability Target2 ») de 50 millions, devenue une crĂ©ance (un « claim Target2 ») au bilan de la Bundesbank, ou ‘Buba’, la banque centrale d’Allemagne. LĂ  encore, d’une façon presque invisible, 50 millions « d’euros français » se sont transformĂ©s en 50 millions « d’euros allemands ».

Nos deux derniers exemples ont ainsi montré comment des transferts financiers, accompagnement des contrats commerciaux intra-eurozone, vont donner lieu, sur les bilans comptables des deux banques centrales impliquées, Espagne et Allemagne, ou France et Allemagne, à une double opération.

Dans notre premier exemple, Hispano-Germanique, nous avions eu une modification du passif de la banque d’Espagne, la BoS, par l’intermĂ©diaire d’un poste, celui des « other liabilities within the Eurosystem ». Lors de la transaction fictive Ă©tudiĂ©e, ce poste a Ă©tĂ© augmentĂ© de 1 milliard, autre façon de dire que le dĂ©ficit ou la « dette Target2 » de la Banque d’Espagne envers la Banque d’Allemagne a augmentĂ© d’un milliard.

SimultanĂ©ment, le poste « other claims within the Eurosystem », c’est Ă  dire les « crĂ©ances Target2 » de la Banque d’Allemagne, la ‘Buba’, avait augmentĂ© d’un milliard. Bien entendu, dans le monde rĂ©el, il y a d’autres transferts financiers, accompagnant ou non des Ă©changes commerciaux, entre d’autres banques centrales appartenant ou non Ă  l’eurozone.

Point sur les principaux soldes Target2 de la zone euro

Si on limite Ă  la seule union europĂ©enne monĂ©taire, ou eurozone, les derniĂšres donnĂ©es indiquent qu’Ă  la fin 2020, le poste « crĂ©ances Target2 » de la Buba, a terminĂ© Ă  1135 milliards, tandis que les « dettes Target2 » de d’Espagne et de l’Italie se montaient respectivement Ă  500 milliards et Ă  516 milliards. Le solde Target2 de la France Ă©tait lui positif de 58 milliards, en dĂ©pit de son dĂ©ficit commercial, les largesses de la BCE n’y Ă©tant sans doute pas pour rien, puisque la Banque Centrale europĂ©enne a rachetĂ© en 2020 prĂšs de 105 milliards de « dettes Target2 » aux banques centrales les plus fragilisĂ©es de l’Euro systĂšme.

Relevons aussi les 259.5 milliards de soldes positifs Target2 (les « claims related to TARGET2 ») du Luxembourg, ce qui est plus qu’un indice du fait que la position de ce pays comme plate-forme financiĂšre et « paradis fiscal » semble attirer les capitaux, le solde vĂ©ritablement commercial y Ă©tant insignifiant. D’ailleurs, si ces crĂ©ances Target2 reprĂ©sentent un pourcentage pharamineux, supĂ©rieur Ă  90%, des actifs de la Banque Centrale du Luxembourg, cela montre qu’une bonne partie des excĂ©dents commerciaux d’autres pays viennent s’installer, fiscalement et financiĂšrement, dans ce tout petit pays. MĂȘme l’Allemagne a moins de 50% de son actif en crĂ©ances Target2.

Le Luxembourg petit pays mais grand gagnant ?

Le tableau ci-dessous, qui montre l’Ă©volution en 2020 des soldes Target2 des pays du Club de Rome, Ă  l’exception de la Hollande et en y rajoutant l’Espagne, illustre les diffĂ©rences considĂ©rables entre certains pays de la zone euro.

Ce n’est Ă©videmment pas l’Ă©ventuelle excellence commerciale du Luxembourg qui explique l’excellent Ă©tat de ce tout petit pays : sans ĂȘtre extra-lucide on peut penser que sa situation comme place financiĂšre, et paradis fiscal chuchotent certains, l’expliquent bien davantage.

Soldes Target2 en hausse face à la méfiance du marché inter-bancaire depuis 2008

L’impact de la crise Ă©conomique et financiĂšre sur le fonctionnement des marchĂ©s avait Ă©tĂ© en 2008 le principal facteur Ă  l’origine des Ă©volutions divergentes des soldes TARGET2. En pĂ©riode « normale », hors crise interbancaire, les soldes TARGET2 pourraient rester fort modĂ©rĂ©s car les mĂ©canismes de marchĂ© permettent pour l’essentiel de les niveler. Pour reprendre l’exemple de l’entreprise française important un Ă©quipement industriel d’Allemagne, on aurait pu penser que sa banque, qui devra financer le virement Ă  la banque allemande, aurait pu emprunter le montant nĂ©cessaire sur le marchĂ© monĂ©taire, probablement en ce cas Ă  une contrepartie allemande ; les soldes TARGET2 de la Banque de France et de la Bundesbank n’auraient pas Ă©tĂ© modifiĂ©s dans ce cas, au contraire des postes Ă  l’actif ou au passif des banques commerciales concernĂ©es. La banque française (ou la banque espagnole dans le cas prĂ©cĂ©dent) aurait « payĂ© » la banque allemande concernĂ© via le marchĂ© interbancaire : « Payer » signifiant ici « transfert d’un Ă©lĂ©ment d’actif ».

En revanche, lorsque les banques commerciales ne se font plus confiance, lorsque la fracturation financiĂšre s’installe dans le monde et en particulier dans l’eurozone, lorsque le marchĂ© interbancaire europĂ©en est presque Ă  l’arrĂȘt, comme en 2008 aprĂšs la faillite de Lehman Brothers, les mĂ©canismes se grippent. Toute banque ayant un client cherchant Ă  financer ses importations n’a d’autre choix que de se refinancer auprĂšs de sa Banque Centrale, ce qui conduit, dans cette banque centrale, celle du pays importateur, Ă  l’augmentation de ses « dettes T2 », la banque centrale exportatrice voyant, elle, ses « crĂ©ances T2 » augmenter.

En outre, en complĂ©ment du « financement Target2 » des dĂ©sĂ©quilibres commerciaux, des phĂ©nomĂšnes de migration des capitaux se dĂ©veloppent Ă  l’intĂ©rieur de l’eurozone, allant des pays ou des banques fragilisĂ©s par le contexte Ă©conomique vers ceux qui apparaissent les moins risquĂ©s ; ces flux se rĂ©percutent automatiquement dans les soldes TARGET2 sans que le marchĂ© interbancaire puisse Ă  plein son ancien rĂŽle de stabilisateur des soldes. Cette ‘migration’ est plus qu’apparente dans l’Ă©volution des crĂ©ances du Luxembourg, comme vu prĂ©cĂ©demment. Il est d’ailleurs fort probable qu’une partie des Ă©normes crĂ©ances Target2 de l’Allemagne prĂ©fĂšrent se ‘nicher’ au Luxembourg.

Est-ce dire qu’un pays s’est d’autant plus appauvri que l’autre s’est enrichi. D’un point de vue financier, sans doute. Mais que peut-on en conclure, tant au niveau de la pĂ©rennitĂ© de tels dĂ©sĂ©quilibres qu’Ă  celui de leurs consĂ©quences sur les diverses Ă©conomies de la zone euro ? AprĂšs tout, si les allemands acceptent de financer le solde financier, dĂ» ou non Ă  d’Ă©ventuels problĂšmes commerciaux, des « pays du Sud de l’Europe » appartement Ă  la zone euro, et plus particuliĂšrement ceux du Portugal, de la GrĂšce, de l’Espagne et de l’Italie, la France Ă©tant un peu Ă  part en dĂ©pit de ses dĂ©ficits commerciaux qui atteignent prĂšs de 1000 milliards sur les 18 derniĂšres annĂ©es, pourquoi ne pas continuer ainsi ?

Dit autrement, avec des dettes ou « liabilities Target2 » qui atteignent dĂ©jĂ  la moitiĂ© du bilan des banques centrales d’Italie ou d’Espagne, [autre façon pour dire que la moitiĂ© de la monnaie « euro » Ă©mise dans ces deux pays se retrouve dans « le Nord », et plus particuliĂšrement en Allemagne, pour des raisons commerciales, et au Luxembourg, pour des raisons de placements financiers], qu’est ce qui pourrait empĂȘcher que cela continue.

Les dirigeants de l’U.E. et de la BCE se sont dĂ©jĂ  assis sur les rĂšgles de Maastricht et de Lisbonne limitant les dĂ©ficits publics Ă  3% du PIB de chaque pays, et la dette publique Ă  60% de ce mĂȘme PIB. Quand aux dettes privĂ©es, dont l’importance a Ă©tĂ© partiellement mise en valeur dans ces soldes Target2, pourquoi s’en faire. Certaines entreprises feront faillite, ou seront rachetĂ©es, quelle importance ?

Quitter l’euro, et donc la monnaie ‘commune’, sinon unique, est-ce rĂ©aliste ?

C’est ici qu’il convient de rappeler une rĂšgle sur l’Ă©mission de monnaie centrale des diffĂ©rentes banques centrales de la zone euro, vis-Ă -vis de la BCE. Si c’est la BCE qui possĂšde, d’une certaine façon, les cordons de la bourse, ce n’est pas elle qui Ă©met les euros des diffĂ©rents pays, elle n’a une vraie main mise que sur les billets, qui sont rĂ©duits Ă  une portion de plus en plus congrue.

Mais elle pourrait, en principe, stopper complĂštement toute crĂ©ation monĂ©taire de monnaie centrale « scripturale », c’est Ă  dire empĂȘcher les BCN d’Ă©mettre de la monnaie. Ce blocage d’Ă©mission de monnaie centrale aurait pour effet, si les rĂšgles ‘prudentielles’ Ă©taient respectĂ©es, de priver aussi les banques commerciales des pays correspondants d’accorder trop de crĂ©dits, privĂ©s ou publics.

Ce principe ultime, sous la pression de l’Allemagne, a bien Ă©tĂ© utilisĂ© par la BCE pour bloquer toute nouvelle Ă©mission monĂ©taire de la GrĂšce entre 2014 et 2015, mais n’a jamais Ă©tĂ© utilisĂ© depuis, bien au contraire, puisque le « quantitative easing » Ă  la mode de l’U.E. , ou assouplissement quantitatif, a Ă©tĂ© utilisĂ© Ă  fond dĂšs mars 2015, sans que la GrĂšce ait pu en bĂ©nĂ©ficier : on peut penser qu’il fallait bien faire un exemple vis Ă  vis d’un pays qui semblait avoir l’outrecuidance de vouloir quitter la zone euro.

En français, ce programme d’achats d’actifs (ou « asset purchase programme », APP), c’est-Ă -dire l’achat d’actifs de plus ou moins bonne qualitĂ©, a Ă©tĂ© massif aprĂšs 2015, Draghi ayant dĂ©clarĂ©, dĂšs 2012, que la BCE dĂ©fendrait l’euro « quoi qu’il en coĂ»te » ("Whatever it takes"), devenu le mantra d’Emmanuel Macron au dĂ©but de la crise du Covid.

Cet ‘APP’ avait pour but officiel de relancer un peu d’inflation mais pour objectif Ă  peine cachĂ© de permettre aux banques d’avoir davantage de liquiditĂ©s, et d’amĂ©liorer ainsi leur possibilitĂ© d’accorder davantage de crĂ©ances, ce qui n’a pas vraiment eu l’effet escomptĂ©.

VoilĂ  d’ailleurs ce que la BCE en disait elle-mĂȘme en 2016 de ces mesures « non conventionnelles » : Dans des pĂ©riodes Ă©conomiques normales, la BCE pilote les conditions financiĂšres au sens large et, in fine, les Ă©volutions macroĂ©conomiques et l’inflation en fixant les taux d’intĂ©rĂȘt directeurs (Ă  court terme). Avec la crise financiĂšre mondiale, toutefois, les taux d’intĂ©rĂȘt directeurs ont Ă©tĂ© rĂ©duits jusqu’Ă  un niveau proche de leur plancher effectif, le point Ă  partir duquel les abaisser encore aurait un effet limitĂ©, voire nul. La BCE a dĂšs lors adoptĂ© des mesures non conventionnelles pour faire face aux risques d’une trop longue pĂ©riode de faible inflation et ramener l’inflation Ă  des niveaux infĂ©rieurs Ă , mais proches de 2 % Ă  moyen terme, conformĂ©ment Ă  la dĂ©finition de la stabilitĂ© des prix du Conseil des gouverneurs. Le programme d’achats d’actifs est l’une des mesures non conventionnelles auxquelles la BCE recourt pour atteindre cet objectif.

Les pouvoirs de la BCE, immenses mais limités.

De fait, si la masse monĂ©taire centrale a fortement augmentĂ© (en France elle a triplĂ© en 5 ans), ce qui a effectivement permis aux banques commerciales de ‘refourguer’ une partie de leurs actifs douteux, publics ou privĂ©s, Ă  leur banque centrale nationale, sous la tutelle ‘bienveillante’ de la BCE, l’impact sur l’Ă©conomie rĂ©elle a Ă©tĂ© plus que mĂ©diocre, si l’on excepte les plus-values rĂ©alisĂ©es en bourse ou dans l’immobilier. Le bon sens populaire n’a d’ailleurs pas tort de penser que, pour sauver le systĂšme bancaire et/ou l’euro, l’EurosystĂšme est prĂȘt Ă  tout, ou presque « quoiqu’il en coĂ»te », mĂȘme si, pour cela, il faut avoir recours Ă  de l’argent magique.

Bien entendu ces rachats d’actifs ne conduisent pas non plus Ă  ce qu’espĂšrent, ou semblent espĂ©rer, les dirigeants de la BCE et de l’EurosystĂšme, certains actifs sont plus prisĂ©s que d’autres, mĂȘme si la BCE a tentĂ© de minimiser cette ‘discrimination’. L’effet de cette abondance monĂ©taire a entrainĂ© une forte augmentation des soldes Target2, soit en positif soit en nĂ©gatif. Les « marchĂ©s financiers » ne se laissent pas mener si facilement, et si un Finlandais a envie de se dĂ©sinvestir en Italie pour rapatrier ses fonds, la BCE ne pourra rien y faire, Ă  moins de pouvoir restreindre, voire interdire, des transactions Target2.

 Il se trouve que la BCE ne dispose pas directement du pouvoir d’empĂȘcher les transactions Target2 entre deux pays de l’eurozone. Certes, les banques centrales peuvent elles-mĂȘmes refuser de valider une transaction internationale issue d’un pays « douteux », en fixant des pĂ©nalitĂ©s aux banques commerciales qui voudraient se libĂ©rer de leur tutelle. Autant dire que c’est le systĂšme bancaire du pays concernĂ© qui s’Ă©croulerait tout entier. D’oĂč la marche arriĂšre effectuĂ©e par la GrĂšce, en dĂ©pit des rodomontades de TsĂ­pras. Quitter l’euro, ce n’est pas si simple, surtout sans volontĂ© politique avĂ©rĂ©e. Maintenir sous perfusion la GrĂšce Ă©tait d’ailleurs le but de ce que le regrettĂ© Maurice Allais appelait l’Organisation de Bruxelles, et que le souverainiste Philippe de Villiers a rĂ©cemment dit vouloir quitter, avec sa ‘BruxellesExit’

Tout en restant dans l’eurozone, ou UEM, Union EuropĂ©enne MonĂ©taire, c’est-Ă -dire dans une zone qui Ă©change sinon la mĂȘme monnaie, du moins une monnaie commune, on voit que le cas oĂč un pays ne rĂ©glerait pas, d’une façon ou d’une autre, son dĂ©ficit, qu’il soit commercial ou financier, Ă  un autre pays ne peut pas vraiment se prĂ©senter. Les mĂ©canismes monĂ©taires du SEBC, dirigĂ© par la BCE, interdisent une telle situation, du moins tant que la BCE et les Banques Centrales acceptent de financer ces Ă©changes, aussi inĂ©gaux soient-ils. Les pouvoirs de la BCE sont donc bien immenses, surtout face Ă  des volontĂ©s politiques plus qu’hĂ©sitantes.

Il en irait évidemment fort différemment entre des pays ayant des monnaies différentes, le procédé de régulation jouant cette fois sur les modifications sur les taux de change entre monnaies, ou encore par la main mise forcée des entreprises du pays exportateur sur des entreprises du pays importateur.

Les soldes Target2, avec la bĂ©nĂ©diction de la BCE, et son maintenant fameux « QE », ou APP, ou « programme d’achats d’actifs » semblent donc lĂ  pour permettre tout rĂ©Ă©quilibrage entre les nations qui composent l’Eurozone. D’oĂč la question suivante :

Les soldes Target2, crĂ©ances plus dettes, peuvent-ils monter indĂ©finiment, « quoiqu’il en coĂ»te » ?

Qui cela dĂ©range, et comment s’y opposer. DĂ©sindustrialisation, les entreprises s’en moquent.

Pour fixer les idĂ©es, nous allons nous limiter ici au cas des 6 pays qui ont formĂ© le MarchĂ© Commun en 1957, Ă  savoir France, Italie, RFA (ou Allemagne de l’Ouest) et BĂ©nĂ©lux (Belgique, Hollande et Luxembourg). Le chroniqueur Eric Zemmour dirit que l’on retrouve ainsi plus ou moins les limites de l’empire de Charlemagne. Il est souvent dit que les habitants des pays du Sud, dont ceux de l’Italie – puisque nous ignorons ici le Portugal, l’Espagne et la GrĂšce, qui ne faisaient pas partie du marchĂ© commun initial – et dans une moindre mesure ceux de la France, tiraient parti du travail des pays du Nord, dont ceux de l’Allemagne, voire qu’ils vivaient Ă  leurs dĂ©pens.

Ce que l’on peut dire, d’un point de vue global, macro-Ă©conomique, financier est la chose suivante.

L’Italie, quoique ayant un solde commercial positif, a un « dĂ©ficit Target2 » trĂšs important, alors que la France, en dĂ©pit d’un dĂ©ficit commercial soutenu depuis 2005, a des soldes target2 assez faibles, et mĂȘme positifs depuis quelques mois. Il est vrai que les dettes publiques de l’Italie sont encore nettement plus importantes que celles de la France, et que la situation de ses banques commerciales est bien plus prĂ©occupante, les deux questions Ă©tant sans doute liĂ©es.

L’Italie, comme l’Espagne d’ailleurs, exportent plus qu’elles n’importent, mais les dettes, publiques ou privĂ©es de leurs entreprises ou de leur Ă©tat, sont de plus en plus prĂ©occupantes, ce qui se retrouve Ă  la fois dans l’Ă©tat de leur systĂšme bancaire, mais aussi dans le bilan de leurs banques nationale, banque d’Italie et Banque d’Espagne. De nombreux investissements ou placements financiers les ont quittĂ©s pour se retrouver dans des placements plus prometteurs ou d’apparence moins risquĂ©e, ce qui peut expliquer les crĂ©ances Target que l’on retrouve au Luxembourg et en Irlande. Leurs banques centrales en payent le prix, au sens oĂč une partie de la monnaie qu’elles crĂ©ent part ailleurs, que ce soit en Allemagne, en Irlande ou au Luxembourg.

Plus prĂ©cisĂ©ment, la France, en 2018, avait pour principaux fournisseurs, l’Allemagne, pour 18% de ses achats extĂ©rieurs, la Belgique, pour 10%, et les Pays Bas pour 8%. En ce qui concerne son solde dĂ©ficitaire, il Ă©tait de 16 Milliards vis-Ă -vis de l’Allemagne, ce qui reprĂ©sente environ 25% des 60 milliards de son dĂ©ficit commercial annuel moyen, dĂ©ficit qui se rĂ©duit Ă  la moitiĂ© si on intĂšgre les services, dont 17 milliards pour le Tourisme. Notons cependant que plus de la moitiĂ© du dĂ©ficit commercial, soit 34 milliards en 2018, est due Ă  l’achat de produits manufacturĂ©s, bien plus important donc que nos importations d’hydrocarbures.

De fait, le 1/3 du dĂ©ficit commercial de la France se fait avec la Chine, donc hors zone euro, mĂȘme si la France reste dĂ©ficitaire, en ce qui concerne sa balance des paiements intra-europĂ©ens, de 5.5 milliards avec la Hollande. De fait, le dĂ©ficit commercial de la France est pour moitiĂ© interne Ă  l’Union EuropĂ©enne mĂȘme si cela ne se voit guĂšre au niveau des soldes Target2, devenus lĂ©gĂšrement positifs, sous formes de crĂ©ances, depuis quelques mois. Apparemment on fait davantage confiance, sur les marchĂ©s interbancaires, aux banques commerciales françaises qu’aux banques italiennes, dont les « dettes Target2 », elles, atteignent un niveau plus qu’inquiĂ©tant, de l’ordre du 1/3 de son PIB, qui n’est dĂ©passĂ©, en valeurs relatives, que par les dettes Target2 de l’Espagne, si nous nous limitons aux pays les plus importants Ă©conomiquement de l’Eurozone.

L’exemple de l’Italie : d’oĂč vient donc son dĂ©ficit Target2.

Venons-en donc maintenant au cas de l’Italie, qui en dĂ©pit d’une position commerciale bien meilleure que celle de la France est empĂȘtrĂ©e dans sa dette publique, question que nous ne ferons qu’effleurer  ici, ce sujet Ă©tant traitĂ© ailleurs, et dans la mauvaise situation de ses banques commerciales et donc, par contagion, dans celle de sa banque centrale, la banque d’Italie.

 

En fait contrairement Ă  la France, c’est surtout dans le domaine des services que l’Italie est faible, et plus encore dans l’attractivitĂ© qu’elle reprĂ©sente pour les investissements ou financements Ă©trangers. De nombreux placements venus de l’Ă©tranger, ou mĂȘme de l’Italie, ont quittĂ© le pays depuis quelques annĂ©es, pour aller s’investir dans des pays jugĂ©s plus prometteurs, comme l’Allemagne (pour les placements industriels) ou le Luxembourg (placements financiers ou Ă©vasion fiscale). Si les soldes Target2 de l’Italie, ses « dettes Target2 », sont si importantes, ce n’est donc pas ici, pas plus que pour l’Espagne, Ă  cause d’une balance courante qui serait dĂ©ficitaire, mais plutĂŽt du fait de la fuite des capitaux.

Stigmatiser Italiens ou Espagnols, sous le prĂ©texte qu’ils consommeraient sans travailler aux dĂ©pens des travailleurs allemands, plus courageux, n’est manifestement pas justifiĂ©, du moins si l’on se contente de regarder leur solde commercial, qui est positif, Ă  l’inverse de celui de la France.

En revanche on peut s’interroger sur le fait que le coĂ»t du travail est, par rapport Ă  celui de la France, de 30 Ă  40% plus faible en Espagne et en Italie, ce qui explique que les exportations de ces deux derniers pays soient plus importantes. Notons cependant que le nombre d’heures travaillĂ©es, en Italie comme en Espagne, est 10% plus important qu’en France, les « 35 heures » d’Aubry-Jospin n’y sont sans doute pas Ă©trangĂšres.

Quelques donnĂ©es statistiques sur le coĂ»t du travail et le nombre d’heures travaillĂ©es dans l’U.E

Données 2019 en euros ou % ou heures

CoĂ»t horaire Main d’Oeuvre

Salaire_traitement brut moyen

Part des salaires dans le coût du Travail

Cotisations Ă  la charge de l’employeur

Moyenne d’heures travaillĂ©es par salariĂ©

Bulgarie

6.0

5.0

83.3

1.0%

1742

Espagne

21.4

15.8

73.8

5.7%

1767

Royaume-Uni

27.3

22.8

83.5

4.5

1925

Italie

27.9

19.8

71.0

8.1

1725

Pays-Bas

35.3

27.2

77.1

8.1

1799

Allemagne

35.9

28.3

78.8

7.7

1678

France

37.3

25.5

68.4

11.7

1579

SuĂšde

39.0

26.3

67.4

12.6%

1699

Belgique

40.8

29.9

73.3

10.9

1561

Remarquons aussi que, du fait de cotisations sociales beaucoup plus faibles en Italie, et surtout en Espagne, certains exportateurs français ont quelques arguments pour prétendre que les exportations de ces deux pays sont implicitement subventionnées.

Ainsi, au-delĂ  d’une justification purement Ă©conomique, qui serait donc inexacte, la question des subventions, avouĂ©es ou non, mais indirectes des banques italiennes ou espagnoles Ă  leurs entreprises conduit Ă  s’interroger sur le financement dont bĂ©nĂ©ficient les entreprises italiennes et espagnoles et, au-delĂ , du systĂšme social lui-mĂȘme. Il faut bien en effet tenter d’expliquer l’importance des flux financiers qui quittent l’Italie (ou l’Espagne), ce que leurs dĂ©ficits Target prouvent nettement. Cette fuite financiĂšre est confirmĂ©e, sinon causĂ©e, par le diffĂ©rentiel de rendement, le « spread », exigĂ© sur les obligations d’Etat italiennes vis-Ă -vis des obligations allemandes ou mĂȘme françaises, diffĂ©rentiel qui est de l’ordre de 2.5 Ă  3 % depuis 10 ans.

Quelques pistes pour expliquer le paradoxe italien

On dit souvent que les dĂ©penses publiques de la France, si l’on ajoute Ă  son budget stricto sensu ses dĂ©penses sociales ainsi que les dĂ©penses des collectivitĂ©s territoriales, sont parmi les deux ou trois plus importantes du monde, au mĂȘme niveau que celles du Danemark, et en moyenne  On arrive ainsi Ă  56% de dĂ©penses publiques, pour des recettes de l’ordre de 53%, si l’on ajoute aux diffĂ©rents impĂŽts, taxes et autres cotisations sociales ses recettes propres liĂ©es Ă  des services publics particuliers.

L’Italie, aussi dĂ©pensiĂšre soit-elle, ne dĂ©pense « que » 50% de son PIB, ses dĂ©penses sociales Ă©tant plus basses d’environ 2.5% que celles de la France relativement Ă  son PIB, rĂ©fĂ©rentiel jugĂ© indispensable aux comparaisons internationales, en dĂ©pit des rĂ©serves que nous lui avons apportĂ©es.

D’ailleurs, en ce qui concerne les dĂ©ficits publics, notons que si l’Allemagne a un excĂ©dent budgĂ©taire de 1.4% en 2019, l’Italie, avec un dĂ©ficit de 1.6% s’en sort plutĂŽt mieux que la France, dont le dĂ©ficit avoisine les 3%. Ces diffĂ©rences Allemagne/Italie peuvent donc expliquer que les investisseurs font plus confiance Ă  l’Allemagne qu’Ă  l’Italie, ce qui est confirmĂ© Ă  la fois par les « spreads » entre les titres allemands et les titres italiens et par des soldes Target fort diffĂ©rents. Mais cela n’explique pas vraiment la diffĂ©rence de traitement, bien moins sensible, entre l’Allemagne et la France, Ă  moins bien sĂ»r que la situation politique de ces deux pays, France et Italie, leur semble moins sujette Ă  caution, en sus du fait que l’Italie semble avoir davantage de vellĂ©itĂ©s de quitter l’Eurozone.

De fait, si l’on pense que l’Italie peut quitter l’euro et retrouver sa monnaie nationale, les marchĂ©s financiers prĂ©fĂšrent placer leurs disponibilitĂ©s financiĂšres dans l’euro allemand que dans l’euro italien, quitte Ă  accepter un rendement 2 Ă  3% moins Ă©levĂ©. Et cette prĂ©fĂ©rence « pro euro allemand » se concrĂ©tise sur les soldes Target de la façon suivante :  lorsque la Banque d'Italie rachĂšte des titres italiens Ă  un agent Ă©conomique localisĂ© en Allemagne, elle s'endette vis-Ă -vis de Target 2 et la Bundesbank obtient une crĂ©ance.

(le graphique ci-dessus reprĂ©sente les taux d’intĂ©rĂȘt sur les obligations d’Etat italiennes °/taux allemands et français au 01/02/2020, le graphique ci-dessous les donnĂ©es du 1/06/2019)

Rappelons encore que ces « spreads » ne semblent pas vraiment dus aux dĂ©ficits publics comparĂ©s de la France et de l’Italie, la France s’avĂ©rant en moyenne plus dĂ©pensiĂšre depuis 2006 que l’Italie, mĂȘme si sa dette publique est nettement moins Ă©levĂ©e, Ă  en juger par le graphique ci-dessous :

 

 

Conclusion provisoire, en partant du cas de l’Italie comparĂ© Ă  celui de la France

En conclusion, la comparaison des mouvements commerciaux et financiers ayant lieu entre les trois ou quatre plus grandes Ă©conomies de l’Eurozone, si elle permet d’expliquer, pour partie, la situation fort prĂ©occupante de l’Italie et de l’Espagne vis-Ă -vis de l’Allemagne, n’est pas suffisante pour expliquer que la France semble s’en tirer fort bien.

La logique des marchĂ©s financiers n’est donc pas uniquement celle des marchĂ©s purement commerciaux, Ă  moins bien sĂ»r de rechercher la cause profonde de ces divergences dans la situation prĂ©occupante, pour ne pas dire catastrophique, des grandes banques italiennes (et espagnoles), trĂšs Ă©loignĂ©e de celles des quatre ou cinq grandes banques françaises.

Un dossier fort intĂ©ressant de l’UPR, dĂ©but 2018, a mis en valeur cette situation prĂ©occupante en ciblant plus particuliĂšrement les crĂ©ances « douteuses », appelĂ©es aussi PNP, prĂȘts non performants, ou « Non Performing Loan », crĂ©ances sises Ă  l’actif des banques italiennes, en calculant le ratio PNP/bilan, qi, d’aprĂšs la BCE, est un bon indicateur du risque couru par les banques concernĂ©es.

On voit ainsi que mĂȘme si ce ratio s’est amĂ©liorĂ© en 3 ans pour l’Italie, en passant de 16.8 Ă  10%, il reste trĂšs largement supĂ©rieur Ă  celui de la France, passĂ© de 4 Ă  3% et Ă  la moyenne de la zone UE, de 4% en mars 2018.

Le montant de ces crĂ©ances douteuses est l’une des principales causes des difficultĂ©s qu’avaient Ă  l’Ă©poque les banques italiennes pour accĂ©der au marchĂ© inter-bancaire, bien plus en tout cas que leurs analogues françaises, question qui ne s’est guĂšre amĂ©liorĂ©e depuis lors. Ce phĂ©nomĂšne a pu exiger que les contreparties de la monnaie centrale, l’euro italien, crĂ© par la banque centrale italienne soient de meilleure qualitĂ©. On a ainsi une monnaie italienne qui est crĂ©Ă©e moins vite, et qui s’Ă©chappe plus vite, que la monnaie crĂ©Ă©e par la Banque de France. C’est en tout cas ce qu’indiquent les derniers bilans comparĂ©s de la banque de France et de la banque d’Italie.

C’est ainsi que fin fĂ©vrier 2021, le bilan de la Banque de France avait augmentĂ© en 14 mois de prĂšs de 600 milliards, soit de 54%, celui de la banque centrale d’Italie de 340 milliards, c’est Ă  dire 36%, tandis que les soldes target2, positifs, de la France avaient augmentĂ© de plus de 47 milliards, les soldes Target2, nĂ©gatifs, de l’Italie, s’aggravant encore de 95 milliards.

Quant aux rĂ©serves des banques commerciales figurant au passif des banques centrales respectives, lĂ  encore, pas de comparaison possible. Les bnques françaises disposent de rĂ©serves de 785 milliards d’euros, alors que les banques italiennnes se contentent  de 256 milliards. On comprend alors pourquoi la situation des banques commerciales françaises, aussi fragile soit-elle, est sans commune mesure avec le triste Ă©tat des banques italiennes.

Ce dernier point montre pourquoi, mĂȘme si le taux d’Ă©pargne des Français n’a guĂšre que 2% de plus que le taux italien, le financement des investissements est beaucoup plus difficile en Italie qu’en France, et que le recours Ă  la crĂ©ation monĂ©taire, dĂšs lors que l’Ă©pargne est insuffisante, ne peut pas non plus ĂȘtre une solution.

Mais nous reverrons cette question du financement ‘monĂ©taire’ des  investissements, lorsque l’Ă©pargne ne suffit pas, dans un autre dossier. Quant Ă  la sortie de l’euro, c’est un point qui reste ouvert, et qui dĂ©pend essentiellement des cargaisons de monnaie que la BCE est prĂȘte Ă  dĂ©verser dans l’eurozone, et de la patience des marchĂ©s financiers face Ă  l’abondance des euros « italiens » qui se retrouvent en Allemagne ou au Luxembourg, dĂšs lors qu’il n’apparaĂźtrea pas plus rentable d’aller investir dans d’autres zones du monde.

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

DĂ©ficit commercial et dettes, qui s’en soucie vraiment

Des dettes indexĂ©es sur l’inflation!

Quand la France roule ses dettes!