Sortir de l'UE, quelques arguments d'ordre économique
Protectionnisme
ou libre-échange, protectionnisme ET libre échange, dans l'U.E. ou en dehors
De nombreux « souverainistes » s’interrogent sur la possibilité, ou l’intérêt, de permettre à la France de se libérer, pour tout ou partie, des liens, voire des chaînes, qui la relient à l’U.E., l’Europe de Bruxelles aurait dit Philippe de Villiers à la suite de Maurice Allais.
Pour avoir des arguments, pour ou contre cette décision politique plus que difficile, j’ai pensé judicieux d’étudier la situation économique de la France par le biais d’une comparaison raisonnable entre les avantages du protectionnisme, peut être limité, et ceux d’un libre-échange que beaucoup souhaitent le plus total possible.
Pour ce faire, je m’appuierai tout d’abord sur un de mes billets « pour un protectionnisme moderne », écrit en juin 2011, qui mettait déjà en valeur les dégâts causés à notre industrie et à nos échanges commerciaux, avant d’évoquer quelques pistes qui pourraient permettre à la France de tenter de sortir de son marasme actuel, que l’épidémie actuelle n’a fait qu’accentuer.
Face aux délocalisations, à la désindustrialisation de la France, au déficit croissant de sa balance commerciale, on peut trouver raisonnable de questionner le modèle économique qui a conduit la France à une telle situation
De fait, si la France, en 20 ans, a vu sa production industrielle de passer de 22% à 11% de son PIB – quel que soit l’avis que l’on puisse avoir sur les qualités de cet indicateur - on peut évidemment s’interroger, d’autant plus que notre principal concurrent européen, l’Allemagne, na vu décroire son pourcentage de production industrielle que de 25% à 21%
Pendant ce même temps, en fait plus précisément depuis l’instauration de l’euro en 2002, on a vu le déficit commercial de la France exploser pour osciller entre 40 et 60 milliards d’euros annuels, pendant que l’Allemagne, elle, engendrait annuellement des excédents commerciaux avoisinant les 200 milliards
Ceci est d’autant plus déplorable que jusqu’à cette période, la France avait un solde commercial positif. Que s’est-il donc passé ?
Ce que l’on peut d’ores et déjà dire, c’est qu’il serait déraisonnable de ne pas se pencher à la fois sur la question du déficit de la balance commerciale de la France et sur la décroissance de la puissance industrielle de la France.
Certes on aurait pu imaginer que la part de l’industrie baisse tandis que d’autres secteurs économiques, comme les services, compensent totalement cette diminution, ce qui est infirmé par nos déficits commerciaux qui ont pris place simultanément. Dit autrement, pour compenser ses déficits industriels, il a fallu que la France ait recours à toujours plus d’importations, très loin d’être compensées par des exportations, le déficit étant de l’ordre de 3 à 4% de son PIB, les exportations tournant autour de 22% tandis que les importations étant de l’ordre de 26%.
Il est vrai que la balance des paiements apparaît moins défavorable, puisque grâce aux ventes de biens et service, ce déficit est plutôt de l’ordre annuel de 20 à 25 milliards.
Quoiqu’il en soit, dès lors que la balance courante des biens et services restait durablement déficitaire, il a bien fallu compenser cette différence, ce qui a donné lieu à toujours plus d’endettement, dès lors que le travail fourni en France ne suffisait plus à équilibrer ses échanges avec l’extérieur. L’épargne des Français n’a plus suffi à compenser les investissements nécessaires pour développer l’industrie, et les exportations ne suffisaient plus à couvrir les importations, d’où la nécessité de financer ces insuffisances par des dettes, comme le chapitre sur la monnaie nous le précisera. Toute création monétaire ne reposant pas sur une production existante, et utile, finit par se payer, il n’y a pas d’argent magique, les dettes n’enrichissent pas.
C’est ainsi que les dettes privées ont commencé à exploser, tandis que les dettes publiques, elles aussi, n’ont plus jamais cessé de croitre pour une raison analogue, elle aussi très simple à comprendre : l’état dépensant plus que ce qu’il prélève, le déficit public, et donc la dette publique, ne pouvaient qu’augmenter, même si on ne tient pas compte de circonstances exceptionnelles comme la crise des sub-primes et de Lehman Brothers, de 2018, et de la pandémie actuelle.
Laissons cependant de côté, pour le moment, la question des dettes, publiques ou privées, que nous préciserons quand nous aborderons les questions monétaires, et concentrons-nous sur la seule question des échanges entre la France et les autres pays avec lesquels elle commerce.
Samir Amin, économiste ‘tiers-mondiste’ avait repris, il y a une trentaine d’années, les thèses de Marx – et d’une certaine façon, de Ricardo – pour parler d’échange inégal. A l’époque c’était pour soutenir la thèse d’un pillage des nations du Sud, dont l’Egypte, par les nations du Nord.
Que ses arguments aient été en partie idéologiques n’enlève rien à l’affaire. Que ce soit par l’intermédiaire indirect de ses entreprises, ou par tout autre moyen, dans le concert des nations, les nations ou les entreprises qui se sentent plus fortes que les autres ont tendance à en abuser, et à faire en sorte que les échanges soient ‘inégaux’. Il est sans doute irréaliste de supprimer complètement ces échanges inégaux, mais il est indispensable de mettre en place des régulations pour diminuer fortement ce type d’échanges.
Au tout début de la création de l’ONU, certains économistes, sous l’influence de Keynes, qui devait décéder peu après, avaient déjà compris que des déséquilibres économiques trop importants pouvaient conduire, au-delà d’une simple guerre commerciale, à une guerre tout court, et cherchaient à l’empêcher par des régulations freinant, sans les supprimer complètement, la possibilité d’échange inégal : ce fut pour cela qu’une charte, dite charte de la Havane, fut rédigée en 1948, sous l’égide de l’ONU, même si elle ne fut jamais appliquée.
Mais avant de se demander en quoi consistait cette charte, et pourquoi elle ne fut pas appliquée, il convient sans doute de revenir sur le concept d’échange inégal, en l’illustrant d’abord par quelques exemples illustratifs.
Le premier exemple, macroéconomique, correspond justement au déficit de la balance courante de la France. La France exporte moins de biens et services qu’elle n’en importe, comme nous l’avons vu précédemment.
Bien entendu, les frontières étant poreuses, les flux financiers peuvent venir compléter, au moins partiellement, les insuffisances des échanges directement liés au commerce de biens et services. C’est ainsi que ces flux, qu’ils consistent en prêts interbancaires à plus ou moins long terme, d’investissements dans le capital d’entreprises françaises venus de l’étranger, ou encore de placements en Bourse ont pu « presque » équilibrer notre balance commerciale, tout en nous rendant dépendants de l’extérieur plus qu’il n’aurait été souhaitable, si tant est que notre indépendance ait intéressé nos dirigeants.
Le tableau ci-dessous précise ces différents flux, par semestre, entre janvier 2010 et 2020
La notion même d’échange inégal évoquée par Samir Amin, et qui était sous-jacente aux discussions ayant entouré l’écriture de la Charte de la Havane, n’avait pas lieu d’être pour les économistes classiques comme Adam Smith ni pour Ricardo.
Ricardo ne se posait sans doute même pas cette question : pour lui tout échange était nécessairement équilibré, sinon il n’aurait pas lieu : c’était peut-être vrai quand c’était les pays qui étaient concernés par les échanges commerciaux, comme entre les exemples du Portugal et de l’Angleterre, échangeant vin contre étoffe.
En cas de déséquilibre, l’éventuelle nécessité de rééquilibrage se serait faite par des paiements en or ou en métal précieux. Ou alors les pays excédentaires se payaient par d’autres butins.
Mais nous n’en sommes plus là de nos jours : sauf dans le cas de pays collectivistes, comme a pu l’être l’URSS et comme l’est peut-être encore Cuba, ce ne sont pas les pays qui échangent entre eux mais les entreprises, même si, parfois, il y a quelques exceptions comme dans le cas de matériels militaires, pour lesquels ministres, voire présidents, s’impliquent directement.
A l’époque de Ricardo, la question des délocalisations ne se serait pas non plus produite, un pays ne délocalisait pas dans un autre, il pouvait éventuellement l’envahir ou le coloniser, partiellement, comme les comptoirs français en Inde ou la main mise britannique sur Honk Kong, ou totalement, la Perse sur la Judée, l’empire Ottoman sur tout le pourtour méridional et oriental de la Méditerranée, la France sur l’Afrique Occidentale, l’Angleterre un peu partout, en commençant par l’Amérique du Nord : de tels exemples abondent au cours de l’histoire.
Indépendamment des échanges entre entreprises, la notion de libre-échange et, inversement, de protectionnisme, n’a de sens que si l’on fait intervenir les nations ou quand il y a symbiose entre les entreprises d’un pays donné et le pays lui-même. Pour Apple ou IBM, la notion de « chaîne de valeurs » a depuis longtemps remplacé celle d’appartenance à un pays donné, sauf éventuellement pour savoir où leur siège social doit être situé, et où il fit bon vivre pour leurs dirigeants. Le libéralisme est leur leitmotiv, et le concept de protectionnisme ou de libre-échange n’a de sens que si l’existence de frontières peut nuire à l’efficacité de leurs chaînes de valeurs, et donc à leurs profits.
Pour en revenir au cas de la France, l’existence de frontières ne préoccupe les entreprises d’origine française ou implantées en France, que dans la mesure où cela peut nuire à leurs affaires, du fait d’éventuels droits de douane ou de taux de change défavorables. Mais elles choisiront toujours de produire en fonction à la fois de leur clientèle et de leurs moyens de production. Si pour vendre en Chine de façon profitable il faut fabriquer en Chine, comme Stellantis-PSA va le faire pour sa nouvelle berline C5X, elle le fera.
Aussi, le déficit commercial que certains mettent sur le dos de travailleurs français qui seraient moins compétents ou plus paresseux que ceux d’autres pays est évidemment à relativiser, même si, effectivement, la durée de travail moyenne des salariés français n’est pas celle qui est la plus élevée dans l’U.E, les « 35 heures » sont passées par là.
En dehors même du fait que les entreprises françaises n’ont pas nécessairement consacré les efforts qu’il aurait fallu faire pour moderniser leurs usines, il faudrait aussi se alors se demander ce qui au pu se passer pour que ce soit le cas depuis les années 2000, alors qu’avant cette date le solde commercial en biens et services de la France était positif. Trois explications sont parfois évoquées, le passage aux 35 heures entre 2000 et 2002, l’entrée de la Chine dans l’OMC le 11 décembre 2001 et l’instauration de l’Euro début 2002, mais laissons là ces explications pour le moment, pour en évoquer une autre, plus souvent évoquée, celle des conditions ou des coûts du travail.
De fait, quand les produits échangés ne peuvent être fabriqués que dans un pays bien précis, les conditions de travail n’ont pas d’influence : si la production de manioc ne peut exister qu’en Afrique occidentale, les conditions de travail en Hollande ne seront pas pertinentes, même si, bien sûr, la Hollande peut chercher d’autres substances qui pourraient remplacer le manioc si cette denrée lui semble trop onéreuse
Mais lorsqu’il s’agit de produits manufacturés qui ne réclament pas une expertise exceptionnelle, il en va différemment.
Prenons ainsi le cas d’une voiture fabriquée en France : si la même automobile peut être fabriquée au Maroc, dans les mêmes conditions de fiabilité et de qualité, le fait que les salaires marocains soient 4 à 5 fois plus faibles, et que le travailleur marocain travaille 40 heures, contre 35 pour le travailleur français, va évidemment inciter les fabricants français à s’interroger sur l’intérêt de continuer à fabriquer en France. Il peut être plus intéressant de délocaliser leur production au Maroc, même pour vendre en France, si les coûts de transport et de douane ne sont pas prohibitifs.
Bien entendu, l’expertise initiale du Maroc n’est pas la même que l’expertise française. Mais quand il s’agit de travail à la chaîne, rien n’empêche un constructeur français, que ce soit PSA ou Renault, de délocaliser une partie de ses chaînes de fabrication et de ses usines au Maroc. En dehors de l’investissement initial, non négligeable mais qui peut être amorti très rapidement, le coût de la main d’œuvre directe représentant de l’ordre de 20% (le prix du simple assemblage étant plus proche de 3%), le coût du travail indirect étant à peu près équivalent, ce qui est à rapprocher d’une étude de l’INSEE de 2019, le coût du travail direct et indirect représente en moyenne la moitié de la production en valeur.
Ainsi, si on considère que le prix d’une voiture de moyenne gamme est de 15000 euros, le coût du travail direct représenterait 3000 euros. Si on peut diviser par 4 ou 5 ce coût, cela permettrait de diminuer le prix de vente de 2000 euros, pour une même marge, sans parler de ventes plus importantes, si l’on considère que pour de telles voitures moyennes l’élasticité au prix n’est pas négligeable. Il suffit donc que les coûts de transport et de douane soient inférieurs à 2000 euros pour que Peugeot ou Renault n’aient pas le moindre état d’âme. Rappelons-nous que c’est en déclarant que les USA allaient augmenter de façon très importante les droits de douane que Trump avait réussi à rapatrier en 2018 la fabrication de certains modèles d’automobile de Mexique vers les USA.
Bien entendu, ce qui est valable pour le secteur automobile, qui demande quand même une main d’œuvre déjà qualifiée, est encore plus vrai pour des biens de consommation courante, comme le textile, qui a presque entièrement disparu en France, en dehors de niches bien spécifiques.
Ne parlons pas non plus de filières industrielles comme l’acier ou l’aluminium, ou encore les pneumatiques, dont les rares usines encore en service ferment les unes après les autres alors que la France était encore leader de ces secteurs il y a seulement une vingtaine d’années avec respectivement Usinor, Péchiney ou Michelin
Michelin, qui reste encore leader mondial, certes, a en effet délocalisé l’essentiel de sa production hors de France. Usinor, devenu européen sous le nom de Arcelor, a perdu toute son autonomie et ses spécifications françaises lorsque Arcelor est devenu Arcelor-Mittal tandis que ce nouveau conglomérat reste lui, leader de la production d’acier dans le monde, très peu de cet acier étant maintenant produit en France.
Bien entendu ce phénomène de mondialisation et délocalisations n’est pas spécifique à la France, ni à des pays en déclin. Ainsi, au moins pour l’automobile, on a connu le même processus aux Etats Unis, vis-à-vis du Mexique, comme nous l’avons vu en rappelant que le président Trump, à peine élu, avait menacé en 2017 de taxer fortement les voitures américaines qui seraient produites à l’étranger et vendue aux USA. Bien entendu, ce type de menace ne peut avoir le moindre effet sur des voitures vendues et fabriquées à l’étranger.
Mais revenons maintenant au coût de production « humain »
dans les chaines de valeur.
Si vous payez un ouvrier français cinq à dix fois plus qu’un ouvrier chinois, à
compétences égales, il est sûr que le produit chinois reviendra moins cher
qu’un produit français. Par ailleurs, le scandale de l’héparine – médicament
anti-coagulant dont le principe actif provient presque uniquement de l’élevage
porcin chinois – avait déjà montré en 2008 que les conditions de qualité et de
sécurité n’y sont sûrement pas au même niveau qu’en France, et plus généralement
en Europe occidentale. Cela n’a pas empêché l’industrie pharmaceutique
européenne de délocaliser la fabrication de 80% de ses principes actifs en
Chine ou en Inde, ce qui n’a pas été sans poser de « légers problèmes »
au moment du déclenchement de l’épidémie du Covid, en 2020.
Ces échanges inégaux, donc, entre pays aux conditions sanitaires et salariales différentes ne sont certes pas nouveaux, même si on peut se demander pourquoi elles ne semblent pas avoir suscité beaucoup d’intérêt chez les économistes « mainstream », cramponnés qu’ils sont, et qu’ils étaient, aux théories de Smith et de Ricardo sur la division internationale du travail et des avantages comparatifs entre nations, alors que la question concerne essentiellement des entreprises multinationales qui s’installent là où elles pensent faire davantage de profit, sans lien véritable avec leur nationalité d’origine.
Mais avant de tenter de comprendre et surtout de freiner, voire d’arrêter ce phénomène, je voudrais maintenant prendre un deuxième exemple d’échange inégal.
Un autre échange inégal, qui a cru en importance au cours des dernières décennies, est celui entre la sphère financière et la sphère ‘réelle’, entre les bonus des grands patrons et les salaires des ouvriers à la chaîne. Nous verrons d’ailleurs que ce phénomène n’est pas sans lien avec ce que le journaliste économique Bruno Bertez dénonce en parlant de monétisation des actifs financiers. Il affirme, plus précisément, que la dérégulation commencée dans les années 1970 a permis d’assimiler les actifs financiers à de la quasi monnaie. Pour lui « La dérégulation a décroché la finance de l’épargne et de l’économie réelle. Elle lui a donné une nature monétaire. […] Les actifs financiers se sont détachés de leur valeur fondamentale pour devenir des avatars de la monnaie »
Pour en revenir à la différence de rémunération entre dirigeants et simples collaborateurs, il n’est évidemment pas question de vouloir la réduire à quia. Mais certains bonus sont scandaleux, en particulier ceux des dirigeants des grandes banques. Et il est scandaleux aussi que certaines grandes entreprises distribuent des dividendes énormes tout en bloquant les salaires de leurs collaborateurs.
Loin de moi l’idée, bien sûr, de ne pas récompenser les patrons qui réussissent si, lorsqu’ils échouent, ils en payent aussi les conséquences. Mais leurs collaborateurs, ingénieurs, cadres, et simples employés devraient aussi être récompensés, lorsque leur entreprise est compétitive. De plus, dans cette notion de ‘réussite’, un critère collectif, comme celui de faire travailler ‘localement’ – principe de subsidiarité ou préférence communautaire – plutôt qu’en délocalisant à outrance, pourrait être pris en compte.
Il ne s’agit pas ici d’être démagogue, ni même populiste, mais de remettre un peu de « décence » dans les rapports sociaux, en particulier à l’intérieur d’une même organisation. Ce n’est pas pour rien qu’Henry Ford, le célèbre constructeur de la Ford T, dans les années 1920, avait soutenu l’idée que le patron ne devrait pas gagner plus de 25 fois ce que gagnait son collaborateur le moins payé. En se calant sur le SMIC français, cela voudrait dire que toute rémunération mensuelle supérieure à 30 ou 35 000 euros, après impôts, devrait être interdite, si, du moins, dans l’organisation considérée, le plus bas salaire est le SMIC. Quoiqu’il en soit cet éventail de salaire, net, de 1 à 25, voire 30, me semblerait judicieux, ce qui est très loin d’être le cas de nos jours, en particulier dans la banque.
Toutefois, pour en rester sur ce sujet d’échange inégal « social », d’autres exemples peuvent être évoqués, qui ne sont pas nécessairement liés à l’exploitation des prolétaires par l’abominable capitaliste dont parlait Marx au XIX ème siècle, mais simplement aux différences de rémunération entre « ouvriers locaux » et travailleurs immigrés
De fait, on dit parfois que les dirigeants du CAC 40 ne sont pas spécialement opposés aux flux migratoires, parce qu’ils y trouveraient leur compte.
Les immigrés - surtout en situation illégale - sont des recrues de choix pour faire certaines tâches que les ‘nationaux’ n’ont pas envie de faire, soit parce que c’est trop pénible, soit parce que c’est mal payé, soit pour ces deux raisons simultanées.
De nombreuses voix, au cours des années récentes, se sont élevées pour dénoncer une immigration de plus en plus importante, qu’elle soit légale ou illégale, mais la dénoncer est une chose, la freiner efficacement apparaît beaucoup plus difficile, peut-être parce qu’on ne se place qu’au niveau politique ou idéologique, voire « humaniste », et que certaines entreprises très influentes n’y voient pas à redire.
Il y a bien plus simple, si on le veut vraiment. Il suffirait de punir très sévèrement – de la prison ferme par exemple (des amendes seraient sans grand effet) – tout patron qui aurait recours à des travailleurs ‘au noir’, et les sanctions pourraient être doublées dans le cas où ces travailleurs ‘surexploités’ seraient des travailleurs clandestins.
Ce type de situation sous-tend deux types d’échanges inégaux. Il y a un échange inégal – dans lequel le patron exploite la faiblesse de l’immigré ou du travailleur précaire – pour le faire travailler dans des conditions anormales. Mais il y a aussi un échange inégal entre certains salariés – qui profitent d’une rente de situation – et d’autres salariés ‘surexploités’.
Donnons en deux exemples : celui des grutiers du port de Marseille, et celui des travailleurs du Livre. Dans ces deux cas, du moins était-ce le cas naguère, grutiers et travailleurs du Livre étaient extrêmement bien payés par rapport à d’autres travailleurs, ayant les mêmes compétences, mais ne bénéficiant pas de tel ou tel avantage acquis, pour des raisons plus ou moins obscures.
Ainsi, face à la puissance, peu contestable, des réseaux de nos ‘élites’ – qui peut conduire à des excès de toute sorte - certains réseaux ‘ouvriers’ ne manquent pas non plus de répondant. Ce n’est pas la lutte des classes, c’est plutôt la lutte des castes, qui tente de broyer tout ce qui s’oppose à elles.
Mais revenons au travail au noir, c’est-à-dire au travail illégal. On pourrait évidemment me rétorquer que si personne ne veut « légalement » de certains emplois, il faut bien trouver une solution, si tant est que ces emplois sont indispensables, et donc que ce type de travail est la moins mauvaise des solutions.
On peut cependant imaginer d’autres pistes, les deux principales étant d’augmenter la rémunération correspondante, ou d’en diminuer la pénibilité, par exemple en utilisant des équipements adaptés. Il est clair cependant que le coût du travail en serait augmenté. Et si ces emplois sont délocalisables, ces solutions, humainement satisfaisantes, risquent d’entraîner de fâcheuses conséquences, comme une diminution des emplois de la branche ou du secteur concernés.
Quoiqu’il en soit, ce ne peut être que des solutions de court terme. Sur le long terme, il faut sans nul doute imaginer d’autres solutions, plus globales, et qui concernent des déséquilibres plus globaux, les échanges inégaux entre nations esquissés plus haut, et plus particulièrement ceux qui concernent la France et l’extérieur.
Les réflexions qui avaient conduit, entre 1944 et 1946, à l’élaboration de la Charte de la Havane n’avaient pas esquivé les questions posées par ces déséquilibres, mais s’étaient contentées, si l’on peut dire, de réfléchir au niveau très et trop global, en se contentant des échanges entre nations, comme si on était encore au temps de Ricardo.
Mais, que ce soit du fait des nations elles-mêmes ou d’entreprises multinationales, même si certains déséquilibres sont naturels sur de courtes périodes, à plus long terme ce n’est pas tenable, tout déséquilibre doit finir par se payer, un jour ou l’autre. Recevoir plus qu’on ne donne, si c’est envisageable à l’intérieur d’une même famille, d’un même groupe, ou d’un même pays ne peut s’envisager, à plus ou moins long terme, entre deux groupes, deux nations, deux pays distincts.
Ce qui est envisageable à l’intérieur d’un même pays, comme les Etats Unis entre les différents états qui le compose ne peut fonctionner entre deux pays distincts, qu’ils appartiennent tous les deux à l’Union européenne, comme la France et l’Allemagne, ou entre deux pays plus éloignés encore, comme la France et la Chine.
Si la France importe 20 milliards d’euros qu’elle n’exporte vers l’Allemagne, et 30 milliards de plus qu’elle n’exporte vers la Chine, ces déséquilibres, qui durent pourtant depuis plus de 15ans, ne peuvent durer indéfiniment.
Certes, après tout, si la France reçoit plus qu’elle ne donne, pourquoi pas pourrait-on dire !
Mais le monde économique ne fonctionne pas, hélas ou non, de cette façon. Ce que la France reçoit n’est pas gratuit : elle doit financer la différence entre le prix de ce qu’elle donne – c’est-à-dire qu’elle exporte – et ce qu’elle reçoit – c’est-à-dire importe. Ce financement, toutes autres choses égales par ailleurs, doit être financé, et ce ne peut être que par la dette, privée quand il s’agit d’achats privés, publique dans le cas d’achats publics.
Par ailleurs ce déficit commercial, s’il perdure, en sus de devoir être financé, va conduire les entreprises à se spécialiser, en faisant contre mauvaise fortune bon cœur, sous la pression de l’étranger. Cela a été le cas de la sidérurgie, du textile, et c’est aussi une des causes aussi des délocalisations, et de la désindustrialisation de l’économie française.
Les tenants de l’orthodoxie économique, c’est-à-dire du libre-échange, auront beau jeu de dire que les entreprises françaises doivent rester compétitives, et qu’elles doivent s’adapter, et que, en définitive, le consommateur français bénéficiera de cela, puisque en achetant à l’étranger des produits qui ne sont plus fabriqués en France, son pouvoir d’achat relatif en sera augmenté.
A l’appui de cette thèse, ils citeront l’exemple ricardien archi connu d’un « commerce fructueux » entre l’Angleterre et le Portugal pouvant produire dans chaque pays du vin et du tissu.
On va supposer ici qu’il faut un Anglais pour fabriquer 4 unités de tissu et 3 unités de vin, alors que le Portugais ne peut produire que 2 unités de tissu et 2 unités de vin.
Ricardo décrète fièrement que l’Angleterre va se spécialiser dans le tissu, et le Portugal dans le vin, car l’avantage comparatif de l’Angleterre vis-à-vis du Portugal est supérieur pour le tissu.
Dans le contexte ricardien, les capitaux et les « travailleurs » étaient supposés liés à un pays donné, seules les marchandises étaient mobiles. Il est clair que dans le contexte actuel, les flux de capitaux, d’hommes et de biens étant presque sans contraintes, c’est le mantra de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et les hypothèses ricardiennes ne sont plus valables, même si certains économistes ont tenté de montrer que ses conclusions restaient vraies.
Par ailleurs, il est faux que tout produit puisse être fabriqué partout, nul n’est besoin de penser aux seules ressources d’hydrocarbures, les terres rares de Chine ou le Nickel de Nouvelle Calédonie en sont un exemple évident.
Mais même en oubliant ce « léger » détail, à savoir que les ressources naturelles ne sont pas réparties uniformément dans le monde (ce que Ricardo savait déjà à propos des diverses qualités des terre agricoles, même si elles peuvent être amendées par le travail des hommes), les conditions de cet « échange inégal » peuvent parfois être amendées
Pour illustrer les concepts présentés plus haut, je vais maintenant passer par l’intermédiaire d’un dialogue fictif mais plausible, certaines de ces questions m’ayant d’ailleurs été posées par des militants au cours de ma courte carrière politique, dialogue portant donc sur la question cruciale du libre-échange et du protectionnisme
Q : Critiquez-vous le fait que les entreprises françaises veulent rester compétitives, et qu’elles doivent s’adapter ? Seriez-vous contre la compétition et la compétitivité des entreprises?
Je reviendrai plus tard sur le concept « d’entreprises françaises ». Mais si j’étais contre une « compétitivité raisonnable », je n’aurais pas enseigné pendant près de 40 ans à HEC. Mais la compétition n’a un sens que dans un contexte où les compétiteurs peuvent lutter à peu près à armes égales, ce qui n’est pas le cas. Maurice Allais – et bien d’autres – l’ont dit avant moi, et c’est aussi ce que nous dit le simple bon sens, si on le laisse s’exprimer sans l’enfermer dans la pensée unique d’une mondialisation sans vergogne et sans limites.
Q : Je ne vous savais pas altermondialiste. Mais si nous revenions à la question du financement du déficit commercial…
Les altermondialistes ne disent pas que des bêtises, en particulier quand ils ne se laissent pas dominer par leur idéologie. Je me contente pour ma part d’énoncer des faits, ceux que tout un chacun peut constater. La compétition actuelle est inégale, et il faut soit changer les règles pour rendre cette compétition plus égale – ce que je propose - soit refuser la compétition. La première méthode correspond à ce que l’on pourrait appeler un protectionnisme ‘raisonné’, la seconde approche – que je récuse – serait celle d’un protectionnisme archaïque, déraisonnable. Mais venons-en au financement du déficit commercial.
Q : Oui, que proposez-vous ?
Là encore, je vais peut-être vous surprendre, mais c’est du simple bon sens. A force d’accumuler des dettes, pour financer ce déficit, vous allez aboutir à une situation inextricable. C’est un simple problème de comptabilité.
Q : Cela commence mal. Je déteste la comptabilité.
Alors, disons que c’est un problème de plomberie. Imaginons que la puissance industrielle de la France (en économie, on représente parfois cette puissance par le PIB) soit représentée par le contenu d’une baignoire, dont vous voulez conserver le niveau à la même hauteur. Il se trouve cependant qu’il y a une fuite, et que cette fuite correspond à l’argent que la France – censée incarner les entreprises françaises - doit emprunter pour payer son déficit (60 milliards d’euros en 2010, pour un PIB de 1950 milliards). En combien de temps la baignoire France sera complètement vidée ?
Q : En 30 ou 35 ans. Cela nous laisse un peu de temps…
Oui et non, car non seulement ces fuites sont en train d’augmenter, mais la dette publique (la dette des finances publiques) de la France représente déjà 85% de son PIB. De plus, les débiteurs de la France ne vont peut-être pas attendre 35 ans pour se faire payer, d’autant plus qu’avec les intérêts – et même si nous ‘oublions’ la dette publique - ce n’est pas en 35 ans que la baignoire sera vide, mais en 15 ou 20 ans, moins d’une génération donc.
Q : Mais que peut-on faire ?
Il n’y a que deux méthodes, dont une est plus ‘morale’, ou ‘éthique’ que l'autre.
Q : Quelles sont-elles ?
La méthode très peu éthique serait de récuser les
dettes, et de refuser de payer.
Q : Cela n’inciterait pas d’éventuels futurs créanciers à se précipiter pour
financer d’éventuels nouveaux déficits ...
Certes. C’est bien pour cela qu’à terme, une seule méthode s’impose : il faut colmater les fuites, c’est-à-dire réduire, puis annuler complètement, le déficit commercial. Ou, en terme ‘marin’, ou ‘fluvial’, il s’agit de réguler les flux de biens et services, de jouer sur ce que l’on pourrait appeler des écluses.
Q : Pouvez-vous préciser?
Là encore, je vais peut-être vous étonner, mais cette méthode correspond forcément, sous une forme à une autre, à du protectionnisme ‘raisonnable’ et ‘raisonné’, qui fait partie d’un mécanisme de régulation plus global. Il est en effet essentiel de construire, ou reconstruire, des règles permettant à une saine compétitivité de fonctionner, mais cette compétitivité ne doit pas s’appuyer sur des distorsions liées à des conditions sociales iniques, ou à des défauts de qualité flagrants – comme pour les médicaments, dont 2 à 3% sont toxiques, lorsqu’ils proviennent des pays à ‘bas coût’ comme le Brésil ou la Chine.
Q : 2 à 3%, ce ne semble pas énorme ? Il ne faut peut-être
pas abuser du principe de précaution ?
Pour certains médicaments, comme le paracétamol, 2% d’erreur, ce n’est pas bien
grave. Pour des traitements de longue durée, pour lesquels le dosage doit être
respecté à la lettre, ce peut être catastrophique, en particulier pour les problèmes
rénaux, pulmonaires ou cardiaques.
Q : Admettons. Mais en quoi le protectionnisme que vous proposez serait-il raisonné, et non archaïque, même s'il apparaît nécessaire ?
Parce que le protectionnisme ‘raisonné’ que je propose n’est pas un protectionnisme aveugle de court terme, pour lequel on tenterait de freiner les importations et de favoriser les exportations – même si le rééquilibrage commercial peut et doit en être un des résultats - Il s’agit plus globalement d’inciter l’ensemble des entreprises françaises – et, au-delà, européennes - à jouer le jeu, celui d’une compétition aussi loyale que possible, à l’intérieur de règles à la fois précises et acceptables par tous.
Q : Quel jeu ?
Le jeu d’une certaine indépendance, à la fois financière et économique. On parle d’indépendance énergétique – même si les mesures annoncées par l’Allemagne sur le nucléaire et le renforcement des centrales thermiques ne vont pas dans ce sens – mais une indépendance économique est encore plus importante (et contient d’ailleurs cette indépendance énergétique).
Q : Comment voulez-vous retrouver cette indépendance, alors que la France, par certains côtés, est redevenue une friche industrielle ?
Vous avez raison d’y faire référence. Comme vous le savez, en 25 ans, la France a perdu près de 2,5 millions de salariés dans l’industrie, puisque la part des travailleurs du secteur secondaire (le secteur 2 de Marx) dans l’économie française est passée de 24% à 16%.
Q : ce qui correspond à un rythme annuel d’environ 100 000 pertes d’emploi dans l’industrie ?
Oui, et le seul fait de stopper ce mouvement correspondrait déjà à 100 000 emplois sauvés annuellement. L’objectif de ré industrialisation de la France est donc vital.
Q : Et vous prétendez que c’est possible ?
C’est à la fois possible et nécessaire. Et c’est sûrement l’un des enjeux du prochain quinquennat de rendre ce qui est nécessaire, possible, à savoir la réindustrialisation de la France, qui permettra aussi le rééquilibrage des échanges commerciaux de la France avec l’extérieur, à travers un protectionnisme moderne, qu’on l’appelle raisonné ou apaisé.
Q : Pouvez-vous préciser ?
L’état a évidemment son rôle à jouer, mais les entreprises aussi : l’interaction des mesures étatiques et des décisions prises au sein des entreprises est essentielle. Je pense qu’il faut redonner à l’état un rôle régulateur qu’il a perdu depuis 30 à 40 ans, depuis les années 70 en fait.
Q : C’est une des thèses de Maurice Allais, je crois ?
Oui. Il écrivait d’ailleurs, en 2005 :
« la politique de libre-échange mondialiste poursuivie par l’Organisation de Bruxelles a entraîné à partir de 1974 la destruction des emplois, la destruction de l’industrie, la destruction de l’agriculture, et la destruction de la croissance […]
Les adversaires obstinés de tout protectionnisme, quel qu’il soit, commettent une seconde erreur : ne pas voir qu’une économie de marchés ne peut fonctionner correctement que dans un cadre institutionnel et politique qui en assure la stabilité et la régulation. […]
Une libéralisation totale des échanges et des mouvements de capitaux n’est possible, et elle n’est souhaitable que dans le cadre d’ensembles régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés et de développement économique et social comparable.
Il est nécessaire de réviser sans délai les Traités fondateurs de l’Union Européenne, tout particulièrement quant à l’instauration indispensable d’une préférence communautaire. »
(cf. aussi M Allais et le protectionnisme raisonné)
Ce rôle de régulateur, qui était, dit-on, celui dévolu à l’état au cours des premières années du conseil national de la résistance, en 1945-46 va bien au-delà de la seule question monétaire, aussi importante soit-elle.
Il doit donner un environnement aussi stable que possible au monde économique, afin que les décisions prises par le milieu économique soient réellement efficaces, cette efficacité n’étant pas mesurée à la seule aune du profit à court terme ou des dividendes des actionnaires des plus grosses entreprises.
Q : Vœu pieux ?
C’est un vœu pieux tant que l’environnement change constamment, ou si les décisions nous sont imposées par l’OMC, le FMI ou Bruxelles. Mais cela ne l’est pas si l’on intègre aux règles du jeu économique d’autres règles et d’autres critères, prenant en compte en particulier le contexte social et les contrôles de qualité.
Q : Vous affirmez qu’une certaine forme de protectionnisme est à la fois nécessaire et raisonnable. Je ne demande qu’à être convaincu, mais pourquoi certains de vos confrères prétendent que c’est stupide et contraire à ce qu’enseigne la science économique.
Vous connaissez la plaisanterie traditionnelle : réunissez 3 économistes, et vous aurez cinq avis différents…
Q: Pourtant, l’un de vos collègues, Pastré je crois, affirme : La question [sur le protectionnisme] à poser est double: 1) les exportations représentant 25% du PIB, qu’adviendra-t-il des PME exportatrices qui se verront refuser l’accès aux marchés des pays que nous aurons « punis » en élevant nos droits de douane? 2) quel impact sur le pouvoir d’achat des français les plus modestes auront ces augmentations des droits de douane?
Si je tiens à être charitable je dirais que son idéologie le pousse à contester tout ce que peuvent déclarer ceux qui ne sont pas de son bord politique. Je crois qu’un vrai scientifique – ou prétendu tel – devrait conserver son sang-froid, et ne pas se contenter d’affirmer.
Q : N’est pas Maurice Allais qui veut, certes, mais…
En fait, la question des droits de douane n’est qu’une façon de s’attaquer à la question du déficit commercial. Dans certains cas, il vaut mieux procéder autrement. On peut jouer sur le remboursement plus ou moins important de la TVA, on peut aussi mettre des quotas pour réguler ce qu’on pourrait appeler des ‘écluses’ commerciales. Ce n’est pas forcément simple, mais dès lors que l’on a pris conscience que ce déficit abyssal du commerce international français ne peut et ne doit perdurer …
Q : Et que répondez-vous donc à la question des mesures de rétorsion ?
C’est un simple problème de bon sens. D’une certaine façon, puisque les exportations sont moins importantes que les importations – c’est d’ailleurs l’un des problèmes majeurs de la France – ces mesures éventuelles de rétorsion ne peuvent être véritablement dangereuses.
Q : C’est à-dire ?
Raisonnons par l’absurde. Si on n’exporte et si on n’importe plus du tout (autarcie totale) cela impactera plus les importateurs ‘français’ (et donc les exportateurs étrangers) que les exportateurs français.
Q : Certes, mais certaines importations sont
nécessaires, comme celles des produits pétroliers ?
Oui, mais c’est une question simple à régler, vu qu’il y a peu de fournisseurs
et peu d’importateurs. C’est plus un problème de troc entre nations que de
problèmes de droits de douane. Par ailleurs, nos principaux déficits
commerciaux proviennent de pays industriels ou manufacturiers, comme la Chine,
la Hollande, l’Italie et surtout l’Allemagne. Ce n’est donc pas notre déficit
avec les pays producteurs d’hydrocarbures qui posent véritablement problème.
Q : Mais nos entreprises exportatrices, que deviendront-elles ?
En dehors du fait que je ne crois pas trop aux mesures de rétorsion, le fait que les importations diminuent peut permettre aux entreprises exportatrices d’augmenter leur chiffre d’affaire intérieur, et donc de se ‘relocaliser’ au niveau commercial, ce qui ne peut que contribuer à la réindustrialisation de la France.
Q : Et en ce qui concerne l’augmentation du coût des produits d’importation ?
Il est évident que si ces produits importés n’avaient pas de substitut ‘local’ possible, mon collègue aurait raison, c’est évident.
Q : Mais …
Mais je prétends que si de nombreux produits importés ne sont achetés que parce qu’ils sont un peu moins chers, il existe de nombreux produits qui les remplaceraient avantageusement, pour un prix guère plus élevé.
Par ailleurs, comme je l’ai expliqué par ailleurs, le mécanisme de la « récupération négative de la TVA » ne modifierait aucunement le prix TTC du produit, mais diminuerait la marge de l’importateur, qui pourrait avoir intérêt à acheter ‘local’, plutôt qu’à acheter ‘asiatique’.
Et enfin, le pouvoir d’achat ne dépend pas seulement du prix des produits mis sur le marché, mais aussi des ressources des acheteurs potentiels.
Q : Que voulez vous dire ?
Si les prix augmentent de 3%, et si les revenus augmentent de 4%, le pouvoir d’achat aura augmenté de 1%. De fait, même s’il y avait effectivement une légère augmentation des prix de certains produits, cela peut être couvert par l’augmentation des revenus des salariés qui, au lieu d’être au chômage, pourraient bénéficier de possibilités d’emplois plus nombreuses, du fait de la relocalisation de certains produits – textile, jouets, voire médicaments, dont le coût de fabrication réel « en travail incorporé » ne représente guère que 10 à 15 % du coût total. Dans ce dernier cas, celui des produits pharmaceutiques, même si le principe actif – fabriqué localement - avait un coût salarial multiplié par 10, voire, cela n’aurait qu’un très faible impact sur le coût total, de l’ordre de 2%.
Q : En fait, c’est un peu comme pour l’effet Nike ?
Effectivement. Le coût de fabrication « salarial » d’une chaussure de sport ‘mode’ est de 10% de son prix de marché, à peine plus que les 5% des principes actifs médicamenteux. On pourrait donc fort bien rapatrier la fabrication de ces chaussures en Europe, et même en France.
Plus généralement, un protectionnisme raisonné, et raisonnable, est donc tout à fait possible en France. Pourquoi ne pas penser à ce sujet au grand économiste libéral qui en avait le premier parlé. Citons à cet effet la proposition d’ordre général censée remplacer l’article 110 du Traité de Rome, telle qu’elle a été envisagée par Maurice Allais:
« Pour préserver le développement harmonieux du commerce mondial une protection communautaire raisonnable doit être assurée à l’encontre des importations des pays tiers dont les niveaux des salaires au cours des changes s’établissent à des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection douanière. »
Q. Peut-être, mais l’U.E. laissera-t-elle faire la France ?
Ce sera à la France et à ses dirigeants politiques d’en avoir la volonté politique. Si la France le veut, elle le peut, quitte à dire qu’elle sortira de l’U.E. si on ne la laisse pas faire. La souveraineté, quel qu’en soit le domaine, ça se mérite, et parfois cela se prend.
Et cela commence par exiger le label « France », en en vérifiant l’authenticité, et ne pas « écrire », « moutarde de Dijon » avec un label France, lorsque la moutarde a été produite au Canada, avec de l’alcool non français, un peu comme pour les vaccins Pfizer que Sanofi va « produire », alors que cette société n’en fait que le flaconnage.
Oui, la préférence française peut s’exiger, il suffit de le vouloir, que ce soit dans le domaine commercial, comme dans d’autres domaines, comme dans le domaine monétaire, comme nous allons le voir.
Être « raisonnablement libéral » n’implique pas d’être libre-échangiste, même si les multinationales apatrides le prétendent. Et comme de nombreux chefs d’état ont pour eux les yeux de Chimène, il n’est pas simple de l’affirmer. Mais pourquoi vouloir se défendre ‘raisonnablement’ contre une concurrence déséquilibrée serait il interdit. Revenons donc à l’esprit de la charte de la Havane même si, pour cela, il faut menacer de quitter l’U.E., quitte à le faire si nécessaire.
La France est clairement européenne, mais confondre l’U.E. avec l’Europe historique et géographique est évidemment une malhonnêteté sans Je l’avais d’ailleurs écrit en 2017, à propos de l'affaire Whirlpool, que feindre de confondre l’Europe, une réalité historique, géographique, politique, avec une institution, l’Union Européenne, ou une zone monétaire, l’Eurozone était une sinistre plaisanterie véhiculée par des médias sans scrupules et plus ou moins vendus à la ‘cause’ mondialiste, et encouragés à cela par des multinationales dont le principal était d’avoir des « chaînes de valeurs » aussi profitables que possible, quel que soit la position géographique ou nationale de tel ou tel élément de cette chaîne. Le bien être des USA ne dépend guère des bénéfices d’Apple, même si GAFAM, eux, peut tenter d’assurer la mainmise de la « cancel culture » des USA sur l’Europe grâces aux réseaux sociaux qu’ils dominent presque entièrement
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