Le déficit commercial de la France, une épée de Damoclès qui ne préoccupe pas grand monde.
Un déficit commercial qui se creuse : mais qui s’en préoccupe ?
(Bruno Lemaire, économiste, ancien doyen associé d'HEC Ce que tout politique doit savoir en économie)
En dehors de
quelques titres épisodiques dans certains journaux spécialisés, personne ne
semble vraiment se soucier du déficit commercial de la France. Lequel,
bon an mal an, depuis une quinzaine d’années tourne autour d’une moyenne de 55
milliards d’euros (avec un record 2021 de près de 90 milliards). Il est
vrai que si l’on tient compte des services, ce déficit, qui indique en fait que
la France dépense plus qu’elle ne produit, est plutôt de l’ordre annuel
de 25 à 30 milliards
J’ai
pourtant signalé à de nombreuses fois, en particulier dans le cadre du
mouvement politique auquel j’appartenais naguère, que cette question du déficit
commercial permanent me semblait être l’un des plus grands dangers qui menaçait
notre pays. Mais le manque d’écho reçu pour mes avertissements aurait du me
conduire à une autre question : pourquoi faudrait-il se soucier du
déficit commercial, ou plutôt, qui devrait se soucier de ce déficit ?
L’entreprise
multinationale, qui n’a d’ailleurs le plus souvent de « nationale »
que le nom, d’Apple à Total, de Tesla à Audi, de Renault à Toyota ne s’y
intéresse pas. Ce qui préoccupe de telles entreprises, ce sont ses profits
et l’endroit où elles paieront le moins d’impôts. Elles sont donc,
évidemment, anti-protectionnisme, puisque c’est la libre circulation des
biens, des marchandises, des capitaux, et éventuellement des hommes, qui lui
importe. Toute restriction au libre-échange est vue comme scandaleuse.
Le
consommateur, lui aussi, s’en fiche, dès lors qu’il peut acheter ses tee-shirts
ou ses smartphones le moins cher possible, quelle que soit la provenance de ce
qu’il achète.
La France aurait
eu à s’en préoccuper, il y a quelques années, quand elle avait sa propre
monnaie. A l’époque, tout déficit commercial, ou plus exactement tout
déficit de sa balance biens et services conduisait presque inéluctablement à
une dépréciation monétaire, puis à une dévaluation, et donc à une inflation
importée, qui impliquait que les consommateurs, presque automatiquement, se
tournaient vers des produits ‘domestiques’ devenus plus intéressants.
Mais, avec l’euro,
monnaie commune prétendue unique, pourquoi se préoccuper du déséquilibre
commercial ? Le rééquilibrage se fait (presque) automatiquement, grâce aux
largesses de la Banque Centrale Européenne et au mécanisme des soldes Target. Les Français s’endettent
certes de plus en plus, pour pouvoir dépenser plus qu’ils ne produisent,
mais l’impact n’est pas immédiat, dès lors que le taux d’emprunt n’est pas trop
important, même si cela risque de changer.
De fait, en
dehors des chômeurs, mais que l’on peut toujours cajoler avec des aides
sociales s’ils se contentent de cela, ce déficit commercial ne semble pas
préoccuper grand monde, à une exception près, que l’on abordera ci-dessous.
Avant cela,
notons que ce déficit commercial, toujours la question des causes et des
conséquences, ou de la poule et de l’œuf, est aussi lié à la désindustrialisation
croissante de la France et aux délocalisations. Ces dernières n’ont pas
toujours été effectuées de gaîté de cœur, mais business oblige, n’est-ce pas !
Plus on importe, ou moins on exporte, plus les entreprises délocalisent, et
réciproquement.
De fait, les
seuls agents économiques réellement touchés par ce déficit commercial
grandissant sont les entreprises manufacturières, les petites ou moyennes
entreprises locales, dont le marché initial était essentiellement local, ou
régional, voire national. Elles n’ont pas nécessairement les capacités, ou la
volonté, de produire pour l’étranger, et pas non plus envie de délocaliser.
Elles meurent à petit feu. Pour survivre, elles sont parfois obligées d’utiliser
des moyens peu orthodoxes, voire illégaux, comme le travail au noir, exécuté
parfois en utilisant des clandestins, afin d’essayer de conserver des prix ‘compétitifs’.
Pour le
moment, les seuls entrepreneurs qui s’en sortent encore sont ceux qui ont un marché
presque captif, comme des boulangers loin de centres commerciaux, des artisans
au savoir-faire indéniable, des offreurs de petits services de bricolage ou d’aides
à domicile. Mais cela deviendra de plus en plus des marchés de niche, face à
une mondialisation, de plus en plus débridée.
Alors oui, vraiment,
pourquoi faudrait-il se préoccuper des déficits commerciaux, pas plus d’ailleurs
que des déficits publics ? « Après nous, le déluge » semble être
le mantra des gouvernements qui se sont succédés depuis 10 ou 15 ans en France.
Mais tant que les français acceptent globalement cette situation, ou tant qu’on
leur fera si facilement croire que le danger immédiat, c’est le changement
climatique ou le méchant Poutine, la situation peut continuer à se détériorer,
l’euro être au plus bas, les prix en hausse continuelle.
Mais, de
déséquilibre en déséquilibre, qui peut dire combien de temps cela va durer.
Les experts, dont je croyais à tort être, avec Jacques Sapir, sur la question
de l’euro, experts qui annonçaient la fin de l’euro en 2016, 2017, se sont trompés sur la résilience de nos « élites »
et sur leur extraordinaire résistance aux mauvaises nouvelles économiques. Il
est vrai que nous avions sans doute mésestimé aussi leur exceptionnelle
capacité à trouver d’autres boucs émissaires que leur propre incompétence,
pour ne pas parler de leur éventuelle corruption, sans parler du soutien qu’ils
ont su trouver dans les milieux financiers et parmi les propriétaires des
grands médias.
Dans Alice
au pays des merveilles, il fallait courir de plus en plus vite pour rester sur
place. Qu’en est-il dans la vie réelle, dans notre France que de plus en plus
voient en déclin inéluctable. Une telle situation peut-elle durer encore
longtemps ?
En dehors de
mouvements sociaux, toujours difficiles à évaluer, ou d’un éventuel réveil de
nos compatriotes, dont la plupart a montré, eux aussi, une impressionnante
soumission aux autorités, aussi contradictoires fussent elles dans leurs
communications « de crise », la révolte viendra peut être des
contribuables. De fait, la hausse des taxes ou des impôts – car le quoiqu’il en
coûte a un coût, qu’il passe par des primes diverses, qu’il faudra bien
financer ou par des restrictions sur l’énergie – devra bien finir par être
répercuté : et ne parlons pas non plus de la hausse des taux d’intérêt,
qui commence déjà à peser sur le maigre pouvoir d’achat des ménages.
Mais, ne
rêvons pas : avec toutes les aides sociales distribuées un peu à n’importe
qui, en particulier à des « ayant droits » étrangers ou venant de
puis peu de l’étranger, les « vrais » contribuables, ceux sur qui
pèse le poids de l’impôt, sont de moins en moins nombreux, même s’ils payent de
plus en plus. Et ils ont sans doute trop à faire pour essayer de vivre de leur
travail pour se soulever. C’est sans doute là-dessus que compte notre « gouvernance »
si mal nommée.
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