Le système fait appel à des 'Nobel' contre les souverainistes



Que faut-il répondre à des Prix ‘Nobel’ d’économie qui critiquent pelle-mêle souverainisme et protectionnisme
Par Bruno Lemaire , ancien doyen associé d’HEC, économiste « ricardo-marxo-keynesiano-allaisien »

Les arguments d’autorité n’ont jamais valu démonstration, et la tribune de « Nobels d’économie » n’est pas non plus convaincante per se. Je ne reprendrai ici que trois paragraphes de cette tribune, pour montrer, ou tenter de montrer, qu’ils reposent essentiellement sur des a-prioris idéologiques plutôt que sur un véritable raisonnement : ces trois paragraphes sont les suivants :

Malgré des "positions différentes" sur "l'union monétaire et les politiques de relance", "nos opinions convergent pour condamner cette instrumentalisation de la pensée économique", ajoutent les signataires, qui jugent la construction européenne "capitale" pour maintenir le progrès économique des membres de l'UE.

Parmi ces 25 signataires figurent des économistes d'obédience libérale, et d'autres plus critiques vis-à-vis de la mondialisation et de l'euro, à l'image de l'américain Joseph Stiglitz, prix Nobel en 2011, régulièrement cité par la candidate du Front national.

"Les évolutions proposées par les programmes antieuropéens déstabiliseraient la France et remettraient en cause la coopération entre pays européens, qui assure aujourd'hui une stabilité économique et politique en Europe", écrivent les 25 signataires dans leur tribune.

Avant de ce faire, je tiens à rappeler que les plus grandes avancées en théorie économique – ne parlons pas ici de science, car l’économie, hélas, n’est pas une science même si on peut (et on devrait) l’aborder de façon scientifique – ont rarement été le fait de « Nobel », même s’il y a des exceptions, dont John Nash, l’inventeur de l’application de la théorie des jeux à l’économie.

Citons ainsi Marx pour le côté anti-capitaliste, Fischer, le libéral, Keynes l’interventionniste et sa trop peu connue mais extraordianire disciple, Joan Robinson, plus gauchisante. Le seul Nobel un peu hétérodoxe et donc créatif, en dehors de Nash, fut M. Allais, qui, quoique libéral trouvait aussi certains mérites au protectionnisme, en homme pragmatique et ingénieur qu’il était. Quant aux deux autres « Nobel » Français, le premier, Gérard Debreu, a eu le mérite d’ordre purement mathématique de montrer que l’équilibre général si cher aux fanatiques des marchés que les conditions pour le réaliser étaient telles qu’il ne pouvait sûrement pas se produire concrètement, et que c’était sans doute pas un objectif à rechercher. Quant au second, Jean Tirole, aux recherches financés par des établissements financiers multinationaux, il a démontré ce qu’il fallait démontrer pour satisfaire ses bailleurs de fonds, à savoir qu’il fallait déréguler le marché du travail (en construisant pour cela des hypothèses ad hoc, comme tout néo classique ou néo-néo-classique respectable).

J’avoue pour ma part que, sur le plan scientifique, je préfère les travaux de l’australien S. Keen, ou, en France, ceux de J. Sapir, voire de J. Généreux, même si ces deux derniers sont, ou ont été, conseillers de J.L. Mélenchon.

Mais revenons à notre « disputatio ».

1.Tout d’abord, nos « Nobel » semblent irrités qu’on utilise leurs travaux pour soutenir une position politique qu’ils ne partagent pas nécessairement. Si leurs travaux sont réellement scientifiques, cela ne devrait pas les gêner : si 2  + 2 cela fait 4, que PolPot, Hitler, Staline, Chavez ou Macron utilisent ce résultat ne devrait pas les affecter. Mais, justement, les trouvailles de ces Nobel sont-elles purement scientifiques et a-politiques? On peut en douter, vu leurs réactions (et vu aussi, techniquement, que les thèses néoclassiques ont été battues en brèche et démontées par un S. Keen ou par d’autres économistes hétérodoxes)

Les « Nobel » de cette tribune disent par ailleurs qu’ils sont attachés à la construction européenne actuelle. Grand bien leur fasse, même s’ils ne disent nullement pourquoi cette construction est vitale pour le progrès économique de l’Europe, qu’ils semblent confondre avec l’Union Européenne. Le dit progrès économique ne semble exister, par ailleurs, que dans leurs rêves, ou peut-être dans le coffre en banque de certains rares privilégiés, ceux qui profitent de la mondialisation heureuse. Un déni de réalité qui aurait dû les contraindre, par simple décence, à se taire, face aux millions de chômeurs et de travailleurs pauvres qui hantent, non seulement la France, mais une bonne partie de l’U.E.
  
2.Le deuxième paragraphe cité précédemment décrit assez justement l’appartenance à tel ou tel courant de pensée des « Nobel » en insistant sur Stiglitz, cité effectivement par certains experts du Front National. Vu le cheminement de Stiglitz et ses changements de pied fréquents, tant politiques qu’économiques, cela ne saurait m’étonner, et pour ma part je ne me suis jamais réfugié derrière son aura, qu’elle soit ou non justifiée. Pour moi, Maurice Allais avait quand même une autre envergure. Et avoir pour seule excuse, comme ces « Nobel » exhibés pour contrer la montée inexorable du souverainisme, que l’euro était sans doute une mauvaise idée, mais qu’il est trop tard pour changer, montre là encore le peu de sérieux de ces « Nobel ». Toute construction humaine, si elle s’avère néfaste, peut être abandonnée. C’est ce que disent, à juste titre, bon nombre de candidats aux présidentielles, ceux du moins qui ont compris tout le mal que cette monnaie unique, et inique, apporte à la majorité de nos compatriotes. Bien entendu, il en va bien différemment pour les allemands, qui sont très heureux de la faiblesse actuelle de l’euro, et des américains, qui ont beaucoup à perdre de l’abandon de l’euro.

3.Venons-en enfin au dernier point, là encore non argumenté, et qui fait aussi l’amalgame entre Europe et Union Européenne. Les « Nobel » de la tribune de l’AFP ont raison de dire que l’Union européenne actuelle sera chamboulée, tous les souverainistes le disent aussi. Mais ce chamboulement se fera pour que la nouvelle Europe soit plus forte, grâce aux liens qu’elle saura retisser entre des Nations Libres, Souveraines et Indépendantes.

On comprend que cela inquiète les milieux financiers américains et les tenants de la mondialisation faite sous l’égide des USA et à leur profit presque exclusif. Quant à Jean Tirole, je l’ai déjà dit, on sait qui le finance. Ce n’est pas une attaque ad personam, c’est une simple constatation. On peut d’ailleurs déplorer que si peu de ressources, publiques ou privées, soient consacrées à la recherche en France. Elle serait peut-être plus indépendante.

Une dernière remarque : si le système éprouve ainsi le besoin de faire appel à des « sommités économiques » c’est sans doute bon signe. Cela signifie que les souverainistes ne sont pas loin du succès.

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