UnModelePostConfinement
Reprenons notre destin en mains : utopie ou nécessité ?
Bruno Lemaire, ancien doyen associé d’HEC, 20 avril 2020 lesamoureuxdelafrance2020
Les prévisions de désastre économique s’enchaînent. N’étant
pas la pythie, nous partirons ici des seuls faits : l’économie française
perd 40% de sa production/consommation (le PIB pour faire bref) relative à
chaque période de confinement.
Une récession abyssale :
Si le confinement dure 2 mois, elle aura donc perdu 40% de 2
mois, ou 80% d’un mois, soit environ 200 milliards d’euro. Mais comme la sortie
de confinement ne remettra pas l’économie en marche si facilement, on peut
encore prévoir 150 milliards de plus (une économie tournant en moyenne à 80% de
ses possibilités pendant encore 3 mois, et rattrapant tout juste son niveau
normal à l’automne 2020) et on arrive ainsi à 350 milliards de « trou »
pour le PIB prévisionnel de 2020. On retrouve ainsi, à peu près, les chiffres d’Unicredit,
un peu supérieurs à ceux annoncés par l’économiste Jacques Sapir, et très
supérieurs à ceux annoncés par le ministre de l’économie.
Désastre ou opportunité ?
Mais quoique impressionnante, cette chute dans les dépenses
(et dans l’offre de production) des français n’est pas l’essentiel. La question
que l’on pourrait se poser, que l’on devrait se poser, est celle-ci : faut
il continuer comme avant, ou peut-on essayer de profiter de cette crise
sans précédent pour tenter de changer de modèle?
La plupart des prévisions semblent reposer sur le fait qu’on
va simplement se remettre à faire tourner l’économie à plein-régime, voire à
sur-régime, et que l’on pourra atteindre en 2021 un gain de 10%, pour compenser
au moins aux 2/3 les pertes de PIB subies en 2020.
Futur ou foutur ?
C’est bien sûr un futur possible, certains parleraient de « foutur »,
et si le peuple français l’accepte, il pourra se produire. Cela voudrait dire
que nous n‘avons rien appris, que la banque centrale et les marchés financiers continuerontà « dealer » de l’héroïne monétaire en détournant, ou pas, à leur profit l’article
104 de Maastricht reposant sur une fable ultra-libérale, à savoir que les
marchés financiers seraient les meilleurs régulateurs d’une économie
efficace et prospère.
Dans ce scénario, les gagnants de la mondialisation, de moins
en moins nombreux mais de plus en plus en plus riches, les actionnaires des « GAFAM »
et autres multinationales regarderont de plus en plus haut la plèbe des
perdants, toujours plus nombreux. La France continuera à se désindustrialiser,
à importer toujours davantage des biens qui faisaient naguère sa richesse et sa
puissance.
Faisons de la monnaie un bien public
Mais on peut aussi rejeter ce scénario d’un monde d’après semblable
au monde d’avant, dans lequel l’argent irait comme d’habitude dans les
poches des spéculateurs et des gros actionnaires plutôt que dans celles des manants,
80% de toute l’’émission monétaire n’allant jamais dans l’économie réelle.
La monnaie devrait être un instrument comptable, pas de
pouvoir
Pour cela, il faut d’abord évidemment repenser la monnaie,
son rôle exact, qui est d’être « un titre de créance sur
n’importe quel membre du groupe qui l’utilise, créance reposant sur et
validant l’utilité du travail humain associé »
La fable de la dame de Condé qui refait surface après
une dizaine d’années de somnolence https://www.ekopedia.fr/wiki/La_Dame_de_Condé
pourrait nous dire qu’on n’a pas vraiment besoin d’espèces sonnantes et
trébuchantes si le travail de chacun est reconnu comme utile. De fait, une
comptabilité publique et transparente pourrait nous renseigner sur le
travail effectué par chacun et valorisé d’une façon reconnue par l’ensemble du
groupe.
Il est clair que si on avait eu cela lorsque l’épidémie de
covi_19 était à son paroxysme, le travail effectué par les soignants, de l’aide-soignante
au spécialiste de réanimation, aurait sûrement été davantage valorisé que celui
du maquilleur de l’Elysée.
Enlevons aux marchés financiers leur pouvoir monétaire
La Banque de France est censée, depuis 1945, être possédée par
l’Etat, mais depuis le traité de Maastricht (en fait, depuis janvier 1973) elle
se conduit comme si elle était aux mains des marchés financiers. La
politique monétaire de l’Etat, qui devrait être menée au profit du peuple, est
censurée par ces mêmes marchés, eux-mêmes travaillant en bonne (ou mauvaise)
intelligence avec les banques qui syndiquent parfois divers intervenants.
Pour cela, deux pistes prometteuses peuvent être suivies. La
première, la plus classique, serait de priver les banques commerciales de toute
possibilité de créer elles-mêmes de la monnaie (cf. https://monnaiepublique.blogspot.com/2010/02/la-monnaie-sa-circulation-ses.html)
en suivant les recommandations de Maurice Allais et son idée de Monnaie
Pleine.
Seule la banque centrale pourrait émettre de la Monnaie en contrepartie
de créances sur l’Etat, les banques commerciales ne pouvant prêter que de l’argent
qu’elles auraient dans leurs caisses, en « transformant » donc de l’épargne
déjà existante. Les marchés financiers n’interviendraient donc pas, ou plus,
pour « financer » l’Etat
Une autre piste : celle de la monnaie complémentaire
Une
autre piste, que certains réseaux ou communes ont tenté d’instaurer, le plus
souvent de façon proche de l’illégalité, est celle de pseudo-monnaie
locale, comparable en fait à du crédit inter-entreprises ou du crédit
inter-particuliers, qu’on peut aussi rattacher au mythe de la dame de Condé,
mais aussi à quelques expériences concrètes et récentes, comme le « Sol »
de Nantes ou de Toulouse, ou plus lointaines et plus convaincantes de Schwanenkirchen (Allemagne) et de Wörgl
(Autriche) dans les années 1930, sans oublier l'expérience en 1957 de Lignières.
L’idée de base est toujours la même, faire
confiance, à l’intérieur d’un groupe, au travail réalisé, ce qui correspond
parfaitement à la définition même d’une monnaie, celle d’être, répétons-le « titre de créance sur n’importe quel
membre du groupe qui l’utilise, créance reposant sur et validant l’utilité du travail
humain associé »
Le problème d’une double monnaie, la « mauvaise »
chassant la « bonne »
Pour lutter contre cette loi, dite loi de Gresham, les agents
économiques préférant thésauriser la monnaie qui conserverait le plus de
valeur, Gesell a théorisé, dans les années 1920, le concept de monnaie
fondante, en renforçant astucieusement cette loi, plutôt que de l’ignorer.
L’idée de base est d’utiliser une monnaie « inflationniste »
par construction, qui perdrait de la valeur, de façon explicite et prévisible,
chaque semaine ou chaque mois, par exemple
1% par mois. A l’époque, cette monnaie « fondante » était pourvue
d’un talon détachable, mais, de nos jours, les possibilités d’une monnaie
électronique rendraient ce principe « fondant » élémentaire à
réaliser. La perte annoncée de sa valeur aurait pour conséquence une incitation plus
grande à dépenser cette monnaie fondante, et donc à consommer plutôt que de
thésauriser.
Maîtriser la monnaie, pourquoi faire ?
Nous avons dit par ailleurs que nous avions la possibilité d’utiliser
la crise actuelle pour repenser notre modèle économique et social, que nous
avions résumé en trois points, réindustrialisation, localisme et lutte
contre le gaspillage par le recyclage, ce qui aurait pour bénéfice induit
de nous rendre moins dépendants des pays étrangers et des entreprises multinationales
a-patriotes.
Cet objectif, aussi nécessaire soit-il, sera inatteignable si
nous ne retrouvons pas, collectivement, soit sur le plan national (vision
jacobine et colbertiste) soit sur le plan régional et/ou sectoriel (vision
décentralisée plus girondine) la maîtrise de nos moyens d’échange et de
paiement.
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