Quand la France roule ses dettes!
Quand la France roule ses dettes, ce sont les (contribuables) français qui sont roulés.
(Bruno Lemaire, ancien doyen associé d’HEC, économiste et
essayiste, le 7 mai 2023)
Plus précisément, c’est France Trésor qui nous manipule
quand il fait appel, semaine après semaine, aux « marchés financiers »,
qui n’obéissent pas vraiment aux prétendues « lois du marché ».
Depuis la pas si-fameuse loi de janvier 1973, il nous est
souvent dit que la France ne peut plus s’endetter
aussi facilement qu’avant, car le Trésor, c’est à dire l’Etat Français et ses (trop)
nombreuses administrations, directement ou par l’intermédiaire de Bercy, ne
peut plus s’endetter directement auprès de la Banque de France.
C’est presque vrai, théoriquement, mais c’est complètement
faux, dans la pratique, surtout depuis quelques années, depuis l’assouplissent
quantitatif lancé par Mario Draghi, président de la BCE, en 2015, et surtout
depuis l’année 2020 et le « quoiqu’il en coûte » (aux contribuables
français) d’Emmanuel Macron.
Ce qui est vrai, c’est que le Trésor, par l’intermédiaire de
son agence « France Trésor », ne peut pus s’endetter directement
auprès de la banque de France, même avec l’autorisation de la BCE. En revanche,
elle peut s’endetter auprès d’un marché primaire, baptisé souvent « marchés
financiers ».
De fait, les marchés financiers sont des SVT, ou
Spécialistes en Valeurs du Trésor. Ces organismes sont
les contreparties privilégiées de l'AFT (Agence France Trésor) pour l'ensemble
de ses activités sur les marchés. Et nous retrouvons trois des plus grandes
banques françaises parmi les 5 premiers SVT, BNP Paribas en première position,
suivie du Crédit Agricole, la Société Générale n’étant elle, précédée que de JP
Morgan et HSBC.
Autant dire que les SVT
français n’ont pas grand-chose à refuser à l’AGENCE France Trésor, qui peut
facilement placer ses 10 ou 12 milliards d’emprunts sur le « marché
primaire » à une périodicité convenue, 3 ou 4 fois par mois
Certes, ces « émissions
de dettes » par AFT coûtent plus ou moins cher, en fonction du taux d’intérêt
proposé, qui a longtemps été nul, voire négatif. C’est ainsi que les
obligations à 10 ans souscrites début mai tournent autour de 2.90% (nettement
moins que l’inflation, même si Bercy prétend que l’inflation, officielle de 6.5%
et officieuse de 12%, va finir par diminue)
En mai 2020, les taux des OAT à 10 ans étaient très
légèrement négatifs (taux : -0.01%). On comprend pourquoi ceux qui
possèdent actuellement de telles obligations acquises en 2020 cherchent à s’en débarrasser,
avec une décote en capital importante.
Mais la vraie question n’est pas là. C’est l’autre côté de l’épure
qui importe, puisque, le plus souvent, en particulier depuis mars 2020, la
plupart des SVT français, du Crédit Agricole à la Société Générale, se dépêchent
d’échanger ces obligations fraichement souscrites auprès de la Banque Centrale
Nationale (BCN), à savoir la Banque de France.
En d’autres termes, la Banque de France se retrouve, par un
tout de passe-passe que même la cour fédérale allemande, la cour de Karlsruhe,
a admis, avec à son actif des obligations émises par France Trésor, c’est-à-dire
Bercy, en ayant à son passif, il faut bien équilibrer, la monnaie qu’elle a
créé pour financer ces obligations.
Du point de vue des banques commerciales françaises, les SVT
qui ont joué le jeu, ces banques ont maintenant sur leur compte auprès de la
banque de France, des centaines de milliards, sous forme de « r »serves »,
ce qui leur permet, de plus d’afficher des bilans nettement plus satisfaisants,
puisqu’elles ont même profité de l’occasion pour se débarrasser d’éventuelles
créances douteuses.
Comme certaines publicités aiment le dire, les chiffres ne
mentent pas. C’est ainsi qu’entre mars 2020 et mars 2022 le bilan de la Banque
de France s’est accru de près de 800 milliards d’euros (63% d’augmentation) et
que les réserves des banques ont-elles augmenté de 625 milliards, en faisant
plus que doubler. Le « quoi qu’il en coûte » n’a donc pas coûté trop
cher aux banques, même si la dette publique, elle, s’est accrue elle aussi de plus de 800
milliards d’euros au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
Alors, oui, tandis que la France fait rouler sa dette par l’intermédiaire
des émissions d’obligations de France Trésor, ce « roulement »
coûtant de plus en plus cher, vu la hausse des taux d’intérêt consentis, ce
sont bien les Français qui, tôt ou tard, devront « passer à la caisse ».
Il est vrai que depuis lors, la Banque de France fait d’énormes
efforts pour contracter à la fois son bilan et la masse monétaire centrale, ou
agrégat M0, de plus de 100 milliards d’euros, avec des taux interbancaires
ayant pris plus de 4% d’intérêt, en passant par exemple en mars 2020 de -0.45% à une fourchette de taux (EURIBOR), en mai 2023, oscillant entre 2.91% pour le taux sur
une semaine à 3.84% pour le taux sur 12 mois. Mais notre ministre de l’économie, entre deux pages d’écriture, est bien le seul à pouvoir dire que tout va pour
le mieux, avec une inflation colossale et un déficit commercial pire encore.
Quoiqu’il en soit, nous ne pouvons que conclure des
paragraphes précédents que ce n’est pas une loi, plus ou moins bien comprise,
qui peut conduire la France à une meilleure santé économique. Tant que les
décisions monétaires seront sous la seule supervision de l’Exécutif et/ou d’une
autorité bancaire supranationale, sans que des représentants de la société
civile n’aient leur mot à dire, l’économie
française continuera à s’effondrer. C’est une des conséquences d’avoir confié
les rênes de l’économie à des milieux financiers ou à des hauts fonctionnaires qui
ignorent tout du fonctionnement réel et concret de l’économie réelle : le « marché
européen de l’Energie » en est une des pires et dernières illustrations.
Et, cahin-caha, France Trésor continue à emprunter, semaine après semaine, pour tenter de faire semblant de rembourser les dettes en cours, tout en en créant d’autres, du seul fait du déficit budgétaire colossal. Pendant ce temps-là, ce sont les dettes privées qui explosent elles aussi, du fait du non moins colossal déficit commercial, ce qui ne fait qu’aggraver la situation de notre économie, de même que la question de plus en plus brûlante de l’insolvabilité potentielle de nos banques commerciales, surtout si la création monétaire d’argent magique qui les a maintenues en vie ces dernières années finit par se tarir.
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