Monnaie, flux monetaires et compensation intertemporelle

Un de mes plus implacables critiques, "X", fort astucieux au demeurant, me demande de commenter le dialogue suivant, qui a eu lieu sur le blog de Paul Jorion entre l'un de ses lecteurs("moi") et Paul Jorion lui-même:

Voilà le dialogue:

« Moi dit le 24 avril 2009 à 09:43 @Paul Jorion
Tout cet article me semble vague et je ne comprends pas cette notion de « véritable flux monétaire ».

A et B ont un compte dans la banque X
C et D ont un compte dans la banque Y

A achète un bien à C et le paie par carte de crédit.
D achète un bien à B et le paie par carte de crédit.
Les deux biens ont une valeur équivalente.


Où est le « véritable flux monétaire » puisque la banque X et Y vont se dire entre elles « on est quittes » lors de la compensation?

La seule chose qui a eu lieu c’est un flux de créance de A(X) à C(Y) et de D(Y) à B(X).

En toute logique, les économistes disent qu’ici la monnaie scripturale a servi de monnaie pour les transactions A-C et D-B.

Réponse de P.Jorion

Paul Jorion dit le 24 avril 2009 à 23:40
@ moi

Imaginons que la transaction A / C ait lieu le matin et la transaction D / B ait lieu l’après-midi.

Les banques qui réconciliaient leurs comptes à la fin de chaque journée décident de les réconcilier désormais deux fois par jour : à midi et à minuit.

Ancienne formule : compensation nulle.
Nouvelle formule : 1ère compensation = A / C ; 2ème compensation = D / B.

Votre illustration suggère que le système serait différent dans les deux cas, or la compensation résulte simplement du fait que l’on réconcilie des opérations sur des intervalles de temps différents – ce qui est indifférent, si ce n’est qu’en allongeant l’intervalle on donne l’occasion à davantage de transactions en sens opposé d’éventuellement se neutraliser.

« Scriptural » renvoie au support, or le support est indifférent, seule la différence entre argent (sonnant et trébuchant) et reconnaissance de dette est essentielle, parce que l’argent est 100 % liquide, alors qu’une reconnaissance de dette ne l’est pas. Les deux ne peuvent passer pour équivalents que quand tout va bien. »

Fin de l'échange.

Voici mon commentaire:

Pour Paul Jorion, la compensation ne peut se faire qu’en monnaie centrale (monnaie scripturale centrale parfois, monnaie fiduciaire « physique » souvent).
La monnaie centrale, quand elle est sous forme « papier », est effectivement, si l’on peut dire « sonnante et trébuchante ».

Bien sûr, P.Jorion a raison de dire que la compensation, que ce soit sur le marché interbancaire ou sur le marché monétaire, ou en interagissant avec la banque centrale, ne peut se faire qu’en monnaie centrale.

Les échanges entre particuliers se font en euros BNP, en euros Poste ou en Euros Crédit Agricole,la compensation ne peux se faire qu’en euros tout court.

Mais la manipulation n’est pas là: P. Jorion nie les flux monétaires correspondant au passage « euros X » vers « eurox Y » et/ou inversement,
en introduisant une notion temporelle qui n’a pas lieu d’être, et en parlant d'échanges de reconnaissances de dettes, et pas d'échanges ou de flux monétaires (toujours le glissement ou l'imprécision sémantique que j'ai relevé dans mon billet principal)

CE NE SERAIT QUE SI LA COMPENSATION devait se faire à la seconde près que l’on pourrait, peut être se poser des questions.

Il faudrait que les soldes « monnaie centrale » de chaque banque soient équilibrés à tout instant, au centième de seconde près, qu’il aurait raison. (Sans doute le principe de "conservation des quantités")

Mais, dans ce cas, IL NE POURRAIT PLUS Y AVOIR AUCUN ECHANGE bancaire, aucun mouvement de fonds, aucune création monétaire puisque les banquiers seraient pris la main dans le sac. Nous serions « 100% monnaie », (ce que je ne pense pas souhaitable , d'ailleurs).

A force de se concentrer sur les "créationnistes", c'est à dire les supporters de la thèse (erronée d'après lui) de "création monétaire", P. Jorion oublie, ou feint d'oublier que les "créationnistes" sont aussi "destructionnistes" ou "abolitionnistes" puisque si la monnaie (j'ai failli tomber dans le piège, et dire "argent") est créée au moment des crédits, elle est détruite au moment des remboursements. C'est la même chose pour le phénomène de la compensation.

Si tout était instantané, il n'y aurait même plus besoin de monnaie, monnaie-papier comme monnaie scripturale.

C'est bien parce qu'il y a un temps entre la production et la consommation, la vente et l'utilisation de l'équivalent "financier" de la vente, qu'on a besoin de "monnaie", et en particulier de sa fonction "réserve de valeur" - indispensable dans une économie qui n'est plus "de troc" et où les processus, de production comme d'échange et de consommation, prennent un certain temps.

Pour en revenir à la question initiale de "moi", ce dernier a bien raison de reprendre la thèse des "économistes" (qui n'ont pas toujours tort ;-) ) qui serait:
la monnaie scripturale a servi de monnaie pour les transactions A-C et D-B., au petit bémol près:
La monnaie scripturale n'a pas servi de monnaie, c'est une monnaie... (quand tout va bien: quand tout va mal, il n'y a plus de monnaie, voire plus d'échanges monétaires, on revient au troc, à une économie non monétaire)


Commentaires et critiques bienvenus, as usual.

Commentaires

  1. Commentaire de Johannes F., que ce dernier m'a autorisé à publier ici, ce que je fais d'autant plus volontiers que Johannes n'est pas d'accord avec moi.
    *******
    Vous imaginez bien que je donne raison à Jorion, cela va de soi (pour moi).

    Pour le dire à ma façon, la transcription de créances de compte à compte opère, comme la monnaie, des transactions, cela est évident;
    Mais je dirais que l'usage des comptes bancaires est une façon de se passer du signe monétaire comme tel, devenu largement inutile dès lors que les transcriptions des créances se font d'une façon fiable, évidemment.

    Ainsi, l'usage étendu de comptes courants réduit d'autant le besoin et l'émission de monnaie fiduciaire qui, elle, reste simplement la promesse d'un solde définitif possible.
    Encore dit autrement, dans la mesure où les transactions se font ainsi par compensation encore comptes en banque il s'agit d'une forme de troc.

    Ceci dit, j'essaye dans mon texte encore une autre définition qui confère au revenu disponible le statut de monnaie circulante, le revenu étant "ce qui revient" par exemple tous les mois. La "monnaie économiquement efficace" est ainsi ce qui circule comme revenu et réalise toutes les transactions économiques. Et, au fond, il peut s'agir de numéraire ou de virements bancaires selon un panachage assez libre, il me semble clair que ce revenu n'achète qu'une fois pour son titulaire jusqu' au revenu suivant. C'est bien pourquoi je maintiens que le détour par la banque ne peut absolument pas générer de pouvoir d'achat supplémentaire.

    Même chose pour le crédit bien sûr, l'emprunteur dépense en plus ce que le prêteur dépense en moins, là aussi, quelles que soient les contorsions qu'on y applique, pour moi, il n'y a pas de place pour la création monétaire via le crédit, je vous l'ai souvent répété.

    Sous l'angle du revenu, je conteste absolument que la monnaie, sous forme fiduciaire aussi bien que scripturale, puisse être en même temps en deux endroits à la fois, soit je l'ai, soit je ne l'ai pas et un autre l'a, la banque, le vendeur etc., mais jamais deux personnes en même temps! C'est seulement quand la monnaie me revient que j'ai un revenu disponible.

    Quant aux marchandises offertes, elles sont écoulées en échange de monnaie ou d'une créance, il s'agit d'un échange présent, il n'existe pas d'anticipations qu'un crédit aurait permis, car même le crédit ne permet qu'acheter que ce qui existe réellement, pas le futur. Cela me semble basique. Et quand j'achète à crédit, un autre n'aura pas acheté ce même bien, cela aussi est élémentaire! C'est PHYSIQUE
    ****
    A chacun de juger, donc, B.L.

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  2. @Johannes,

    Mes connaissances limitées en économie expliquent sans doute pourquoi je trouve erronée votre affirmation "je conteste absolument que la monnaie, sous forme fiduciaire aussi bien que scripturale, puisse être en même temps en deux endroits à la fois, soit je l'ai, soit je ne l'ai pas et un autre l'a, la banque, le vendeur etc., mais jamais deux personnes en même temps!"

    Certes c'est vrai pour la monnaie fiduciaire (quoique...) mais il en va autrement pour la monnaie scripturale. En effet, autant que je sache, les banques sont autorisées à prêter de la monnaie qu'elles n'ont pas, du moment qu'elles respectent leur divers coefficients et ratios qui ont justement pour objectif de limiter ce qu'elles "inventent et créent", en prêtant, à un certain multiple de leurs avoirs réels . Et justement ce montant est bien en deux endroits à la fois (pas entièrement, merci les ratios!), sauf que... un défaut de paiement transforme en fumée et regrets le montant scriptural correspondant, et ce, aux deux endroits: la créance qui est de fait une promesse d'obtenir un remboursement se volatilise avec la confiance que l'on peut accorder à la promesse.

    Certes, on pourrait envisager de saisir le bien acquis avec le montant prêté... encore faut-il que cela soit possible, ce dont je doute que ce soit toujours possible, par exemple si ce bien est en fait une spéculation malheureuse.

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  3. Le concept de "destruction monétaire" en monnaie scripturale est récent et apparait dans les manuels durant la crise 2008/2009/2O10 ...
    Ce n'est pas un hasard bien sûr et celà permet de faire croire à nos chéres têtes blondes que si les sommes colossales allouées par les Banques Centrales sont peut-être un recours maniaque à la planche à billet pour alimenter les intermédiaires financiers (agréés?) et sauver un systéme qui n'est plus viable.
    Les remboursements (promis, jurés...!) "détruiront naturellement" la monnaie créée artificiellement et tout s'équilibrera, comme s'il ne s'était rien passé.
    Et le temps dans tout cela ?
    Le temps c'est de l'argent !

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  4. @anonyme

    Vous avez "partiellement" raison. Si la notion de création monétaire figure dans la plupart des "manuels" d'économie, la notion de "destruction monétaire" semblait plus discrète, et il est sûr que la crise qui s'est révélée au grand public à partir de 2008 a fait beaucoup pour que l'on en prenne conscience.

    Dans le crédit social de Louis Even, cette création-destruction monétaire figure pourtant depuis les années 1940 ou 50, et on peut aussi trouver cela dans l'œuvre maîtresse de M. Allais, datée de 1977.

    Plutôt qu'un "complot", je crois que c'est simplement parce que on n'avait pas vraiment compris - ou qu'on ne voulait pas vraiment comprendre - toutes les conséquences de cette "destruction créatrice" monétaire, et ses dangers.

    Que l'on prête "à tire-larigot" ou qu'on ne prête assez, le prêt n'est pas un acte anodin: par ailleurs, la question des intérêts à rembourser reste posée, indépendamment du "prix du temps" souvent attribué à ce taux d'intérêt.

    Cordialement, Bruno.

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