QuatrePropositionsDeSortieDeCrise

Crise financière, crise bancaire, crise politique, … jusqu’où ira-t-on avant de réagir?

Q. Bonjour. Pourriez vous nous aider à comprendre ce qui se passe réellement. Depuis près de deux ans, nous allons de crise en crise, les ‘experts’ n’en finissent pas de se contredire. Y a-t-il une logique derrière tout cela, ou le monde serait-il devenu fou, ou ingouvernable ?

Une logique, certainement ? Mais encore faut-il non seulement la démonter, mais vouloir l’utiliser dans le bon sens.

Q. Que voulez vous dire ?

La plupart des économistes sentent, au moins confusément, que le système banco-financier est à revoir complètement. Mais beaucoup sont prisonniers, soit de leur idéologie, soit de leurs commanditaires, et ne veulent ou ne peuvent remettre en cause les fondements du système.

Q. Vous n’exagérez pas quelque peu ?

Je le voudrais bien. L’un des plus grands économistes du début du XXième siècle, Keynes, avait sans doute déjà compris que le système monétaire de l’époque était néfaste. Pourtant, tout en cherchant à tirer le monde occidental de la grande dépression de 1929, il a refusé de s’en prendre à la véritable racine du mal…

Q. Qui était ?

Comme aujourd’hui, une mauvaise adéquation entre la production 'réelle' et les ressources monétaires mises à disposition des consommateurs et des producteurs. Le ‘gap’ entre la véritable richesse – l’économie réelle – et les ‘signes’ de cette richesse – à savoir l’argent disponible, était trop important.

Q. Qu’aurait-il fallu faire ?

Au lieu de prêcher pour des grands travaux – type ‘ateliers nationaux’ de 1848, en France – ce qui avait l’intérêt apparent de donner du travail à des chômeurs, sans augmenter pour autant la production de biens - il aurait fallu mettre à la disposition des consommateurs potentiels des ressources financières susceptibles de leur permettre d’acheter des produits et services qui étaient disponibles en abondance, avant que les usines ne ferment les unes après les autres…

Q. Usines dont la plupart ne rouvrirent qu’à l’occasion de la guerre de 1939-1945 …

Aux USA, ce fut plutôt en 1941, après Pearl Harbor, et en Allemagne, hélas, ce fut beaucoup plus tôt.

Q. Si je comprends bien, vous êtes contre les grands travaux ?

Pas du tout. Certains travaux d’infrastructure sont d’une importance considérable. Mais lorsqu’il s’agit de faire des trous, pour les reboucher, ou, pire encore, de travailler pour les usines d’armements, je pense qu’il peut y avoir mieux à faire, et à dire.

Q. Et Keynes, dans tout cela ?

Keynes ne voulait pas, ne pouvait pas, remettre en cause directement la main mise des banquiers et des financiers. Dire que le roi était nu ne lui était pas possible, surtout à un moment où la crainte du communisme était si prégnante en Europe occidentale. Keynes devait s’en prendre aux ‘rentiers’ sans remettre en cause les plus gros d’entre eux, à savoir les capitalistes financiers, ceux qui avaient le véritable pouvoir. D’où ses propos alambiqués sur la « demande solvable » …

Q. et d’autres ‘concepts’ comme la trappe à liquidité …

Oui, tout cela pour laisser entendre, sans vouloir le dire, que l’argent potentiellement disponible n’était pas dans les bonnes poches, et que cet argent était mal utilisé… Et c’est bien cette même ‘retenue’, voire ‘hypocrisie’, ou ces mêmes scrupules ‘de classe’ qui empêchent la plupart des économistes contemporains de dire toute la vérité …

Q. A savoir ?

Que les pratiques monétaires actuelles sont responsables de la crise, des crises successives, qui depuis une quinzaine d’années ont pris de plus en plus d’ampleur.

Q. Que faudrait-il donc faire, et est-il encore temps d’agir ?

Quatre mesures sont indispensables, dont trois sont directement liées aux questions monétaires : souveraineté monétaire, refonte du système bancaire et financier, protectionnisme régional ou national ‘raisonné’.

Q. Cela ne fait que 3 mesures ?

Effectivement. La quatrième mesure, d’une importance considérable elle aussi, consiste à s’interroger sur la façon de répartir la richesse nationale produite, et à proposer des critères nouveaux.

Q. Je suppose que vous voulez parlez du Revenu Minimum de Dignité, que d’autres appellent Revenu Citoyen, ou Revenu d’existence ?

Oui, ou encore Dividende Social. Mais nous y reviendrons, après avoir dit quelques mots sur les trois mesures plus ‘classiques’ évoquées plus haut.

Q. Pourquoi tant insister sur la souveraineté monétaire ?

Cette mesure est la pierre angulaire, sans laquelle rien d’autre ne peut être construit. Le système actuel – les banques commerciales créant plus de 90% de l’argent-monnaie en circulation (la monnaie’ scripturale’ ou ‘de comptabilité’) conduit nécessairement à une économie d’endettement, à l’argent-dette. Ainsi, les dettes publiques de la France représentent deux fois son budget, ou plus de 85% de son PIB, et les dettes privées (entreprises et ménages) 3 à 4 fois ce même PIB, et sont en constante augmentation.

Q. Autrement dit, ces dettes sont impossibles à rembourser

Effectivement. Comment imaginer que pendant 4 ans, toute la production de la France soit consacrée uniquement à ‘rembourser’ les banques. Cela n’a pas de sens, et, pourtant, c’est ce que l’on nous demande.

Q. Et, tout cela, ce serait la ‘faute’ des banques ?

Et des taux d’intérêt pratiqués. Un emprunt dont le taux d’intérêt est systématiquement supérieur – de plusieurs points – au taux de croissance ne peut qu’appauvrir l’emprunteur, et enrichir le prêteur.

Q. Et, pour l’état et sa dette publique ?

Là encore, même conséquence. Et ce phénomène 'pubic' est encore plus facile à mettre en évidence, si l’on peut dire. La France n’avait quasiment pas de dettes publiques en 1973. Or depuis le vote de la loi Pompidou-Giscard de 1973, je rappelle que les intérêts payés jusqu’en 2008 aux banques privées par l’Etat ont représenté plus de 1400 milliards d’euros, soit l’équivalent de cette même dette publique fin 2008.

Q. Ce ne serait donc pas l'éventuelle folie dispendieuse de l’Etat qui serait le principal responsable de la dette publique française ?

L’Etat peut sans doute être plus économe. Mais, entre 1973 et 2008, les diverses administrations françaises n’ont pas été globalement moins économes que celles qui l'ont précédé. Ce qui ne veut pas dire que l'état a été efficace, mais cette efficacité, ou inefficacité, ne peut être évaluée en fonction du seul déficit budgétaire.

Q. D’autant plus que 50 milliards de ce déficit correspondent au seul remboursement des intérêts de la dette publique…

Oui, et sont voisins de ce que rapporte l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP).

Q. d'un niveau comparable d'ailleurs à notre déficit commercial ?

Hélas, si cela était vrai en 2008, ce n’est plus le cas, puisque notre déficit 2011 va être proche de 70 milliards. Mais, en plus de l’abrogation de la loi de 1973, une deuxième mesure s’impose, celle de la séparation entre banques dites de dépôts et banques d’investissement.

Q. Les banques de dépôts ne pourraient plus prêter d’argent, et les banques d’investissement, un peu comme des caisses d’épargne traditionnelles, transformeraient l’épargne des uns en sources de financement pour les autres …

C’est effectivement l’idée générale. Maurice Allais, et certains de ses trop rares disciples, a précisé tout cela dans ses nombreux ouvrages, et je n’y reviendrais donc pas ici. L’idée de base est bien que les banquiers « de dépôts » soient uniquement des comptables et des gestionnaires de monnaie – sans pouvoir en émettre des montants supplémentaires. Les banquiers « de financement », eux, auraient pour rôle de recueillir l’épargne et de la proposer aux entreprises, administrations et ménages qui en auraient besoin, mais, là encore à un taux d’intérêt proche du taux de croissance attendu.

Q. Et si cette épargne ne suffisait pas pour les projets de développement?

Ce serait le rôle de la banque centrale et des pouvoirs publics d’émettre une nouvelle quantité de monnaie, pour combler ce gap éventuel. Certains calculs montrent que, en 2011, ce gap ne serait que d’une quarantaine de milliards, soit moins de 2,5% du PIB.

Q. Mais si ces mesures sont si efficaces, qu’est ce qui nous a empêché de faire cela jusqu’à maintenant ?

La loi de 1973, reprise dans l’article 104 du traité de Maastricht puis dans l’article 123 du traité de Lisbonne, interdit aux états d’emprunter directement auprès de leur banque centrale. Par ailleurs il faudrait abroger la loi Delors-Mitterrand de janvier 1984 – qui remplaçait la loi de décembre 1945 du Conseil National de la Résistance - loi Delors qui instaurait la « banque universelle ».

Q. Il faudrait donc avoir l’aval de l’Europe pour cela ?

Sur le deuxième point, pas nécessairement, sur l’article 123 du traité de Lisbonne, il n’y a guère que deux solutions. Soit on a cet accord, ce qui est peu probable, soit il faut sortir de l’euro.

Q. A moins que cette menace de sortie de l’euro puisse suffire ?

Peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut abroger cet article, et le faire en toute transparence, pas comme la BCE ou certains politiques qui suggèrent de le faire en cachette, subrepticement.

Q. Et en ce qui concerne le protectionnisme ‘régional’ ?

Là encore, c’est du simple bon sens. Et ce que je propose n’est pas non plus nouveau. Dès 1946, cela avait été évoqué lors des discussions dites « de la Havane », alors qu’il s’agissait de réguler au mieux le commerce international pour éviter les déséquilibres commerciaux pouvant se transformer en guerre commerciale, puis en guerre tout court.

Q. Cela semblait raisonnable. Pourquoi cela n’a pas marché ?

La puissance dominante de l’époque, les USA, n’y a vu aucun intérêt, bien au contraire, Cette « charte de la Havane", qui proposait que les états soient fortement incités à n’avoir ni déficit ni excédent commercial, n’a pas été retenue dans les accords du GATT, puis au moment de la création de l’OMC. On sait ce qu’il en est maintenant, en particulier dans le cas de la France, dont les déficits commerciaux battent record sur record depuis l’instauration de la zone euro…

Q. Je pensais que la zone euro devait nous protéger …

Certains pays de cette zone s’en sortent bien d’autres beaucoup moins. De fait, si la zone euro est à peu près en équilibre avec le reste du monde – ce qui ‘justifie’ plus ou moins le niveau actuel de l’euro – de forts déséquilibres sont apparus à l’intérieur de cette même zone.

Q. Je suppose que vous voulez parler de la France et de l’Allemagne ?

Oui, mais pas seulement. Si le déficit commercial de la France vis-à-vis de l’Allemagne représente près des 2/3 du déficit total français – près de 70 milliards - la situation n’est pas symétrique, puisque l’excédent commercial allemand – plus de 130 milliards - n’est pas réalisé qu’avec la France, bien loin de là. La France n’a même pas le statut de « client privilégié » de l’Allemagne.

Q. Là encore, que suggérez vous ?

Reprendre les conseils de la « charte de la Havane » - ainsi que, plus concrètement, les suggestions de Maurice Allais, à savoir recréer en Europe des zones de compétitivité comparable, tant au niveau économique que social. Si on ne fait rien, la zone euro ne sera plus qu’une zone mark, les donneurs d’ordre étant les allemands, et les PECOS (Pays d'Europe Centrale et du Sud) ou la France ne dépendant plus que du bon vouloir des nouveaux « empereurs » d’outre-Rhin.

Q. Et sur le plan pratique ?

En dehors d’une nouvelle monnaie, adaptée aux besoins et aux ressources de cette nouvelle zone de coopération économique – laquelle, au début, peut ne représenter que la France, mais d’autres pays comme l’Italie, ou d’autres encore, pourront s’y joindre – des mesures dissuasives anti-importations pourront et devront être prises, comme nous l’avons déjà dit par ailleurs. La ré industrialisation de notre pays exigera encore d’autres mesures, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la formation.

Q. Et si nous abordions maintenant votre dernière mesure, cette allocation universelle que vous proposez, ce Revenu Minimum de Dignité?

Bien volontiers. En fait je défends cette idée depuis 16 ou 17 ans, et je vais essayer d’expliquer ici pourquoi.

Q. Je vous écoute...

L’allocation universelle que je propose serait celle-ci :
625 € chaque mois, net d'impôt, sur le compte de 64.5 millions de Français ! Un demi SMIC égal au quart de notre PIB par habitant. Une allocation universelle rendant caduque la plupart des aides dites ‘sociales’, du RMI au RSA en passant par les allocations familiales ou les aides au logement. Ce montant n’est pas absolu, c’est un pourcentage de la capacité réelle de production de notre pays, telle qu’elle est évaluée par son PIB. Si cette capacité diminue, l’allocation diminuera, si elle augmente, l’allocation suivra.

Q. Si je comprends bien, vous proposez de raser gratis ? Personne ne peut être contre ce principe, mais chacun peut se demander par quel tour de magie notre économie, bien mal en point actuellement, pourrait financer une telle mesure?

Avant de répondre, je voudrais que l’on imagine deux situations complètement opposées. Dans le premier contexte, tout adulte est employé, chacun travaille dur, simplement pour survivre. Nous sommes en économie de pure subsistance, voire de survie.

Q. Si vous ne travaillez pas, vous mourrez de faim…

Dans le deuxième contexte, révolution technologique après révolution technologique, on est arrivé à une production « presse-boutons », une seule personne suffit pour faire fonctionner l’ensemble des machines, et pour produire suffisamment pour que chacun puisse manger à sa faim, se vêtir, se loger, se cultiver …

Q. On n’en est pas encore là …

C’est vrai. Mais imaginez que dans cette dernière situation, seul celui qui travaille puisse avoir accès aux richesses produites … Il est clair que cela ne pourrait fonctionner. La répartition des richesses, dans un tel contexte, ne peut pas dépendre uniquement de la place de chacun dans le processus productif.

Q. Et que suggérez vous ?

Nous sommes évidemment dans une situation intermédiaire. Ce que je propose c’est que, en plus ou à côté du salaire ou de la rémunération « normale » - du revenu gagné par son travail – chacun puisse disposer d’un dividende social. Ce dividende social serait simplement le fruit des progrès technologiques réalisés génération après génération.

Q. Donc, d’un côté, le fruit du travail, de l’autre le fruit du progrès ?


C’est tout à fait cela. Au lieu que les gains de productivité aillent aux rentiers, je propose que ces gains profitent à l’ensemble de la société, rentiers ou non, travailleurs ou non. Les découvertes réalisées par Cugnot, par Ampère, par Faraday, par Pasteur, … doivent profiter à tous, dès lors que ces progrès ont pu libérer l’homme de tâches mécaniques devenus de plus en plus aliénantes.

Q. Si je comprends bien, vous prêchez la fin du capitalisme ?

Oui et non. La fin du capitalisme financier, sûrement, pas celui de l'entrepreneuriat. Il y a toujours besoin d’innover, et il est normal que ces innovations soient récompensées et rétribuées. Mais quel est le mérite du banquier, ou du financier, dans ce nouveau scénario.

C’est bien parce que le signe de la richesse – à savoir la monnaie-argent – n’est pas adapté à la richesse elle-même que les crises surviennent. Et le Dividende Social – ou le Revenu Minimum de Dignité, est justement fait pour permettre que le signe de la richesse, le signe d’accès à la richesse, soit diffusé le plus largement possible. Steve Jobs ou Bill Gates pourront continuer à être riches, mais plus personne ne devrait être dans la misère.

Q. Et cette allocation devrait être universelle, partout dans le monde ?

Sur le principe, oui. Mais il est clair que le Dividende Social aura un niveau différent en France, au Maroc, en Chine ou à Madagascar. Le fait qu’il soit 'social' signifie bien qu’il doit être adapté à la production de richesses potentielles de chaque pays.

Q. Et cela ne peut marcher, bien sûr, que si cet argent nouvellement distribué ne « fuite pas » vers d’autres pays…

C’est bien pour cela que ce Dividende Social doit s’inscrire à l’intérieur d’autres mesures, dont le protectionnisme, national ou régional, ‘raisonné’ et raisonnable, esquissé dans la charte de la Havane.

Q. Dernier point. Comment faire pour financer cela ?

Sans entrer ici dans trop de détails on peut évaluer les besoins annuels nets de financement à 117 milliards d’euros – un peu moins de 10 milliards par mois – ou encore 6% du PIB.

Q. Cela reste une somme…

Effectivement. Mais 50 milliards peuvent être financés directement par la suppression des intérêts sur la dette publique, ce qui correspond déjà à 2,5% du PIB. Un montant équivalent peut être obtenu du seul fait que ce Dividende Social permettra de relancer la consommation, et donc la production, ce qui permettra à la croissance du PIB de passer d’un misérable 1% à 3%, voire davantage.

Q. Et pour les derniers 15 ou 20 milliards…

Je pense que le rééquilibrage de notre commerce international peut faire le reste. En dernier recours, une création monétaire annuelle de 15 à 20 milliards pourrait aussi être envisagée.

Q. Monsieur le Professeur, je vous remercie pour cette vision lucide de la situation actuelle, et de vos propositions susceptibles de sortir la France de son marasme actuel.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Déficit commercial et dettes, qui s’en soucie vraiment

Des dettes indexées sur l’inflation!

Quand la France roule ses dettes!